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Culture - Portrait / Jeune talent

Karim Ataya, l’artiste qui voulait être agent secret

Ce nouvel artiste présente à D Beirut une première sélection de ses peintures. D’immenses acryliques sur toile dans lesquelles les figures de la mythologie phénicienne se parent des couleurs et des atours des personnages de la pop culture des années 1990. Récit d’un parcours singulier où art et défi se conjuguent joyeusement.

Karim Ataya, l’artiste qui voulait être agent secret

Karim Ataya et son « Hannibal » (200 cm x 140 cm). PhotosBeshara Safadi

Né à Beyrouth en 1987, Karim Ataya a passé ses 15 premières années en Arabie saoudite avant de terminer sa turbulente scolarité « dans un pensionnat quasi militaire du sud-ouest de la France ». Dire que rien ne le prédestinait à devenir artiste est un euphémisme. Enfant, ce ne sont pas le dessin ou la peinture qui le passionnent, mais les sports de combat et tout ce qui a trait aux hommes de pouvoir (l’univers des « zaïms »), aux agents secrets et à… la politique. Nourri de cet imaginaire indiscutablement « jamesbondien », le jeune garçon rêve de films et se voit bien devenir cinéaste. Son bac en poche, il entame des études de cinéma à l’Université américaine de Paris (AUP). Mais, rapidement, il se ravise et se tourne vers les cours de sciences politiques et de droit international qui ont toujours attisé sa curiosité. Son diplôme décroché à l’AUP, il intègre la délégation libanaise de l’Unesco à Paris où, malgré un début de carrière prometteur, il s’ennuie, dit-il.

Il s’ennuie au point de tromper sa copine du moment. « Anna, une authentique princesse italienne qui aimait l’art, les expositions, les livres et les auteurs. Alors que, pour ma part, je passais mon temps à jouer avec mes potes à la Play Station, raconte sans fausse pudeur le sympathique jeune homme. Quand elle m’a quitté, j’ai réalisé que j’étais vraiment amoureux d’elle. Et c’est pour la reconquérir que je me suis mis à dessiner et peindre. Pour entrer dans son univers et lui prouver que je pouvais me mesurer aux artistes qu’elle admirait tant. »

« Gilgamesh », acrylique sur toile de Karim Ataya (130 cm x 110 cm). Photo Beshara Safadi

Aimer, peindre, défier et combattre…

Voilà donc comment, par dépit amoureux ou, pour être plus précis, par défi amoureux, Karim Ataya est devenu artiste. C’était en 2011. Et sa première peinture, « une fresque inspirée de la révolution du Yémen », réalisée directement sur le mur de son appartement, sans être à proprement parler une œuvre romantique, a l’effet d’une flèche de Cupidon puisqu’elle fera revenir vers lui sa belle Italienne. Pour un court laps de temps, hélas ! À nouveau dépité, Karim Ataya prend cette fois le chemin du retour vers l’Arabie saoudite. Sauf qu’en bonne graine d’aventurier, c’est en autostop qu’il fera le trajet Paris-Djeddah et traversera notamment la Syrie, alors en pleine irruption révolutionnaire. « J’avais décidé de travailler en Arabie dans le but d’amasser un petit pécule, avant de rentrer au Liban pour m’enrôler dans les services de renseignements et de sécurité de l’État. De tout temps, j’étais fasciné par les arcanes de la politique, et mon rêve était d’intégrer les “moukhabarate” pour saisir de l’intérieur les rouages de fonctionnement du système. J’ai d’ailleurs postulé pour intégrer les commandos de la marine libanaise, mais ma candidature a été refusée pour des raisons de ratio confessionnel », raconte avec une candeur désarmante l’artiste trentenaire. À Djeddah, le jeune homme, qui, suite à son expérience parisienne, avait pris goût à la peinture murale, s’amuse durant son temps libre à réaliser avec l’aide de l’un de ses employés – « un Philippin qui dessinait merveilleusement bien les avions de chasse » – de grandes fresques sur panneau qu’il entrepose dans un hangar.

Des compositions qui puisent dans l’iconographie orientale (arabo-islamique, byzantine et perse), revisitée sur un ton street art. Photo Beshara Safadi

Celles-ci attirent l’attention d’un riche Palestino-Saoudien, un ami de la famille, qui le défie de pouvoir lui concevoir une murale qui habillerait la façade extérieure de sa villa. Le jeune homme, qui, vous l’aurez deviné, fonctionne beaucoup au culot, relève la proposition et signe, quelques mois plus tard, sa première œuvre géante. Un « tatouage mural au motif inspiré des puces électroniques ». La pièce plaît à son commanditaire, et l’épouse de ce dernier lui confie alors tout le chantier de fresques murales de leur immense demeure. À partir de là, grâce au bouche-à-oreille, les commandes affluent et le jeune homme laisse tomber ses activités annexes pour se consacrer entièrement à son entreprise artistique. Car il travaille, évidemment en atelier, « comme Michel-Ange », avec toute une équipe qui l’aide à réaliser ses gigantesques compositions.

Bref, Karim Ataya a enfin trouvé sa voie, « ce à quoi j’étais de toute évidence destiné », précise le trentenaire qui avoue avoir un petit côté mystique. Renonçant définitivement à ses rêves de commando et d’agent secret, il s’adonne en toute quiétude à ses grands projets de peinture décorative murale dans la région arabe, lorsqu’un incident va chambouler à nouveau le cours de son existence. Il est arrêté par la police des mœurs saoudienne pour avoir circulé en voiture avec une femme qui n’est pas son épouse. Obligé de quitter le pays, il retourne au Liban en 2018, où, décidé à se lancer cette fois dans la peinture sur toile également, il a la chance de trouver un mécène qui l’aide à installer son nouvel atelier à Beyrouth.

L’artiste (en noir) devant l’une des oeuvres phares de l’exposition « The Game », une peinture aux proportions gigantesques (250 cm x 550 cm). Photo Beshara Safadi

Hannibal regardant Beyrouth explosée

C’est là qu’il rencontre Alexis Mouawad, un jeune curateur et historien de l’art qui va « tomber amoureux de son travail » au point de l’inciter à montrer pour la première fois ses œuvres au public. « Karim Ataya a un style fantastique qui mixe tout à la fois l’iconographie traditionnelle et les miniatures du Moyen-Orient avec l’inspiration street art, ce qui donne des peintures au ton extrêmement contemporain. Il a un sens pointu du détail, une intensité de la couleur et du découpage des formes absolument maîtrisés », indique avec enthousiasme ce dernier. « Et pour sa première exposition, qui rassemble à D Beirut une quinzaine de moyennes et grandes acryliques sur toile élaborées au cours de ces deux dernières années, j’ai voulu montrer des pièces qui expriment totalement l’univers de Karim. À savoir ce mélange d’un monde imaginaire qui va joindre le mythique à l’enfance, les héros des jeux des années 1990 et les figures issues des mangas aux personnages mythologiques de notre région moyen-orientale à laquelle Karim Ataya est très attaché. Et dont il aime célébrer l’intrinsèque richesse culturelle à travers notamment cette figuration colorée toute en profusion de détails qui va à l’encontre de l’abstraction dominante dans l’art occidental actuel », explique le curateur.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur les peintures, parfois gigantesques, qu’il présente, jusqu’au 22 avril, pour s’en convaincre. Outre les portraits de Hannibal, Gilgamesh, Fayçal et Joumana, ces fils de Phéniciens qu’il a parés des couleurs et des atours de personnages de la pop culture des années 1990, il n’y a là que des scènes célébrant la force, la puissance et le combat… Des compositions qui dressent, forcément, un parallèle entre cet univers de jeux (notamment dans la pièce phare baptisée Game) et notre propre réalité… Sans oublier cet hommage que Karim Ataya rend à une « Beyrouth explosée », une peinture particulière qu’il met en scène dans ce premier accrochage a forte charge symbolique face à une toile représentant Le regard de Hannibal. Un talent à suivre donc.

« Karim Ataya ; Selected Works », à D Beirut, jusqu’au 22 avril, de 11h à 19h.

Né à Beyrouth en 1987, Karim Ataya a passé ses 15 premières années en Arabie saoudite avant de terminer sa turbulente scolarité « dans un pensionnat quasi militaire du sud-ouest de la France ». Dire que rien ne le prédestinait à devenir artiste est un euphémisme. Enfant, ce ne sont pas le dessin ou la peinture qui le passionnent, mais les sports de combat et tout ce qui a...

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