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Société - Crise

Nourrir cinq personnes durant tout le ramadan? Ce sera 6 millions de livres...

Publié fin mars par l’Observatoire des crises au Liban de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), l’Indice du fattouche 2022, qui permet de calculer la progression du coût des denrées alimentaires, affiche une hausse de 65 % cette année. Une situation qui pousse de nombreux ménages à faire l’impasse sur certains produits.

Nourrir cinq personnes durant tout le ramadan? Ce sera 6 millions de livres...

Des clients se pressent dans une épicerie où sont exposés des produits prisés lors du ramadan. Photo d’archives/Houssam Chbarro

Majida*, 65 ans, célibataire et sans emploi, fait ses courses dans le quartier de Corniche Mazraa, à Beyrouth. Son objectif ? Trouver de quoi préparer un iftar, le repas de rupture du jeûne, en dépensant le moins d’argent possible. Au détour d’une rue, elle tombe sur un vendeur de légumes ambulant et se met à marchander pour obtenir un bon prix. « J’ai acheté deux kilos d’ail. C’est moins cher ici que dans les épiceries. Je les couperai et les garderai au congélateur pour les utiliser après », raconte Majida, contente d’avoir économisé quelques sous.

Car le début du ramadan a été difficile pour cette Beyrouthine, qui vit avec son frère, employé dans la comptabilité et dont la paye est l’unique gagne-pain du foyer. « Nos repas de rupture du jeûne sont assez simples cette année, faute de moyens. Le premier soir du ramadan, j’ai cuisiné du riz et des petits pois sans viande. Le lendemain, nous avons mangé une soupe de lentilles et les restes du riz. J’ai ensuite trouvé quelques bouchées aux épinards dans mon congélateur. Ce soir, je mangerai peut-être des fèves », raconte-t-elle. « Nous n’avons plus les moyens d’acheter de la viande ou du poulet. Bien sûr, il n’y aura ni jus ni dessert non plus. Je n’ai même pas fait de fattouche pour l’instant », soupire Majida.

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Le fattouche, cette fameuse salade composée de plusieurs genres de crudités, de sumac et de pain grillé, mariné ou frit, est l’un des incontournables des repas du ramadan. Ce plat a même donné naissance il y a quelques années à « l’Indice du fattouche », une étude publiée durant le jeûne musulman qui permet de calculer la progression du coût des denrées alimentaires.

Publié fin mars par l’Observatoire des crises au Liban de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), l’Indice du fattouche 2022 affiche une hausse des prix de 65 % par rapport à l’année dernière. « Cet indice se base sur les prix de treize ingrédients qui entrent dans la composition de cette salade. Les résultats ont été rendus publics fin mars, en fonction des prix publiés par le ministère de l’Économie, et seront continuellement mis à jour pendant le ramadan », explique Ola Sidani, coordinatrice des programmes au sein de l’Observatoire des crises.

Rien que pour préparer cette salade, une famille de 5 personnes aura besoin d’environ 24 685 livres par jour contre 14 985 livres en 2021 et 5 945 livres en 2020. Une dépense de près de 750 000 LL est donc à prévoir durant tout le mois du ramadan pour présenter du fattouche tous les soirs, une somme qui équivaut à 117 % du salaire minimum au Liban.

Des légumes exposés dans une épicerie qui attend les clients. Photo d’archives/Houssam Chbarro

200 grammes de viande répartis sur 5 plats

De manière plus générale, le rapport de l’AUB révèle que le coût mensuel d’un repas quotidien pour 5 personnes durant tout le mois de ramadan est estimé à 5 804 000 livres libanaises ou 241 dollars à peu près (soit en moyenne 193 500 livres par jour, ou encore 38 700 LL par personne) au taux actuel du dollar sur le marché parallèle qui avoisine les 24 000 LL. Ce coût est passé d’environ 445 000 livres libanaises par mois en 2018 à 467 000 livres en 2019, puis à 600 000 en 2020, avec le début de la crise économique. Cette somme a plus que doublé en 2021, pour atteindre 1 435 000 livres.

« Les calculs ont été effectués en prenant en compte un repas de ramadan typique, constitué d’une datte, d’une soupe de lentilles, d’une portion de fattouche, de riz et de poulet, et d’un demi-verre de yaourt. Cette somme n’inclut pas l’eau et les autres boissons, ni les desserts, le gaz, l’électricité ou les détergents », précise Ola Sidani.

Sauf qu’avec la flambée des prix, nombreuses sont les familles qui ont fait l’impasse sur les repas traditionnels du ramadan et se contentent parfois d’un seul plat, malgré une journée entière de jeûne.

C’est le cas d’Ahmad, 75 ans, et de sa famille. « Nous sommes tous les soirs 6 personnes durant l’iftar. Nous mangeons en principe des frites ou du riz. Nous essayons de dépenser moins de 100 000 livres par jour pour nous nourrir. » Quant à la viande, elle est presque reléguée aux oubliettes. « Nous mangeons de la viande une fois tous les 15 à 20 jours », confie Ahmad.

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Kamal*, militaire à la retraite de 71 ans, tente également de ne pas faire beaucoup de dépenses durant le ramadan. « Ma femme achète désormais 200 grammes de viande hachée qu’elle répartit sur 4 ou 5 plats. S’il nous arrive de trouver du thym ou du pissenlit, nous les utilisons pour faire une salade. Parce que nous avons arrêté d’acheter des légumes », confie ce père de famille qui arrive à peine à joindre les deux bouts avec sa pension mensuelle de 2 257 000 livres (environ 94 dollars au taux actuel du marché parallèle).

« Nous ne sommes que trois à la maison, avec ma femme et ma fille, et malgré cela nous n’arrivons pas à nous en sortir. J’avais mis 8 millions de livres de côté il y a quelques mois. Il n’en reste que 700 000... », soupire Kamal. Il fait ses courses à pied dès qu’il peut, au lieu de prendre un taxi-service. « Quand j’étais jeune, j’avais l’opportunité d’émigrer en Allemagne, je ne l’ai pas fait. Je le regrette. En tant que militaire, j’étais prêt à mourir pour mon pays, mais il ne me reste plus rien aujourd’hui », se désole-t-il.

« J’ai dû acheter de petites quantités pour cuisiner »

À Tripoli, l’une des villes les plus pauvres du pays, il est presque impossible pour de nombreuses familles de s’alimenter correctement depuis le début de la crise et la situation se complique davantage durant le ramadan.

Oum Nidal, maraîchère dans un souk populaire de la ville, ne sait pas comment faire pour cuisiner pour ses 4 enfants, âgés de 25 à 17 ans. « Un iftar pour 6 personnes équivaut à la paie d’une journée et demie de travail de mon fils aîné, qui touche 90 000 livres par jour. Il n’y aura sans doute ni soupe, ni frites, ni fèves cette année », confie cette mère de famille.

Des chiffres qui pourraient encore augmenter d’ici à la fin du jeûne. « Tout dépendra des fluctuations du dollar et de la situation politique et sécuritaire du pays, explique Ola Sidani. La hausse des prix au niveau mondial, la guerre en Ukraine, la hausse des prix des carburants et la dépréciation de la livre sont autant de facteurs qui rendent le ramadan difficile cette année. » Et tout cela n’est pas sans conséquence sur la santé de la population. « Bien évidemment, manger moins ou opter pour des plats peu nourrissants et de moindre qualité augmente le risque de carences », rappelle-t-elle.

Au détour d’une rue de Tripoli, Oum Ahmad, rencontrée avec ses emplettes en main, confie avoir été « choquée » par les prix du riz, du yaourt, du pain et des légumes secs. « J’ai dû acheter de petites quantités pour cuisiner. En revanche, je ne sais pas comment faire pour le yaourt, dont le kilo est désormais à 25 000 livres. Un kilo de pois chiche équivaut à ce que je dépensais avant la crise pour préparer un repas entier. Ce pays nous a détruits, on nous a dépouillés de notre dignité », lâche-t-elle.

Si les repas du ramadan s’achèvent normalement par un dessert, il va sans dire que cette année, peu de personnes pourront s’offrir des douceurs à la fin de la journée. Kheireddine Haddad, propriétaire d’une pâtisserie à Tripoli, déplore que « les prix des douceurs ont augmenté de 40 %, après la hausse du coût de la farine, du sucre et de la margarine ». « Je pense qu’on ne vendra pas beaucoup cette année. Ce qui fait que nous serons sans doute obligés d’augmenter les prix pour couvrir nos pertes. À mon avis, la plupart des familles se contenteront de 200 grammes de pâtisseries au maximum, au lieu d’acheter un ou deux kilos comme elles le faisaient d’habitude », soupire-t-il.

*Les prénoms ont été modifiés

Majida*, 65 ans, célibataire et sans emploi, fait ses courses dans le quartier de Corniche Mazraa, à Beyrouth. Son objectif ? Trouver de quoi préparer un iftar, le repas de rupture du jeûne, en dépensant le moins d’argent possible. Au détour d’une rue, elle tombe sur un vendeur de légumes ambulant et se met à marchander pour obtenir un bon prix. « J’ai acheté deux kilos...

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Et dire que Tripoli comporte le plus grand nombre de milliardaires

Lecteur excédé par la censure

09 h 24, le 10 avril 2022

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Commentaires (4)

  • Et dire que Tripoli comporte le plus grand nombre de milliardaires

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 24, le 10 avril 2022

  • Mikati ne peut pas faire un zakat?

    Politiquement incorrect(e)

    22 h 37, le 08 avril 2022

  • Mais comme les banques ne donnent que 4’000’000 de livres en cash, et qu’on ne peut plus rien payer qu’avec du cash, on n’est pas sorti de l’auberge. Alors, on fait quoi? On accepte?

    Gros Gnon

    13 h 39, le 08 avril 2022

  • Allez, vous pourrez remettre le même article pour les fêtes de Pâques dans quelques jours; pourquoi perpétuer ce communautarisme qui tue le Liban à grand feu? La plupart des libanais vivent les mêmes privations et souffrent des mêmes maux, c'est tout.

    Christine KHALIL

    08 h 55, le 08 avril 2022

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