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Culture - Exposition

Lumières de femmes... chez Alice Mogabgab

Après une pause d’un peu plus d’un an, la galeriste rouvre son espace beyrouthin. En ce mois de mars dédié aux filles d’Ève, elle présente une sélection d’œuvres récentes de cinq de ses artistes – maisons féminines, ainsi que l’une des dernières peintures de la plus renommée des artistes femmes du Liban : Etel Adnan.

Lumières de femmes... chez Alice Mogabgab

« Flamboyants, rue de Damas », tirage photographique de Houda Kassatly (30 x 45 cm, 2020). Photo Alice Mogabgab Gallery et Houda Kassatly

« Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. » Cette citation du philosophe allemand Kant, Alice Mogabgab l’a faite sienne. À la veille des trente ans d’existence de sa galerie, la combative galeriste s’est rebellée contre le sombre état de fait qui impose désormais sa loi au Liban. Pour ne pas être contrainte de se soumettre aux diktats des banquiers locaux comme des propriétaires de groupe électrogène, elle avait mis en mode pause ses activités au cours de l’année écoulée. Le temps de s’affranchir de leur joug, en installant notamment sa propre source d’énergie solaire pour éclairer ses cimaises. C’est chose faite aujourd’hui. Et voilà donc la galerie Alice Mogabgab de retour sur la scène artistique beyrouthine, avec une première exposition collective au titre qui annonce d’emblée la couleur : « Lumières ! »

Car c’est avec les œuvres récentes de six artistes femmes, libanaises et étrangères, « toutes à la recherche de la lumière porteuse de vie et d’espoir », que la galerie rouvre ses portes. Pour contrer à sa manière « les ténèbres dans lesquelles a sombré le pays du Cèdre », Alice Mogabgab présente donc jusqu’au 13 mai un lumineux accrochage de peintures et de photographies, ponctué de deux pièces sculpturales. Un ensemble cohérent d’œuvres déroulant sur 4 sections des thématiques liées aux quatre saisons de l’année.

« Terrasses 1 » de Malgorzata Paszko (pigments et liant ; 162 x 130 cm). Photo DR

Radiance, éblouissement et halo…

Un parcours visuel qui s’ouvre donc au printemps. Celui de 2020, au cours duquel Houda Kassatly a photographié les Flamboyants (jacaranda) de la rue de Damas. Mais plutôt que de porter son objectif sur la spectaculaire floraison bleue de cet arbre beyrouthin, cette remarquable photographe a choisi de resserrer son cadrage sur ses branches et leurs rangées de petites feuilles mettant en lumière leur fragilité et leur perfection. Issus de son regard qui sublime le trivial de la nature, les tirages exposés s’approchent de l’abstraction et de l’estampe. Et leur lumineux épurement offre au spectateur comme une subtile invitation à transcender la situation désastreuse qui submerge le Liban.

Même impression d’imperturbabilité chez l’artiste polonaise Malgorzata Paszko, dont les tableaux de grande dimension transportent le visiteur de la galerie dans des scènes arborées habitées par un seul personnage étendu, comme faisant une sieste estivale… Ici, l’accent est mis sur le mouvement des rayons solaires qui traversent les feuillages, se jouent des ombres et plongent parfois avec une force vertigineuse au centre de la composition dans une éblouissante expression de la luminosité de l’été.

De l’été à l’automne, il suffit d’un pas et d’une seule œuvre, pour en ressentir toute la symbolique. Accrochée sur un mur en solo, une petite nature morte, en noir monochrome cette fois, signée Etel Adnan, semble exprimer cette saison de la vie (et de la nature) où la maturité (des fruits) et le déclin (des tiges sans fleurs) se rejoignent fatalement…

Il s’agit d’une des dernières peintures à l’huile de la grande artiste. Une pièce réalisée à l’automne 2021 et dans laquelle cette peintre philosophe et poète tente d’explorer une nouvelle fois, à travers le tracé d’un pinceau intensément noir sur l’étincelante blancheur de la toile, La découverte de l’Immédiat, comme l’indique le titre qu’elle a donné à cette toute dernière série de ses écritures picturales.

Avec Li Wei, on entre de plain-pied dans le silence ouaté de l’hiver. D’un pinceau trempé dans une encre noire diluée en une infinie gamme de gris, cette artiste chinoise a composé cinq paysages délicatement brumeux et enneigés, réunis sous l’intitulé À l’écoute de la Neige. De grandes peintures sur soie patiemment réalisées au moyen de touches minuscules, que l’on dirait pixelisées. Et qui dessinent avec poésie des arbres aux branches dénudées, toujours enveloppés de brume ou recouverts de neige reflétant l’irradiante luminosité hivernale.

« Découverte de l’Immédiat », l’une des dernières huiles sur toile d’Etel Adnan (33 x 24 cm). Photo DR

Rescapée du 4 août…

Ponctuant ces quatre saisons, deux pièces, entre sculpture, céramique et installation, proposent également une réflexion lumineuse, au double sens du terme. La première, Out of Focus, est une œuvre « radicale » signée Jeanine Cohen, plasticienne belge et dernière arrivée dans l’écurie de talents d’Alice Mogabgab. Un tableau « construit » en assemblage géométrique de fines baguettes de bois, certaines laquées, d’autres laissées à leur couleur naturelle. Une structure murale qui évoque un châssis sans toile ou une fenêtre sans horizon. Et dont le jeu de baguettes peintes en recto-verso projette sur le mur ses propres ombres colorées, dessinant au fil des heures du jour, un halo lumineux aux teintes subtiles de l’arc-en-ciel, auréolant un paysage imaginaire.

Et la seconde, qui clôture cette exposition où la lumière est au cœur des préoccupations plastiques des artistes, est une œuvre chargée d’une puissante symbolique. Une sculpture en porcelaine, unique rescapée de la série Rocailles de la céramiste belge Clémence Van Lunen qui, sur le point d’être exposée dans cette galerie d’Achrafieh, avait été réduite en poussière par l’explosion 4 août 2020. Une pièce représentant un fatras de textiles enroulés, piqué de macarons, de breloques et de coquillages. Et dont la lumière irisée renvoyée par l’émail gris perle métallisé qui l’enveloppe n’est pas sans évoquer un précieux crâne déformé par les méandres de la pensée. Ou par l’agression collectivement subie…

À signaler que cette première version exclusivement féminine de « Lumières ! » sera suivie, en septembre 2022, par son pendant masculin. Une exposition collective là aussi, à laquelle prendront part des artistes de différents pays et horizons qu’Alice Mogabgab a choisi de regrouper pour leur « regard toujours tourné vers l’espoir. Celui d’un avenir serein et lumineux, en dépit de toute la noirceur qui enveloppe actuellement le monde, comme le Liban. Ce pays où est née la Nahda, cette sœur orientale des Lumières occidentales, qui avait éclairé les sociétés levantines vers les principes fondamentaux du progrès et de la liberté », tient à rappeler cette galeriste… profondément contestataire.

« Lumière ! » à la galerie Alice Mogabgab, Achrafieh, face ABC, immeuble Noura, 1er étage. Jusqu’au 13 mai, du mardi au vendredi, de 12h à 19h.

« Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. » Cette citation du philosophe allemand Kant, Alice Mogabgab l’a faite sienne. À la veille des trente ans d’existence de sa galerie, la combative galeriste s’est rebellée contre le sombre état de fait qui impose désormais sa loi au Liban. Pour ne pas...

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