
Un miel « nouveau » avec un goût et des vertus à découvrir. Photo Bigstock
Aujourd’hui, l’heure est à l’antimiel mielleux et qui, contrairement à la traditionnelle saveur sucrée à laquelle nos palais étaient habitués, laisse un nouveau goût piquant dans la bouche. Ce miel amer, spécialité de la Sardaigne, suscite une grande curiosité auprès des gourmands. D’autant qu’il provient de cette Italie chantée habituellement pour sa douceur : de la dolce vita à la confiture dulce de leche, en passant par ses chansons aux mots doux et au parler suave. Que vient donc faire ici le miele amoro, alors que même le film Riso amaro de Giuseppe de Santis (« Riz amer », 1949) avait quelque chose de délectable avec sa vedette Silvana Mangano ? Pourtant, ce miel n’est pas une nouveauté. Il rassemblait jusqu’à présent peu d’amateurs, dont une auteure nommée Letitia Clark, qui a signé en avril 2020 un ouvrage intitulé Bitter Honey: Stories & Recipes from the Island of Sardinia, et qui en parle bien. Ce miel amer sarde, obtenu à partir de la floraison automnale de l’arbousier ou, en italien, corbezzolo, était pourtant utilisé il y a 2 000 ans comme médicament par les Grecs et les Romains. De nombreux auteurs antiques ont évoqué son goût amer si caractéristique. Mais ce n’est qu’en 2019 qu’il a suscité l’intérêt de chercheurs de trois universités : l’Université polytechnique des Marches en Italie, ainsi que celles de Vigo et de Grenade en Espagne. Les résultats de leurs travaux, publiés dans le Journal of Functional Foods, ont démontré que le miel de l’arbousier réduisait la croissance en laboratoire des cellules cancéreuses du colon.
Un ouvrage beau et utile sur le miel amer.
Une amertume à cultiver
Intrigués par ces récentes recherches médicales concernant les bienfaits de ce miel, des journalistes voyageurs de revues gastronomiques ont voulu en savoir plus, parallèlement à son utilisation culinaire. Bien que certains pensent que cette amertume du miel pourrait être due à la présence d’une molécule appelée arbutine glycoside dans le nectar des fleurs de l’arbousier, il n’a pas encore été possible de l’affirmer complètement.
« L’Italie abrite un registre national des sommeliers du miel, formés à l’Albo nazionale degli esperti in analisi sensoriale del miele, à Bologne, peut-on lire dans un reportage publié récemment dans la section “Travel” de la BBC. Ces spécialistes ont décelé qu’au-delà de son amertume, le miel de l’arbousier présente des notes vives de vinaigre balsamique, de sève de pin, de cuir, de réglisse et de café, avec une touche finale fumée. Il est souvent ajouté au café pour rehausser les arômes amers de la boisson. De couleur ambrée profonde, il prend une teinte brun clair lors de la cristallisation et accompagne souvent le “seada”, un dessert typiquement sarde. Et, tout comme un bon vin, il s’associe parfaitement avec plusieurs plats traditionnels du pays. » Quant à l’auteure de Bitter Honey: Stories & Recipes from the Island of Sardinia, Letitia Clark, elle propose de le « marier avec un vin blanc âgé, le vernaccia, provenant d’Oristano, une région de Sardaigne. Ce vin est également un produit local fascinant ».
Cicéron, son grand ennemi
En Sardaigne, la production de miel était bien établie dès le Moyen Âge. Au XIVe siècle, Éléonore d’Arborée (1340-1404), l’une des rares juges femmes de son époque, avait imposé de lourdes amendes et, dans le pire des cas, l’amputation d’une oreille pour le vol de ruches collectrices de l’arbousier. Cette spécialité sarde était très populaire et très appréciée dans l’Antiquité, sauf par Cicéron. L’illustre homme d’État et grand orateur romain avait mentionné le miel dans sa défense d’un citoyen accusé de meurtre à Nora, en Sardaigne. « Tout ce que produit l’île de Sardaigne, hommes et choses, est mauvais ! s’écriait-il. Même le miel, abondant sur cette île, est amer ! » Cette amertume, comme celle que l’on retrouve dans la plupart des médicaments, relève sans doute de ses qualités curatives. Cicéron ignorait que le miel d’arbousier regorge de nutriments, notamment des vitamines et des minéraux. À tel point que ce produit de la ruche a été prisé de génération en génération sur cette île connue pour la longévité exceptionnelle de ses habitants, dont beaucoup dépassent les 100 ans. Le miel sarde était utilisé en médecine traditionnelle comme somnifère, sédatif contre la toux, antidiarrhéique et anti-inflammatoire. Il pourrait aussi avoir des vertus antitumorales. Aujourd’hui, la revue française Plantes et Santé voit dans le miel sarde d’arbousier « un trésor santé à protéger ». Et souligne que les investigations scientifiques ont aussi confirmé son potentiel d’utilisation dans le domaine médical pour ses propriétés antioxydantes, antiradicalaires et anticancéreuses. Pour toutes ces raisons, des scientifiques du département des sciences agricoles de l’université italienne de Sassari proposent de créer une appellation de type AOP (appellation d’origine protégée) afin que ce miel amer sarde soit reconnu et surtout qu’il conserve son identité géographique et historique.