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Halil Hamid, ascension et disgrâce d'un esclave ottoman

Vie et mort d’un grand vizir. Ce titre peut surprendre. On s’attend à la biographie d’un personnage important de l’histoire ottomane et on débouche en réalité sur un voyage temporel et géographique à l’intérieur de l’Empire ottoman et de la République de Turquie.

Halil Hamid, ascension et disgrâce d'un esclave ottoman

Vie et mort d’un grand vizir d’Olivier Bouquet.

Plus que d’autres historiens de sa génération, Olivier Bouquet s’implique dans le récit qu’il a composé. Dès les premières pages, l’historien est en premier plan quand il va interroger les lointains descendants de son héros dans la Turquie du XXIe siècle. Cela lui permet de déterminer les traces matérielles et le souvenir que son objet d’étude a laissé, et de décrire en même temps l’atmosphère de la Turquie d’aujourd’hui.

Le milieu d’origine, celui de la ville d’Isparta, d’aujourd’hui à hier, constitue l’étape suivante. Il permet d’aborder l’enfance d’Halil Hamid. Adolescent, il entre à la chancellerie ottomane. Si ses parents sont d’origine libre, lui devient « serviteur du Sultan » (kul), perspective d’une grande carrière mais aussi de grands dangers puisque le Sultan a droit de vie ou de mort sur lui.

On passe ainsi au fonctionnement de la méritocratie ottomane. Halil Hamid devient un cadre expérimenté grâce à son travail assidu dans les bureaux. En décembre 1779, il devient un haut cadre avec sa nomination comme chancelier. L’année suivante, il devient intendant de la Porte, une sorte de directeur de cabinet du grand vizir. En 1781, il rétrograde un peu en devenant responsable de la Marine, mais en décembre 1782 il accède à la fonction la plus haute, celle de grand vizir. Son action gouvernementale est décrite brièvement, mais l’intérêt réside plutôt dans le fait de voir la Sublime Porte de l’intérieur – description minutieuse allant jusqu’aux décors, objets et habillements.

De même, la fortune acquise par le grand vizir ainsi que ses œuvres pieuses sont détaillées. « Le grand vizir est une lune “qui ne brille qu’autant qu’il reçoit la lumière du soleil de l’État”, c’est-à-dire le Sultan. » Il n’est qu’un délégué de ce dernier et dépend en tout de lui. Les circonstances de sa disgrâce brutale sont ainsi évoquées à travers les rivalités de la classe dirigeante et les enjeux de politique intérieure et extérieure.

Il s’ensuit une longue description du voyage de l’exilé, ce qu’il a vu et ce qu’il aurait pu voir. Sa mort brutale et acceptée témoigne des vicissitudes du sort d’un kul.

La méthode d’Olivier Bouquet est bien marquée quand il décrit la résidence d’Halil Hamid : « J’imagine la résidence de ville de Halil Hamid à partir des plans et des descriptions de l’époque que je croise avec les informations dans les inventaires qui concernent les propriétés du pacha. Commençons la visite. »

Tout l’intérêt du livre réside dans cet effort d’imagination ou plutôt de visualisation, fondé sur une collecte et une étude assidues de la documentation. Le lecteur en bénéficie parce que presque à chaque page, il y a une illustration le plus souvent en couleur avec un commentaire idoine, l’iconographie étant soit d’origine ottomane soit européenne, en plus de photographies d’aujourd’hui. C’est un ouvrage somptueux qui permet de voir l’univers ottoman dans ses différentes facettes. Cela représente bien des années de travail et aboutit à une totale réussite, une fois que l’on s’habitue à la méthodologie suivie.

Vie et mort d’un grand vizir est un livre qui fera date dans l’historiographie de l’Empire ottoman et qui constitue une invitation au voyage pour le lecteur.

Vie et mort d’un grand vizir d’Olivier Bouquet, Les Belles Lettres, 2022, 680 p.


Plus que d’autres historiens de sa génération, Olivier Bouquet s’implique dans le récit qu’il a composé. Dès les premières pages, l’historien est en premier plan quand il va interroger les lointains descendants de son héros dans la Turquie du XXIe siècle. Cela lui permet de déterminer les traces matérielles et le souvenir que son objet d’étude a laissé, et de décrire en...
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