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Monde - Éclairage

Pendant que l’Ukraine est sous les bombes, un deal est imminent sur le nucléaire iranien

Alors que les Occidentaux œuvrent à faire de la Russie un paria sur la scène internationale, les négociations indirectes sur le nucléaire entre Washington et Téhéran – par l’entremise de Paris, Londres, Berlin, Pékin... et Moscou – devraient aboutir cette semaine à la conclusion d’un accord.

Pendant que l’Ukraine est sous les bombes, un deal est imminent sur le nucléaire iranien

Manifestation antiguerre sur la place des droits humains à Vienne, en Autriche, après que la Russie a lancé une opération militaire massive contre l’Ukraine, le 26 février 2022. Leonhard Foeger/Reuters

Il y a quelque chose d’assez surréaliste qui se trame à Vienne en ce moment, comme si les grandes puissances opéraient en même temps dans deux univers parallèles. Le négociateur en chef iranien Ali Bagheri s’est ainsi rendu hier dans la capitale autrichienne pour poursuivre les discussions sur le dossier nucléaire. Depuis quelques jours en effet, des officiels des pays impliqués font état d’avancées significatives dans ces pourparlers visant à sauver le Plan d’action global commun (JCPOA en anglais) conclu en 2015 entre l’Iran, les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni, la Russie et l’Allemagne, mais réduit en miettes par le retrait unilatéral du président américain Donald Trump en 2018 et la mise en œuvre d’une politique de la pression maximale contre Téhéran.

Alors que la guerre fait rage en Ukraine dans le sillage de l’invasion russe ordonnée par Vladimir Poutine, alors que l’Europe vit peut-être la période la plus grave de son histoire depuis 1945, alors que les pays occidentaux envisagent sérieusement, à l’heure de mettre sous presse, de bannir Moscou du système Swift et que, un à un, ils ferment leur espace aérien aux avions et compagnies russes, tout se passe au palais de Cobourg comme si les pourparlers indirects entre Washington et Téhéran devaient, quoi qu’il arrive, aboutir.

Peu importe que les intermédiaires entre la République islamique et les États-Unis que sont Paris, Londres et Berlin tentent, à l’instar de la Maison-Blanche, de faire de Poutine un « paria » sur la scène internationale. Peu importe que Pékin – autre entremetteur – soutienne quoique de façon prudente Moscou, lui-même go-between. Et peu importe, enfin, que le principal intéressé, Téhéran, par la voix du président Ebrahim Raïssi et de plusieurs médias locaux, se soit rangé du côté du Kremlin en invoquant la responsabilité de l’OTAN et de Washington dans le déclenchement de la guerre.

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Une forme de dissonance cognitive implicitement reconnue par le porte-parole du département d’État américain Ned Price, qui a expliqué vendredi dernier que les officiels US ne s’engageraient désormais avec leurs interlocuteurs russes que sur les sujets fondamentaux pour la sécurité nationale, justifiant cette exception par le fait que l’invasion de l’Ukraine ne « doit pas donner à l’Iran le feu vert pour développer une arme nucléaire ».

Bâtir la confiance

Selon un responsable américain interrogé samedi par l’agence de presse Reuters sous couvert d’anonymat, tout accord qui serait éventuellement conclu dans les jours qui viennent se calquerait à maints égards sur le deal de 2015. Certaines modifications pourraient toutefois prendre en considération deux éléments : les mesures punitives supplémentaires imposées en 2018 par Donald Trump d’une part; les avancées nucléaires que la République islamique a depuis réalisées de l’autre. Alors que les pourparlers se trouvent dans la dernière ligne droite, le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir-Abdollahian a déclaré samedi dernier, après un entretien téléphonique avec son homologue de l’Union européenne Josep Borrel, que son pays étudiait une « ébauche » d’accord. Une semaine plus tôt, il avait déclaré que l’Iran était prêt pour un échange immédiat de prisonniers avec Washington si ce dernier faisait montre de bonne volonté à travers le dégel de 8 milliards de dollars d’actifs iraniens bloqués à l’étranger. Le négociateur en chef américain Robert Malley avait, quant à lui, évoqué la difficulté de parvenir à une entente si Téhéran ne libère pas les citoyens américains emprisonnés.

Cette dimension revêt toutefois au sein des négociations un aspect périphérique. « Cela ne devrait pas faire partie d’un accord écrit. Il s’agit essentiellement, semble-t-il, d’une mesure de confiance qui serait liée à un autre geste, effectivement réciproque, des États-Unis, impliquant la libération d’Iraniens détenus aux USA ou ailleurs. En termes techniques, ce n’est pas du tout au cœur du marché, explique Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute à Washington. L’idée étant qu’une libération de prisonniers ou un échange, ou peu importe comment vous voulez l’appeler, serait un moyen pour les deux parties de montrer leurs bonnes intentions et leur volonté de donner suite aux accords. »

Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2021, Joe Biden a fait de sa priorité au Moyen-Orient la réactivation du JCPOA, dans un contexte général marqué par le désengagement. Mais il se heurte à une levée de boucliers issue des rangs républicains et d’une partie des démocrates qui reprochent à l’actuel locataire de la Maison-Blanche de faire trop de concessions à la République islamique et de ne pas prendre en compte le programme balistique et le réseau régional de supplétifs iraniens. Près de 200 républicains de la Chambre ont récemment signé une lettre adressée à Joe Biden déclarant que tout nouvel accord sans l’approbation du Congrès subirait le même sort que celui de 2015.

Otages contre actifs

Nommé il y a un peu plus d’un an par Washington pour mener les discussions avec Téhéran, Robert Malley avait alors fait l’objet d’une campagne de dénigrement l’accusant d’être à la fois anti-israélien et iranophile. L’une des critiques les plus cinglantes est venue de Xiyue Wang, un universitaire américain pris en otage par le gouvernement iranien pendant trois ans alors qu’il effectuait des recherches doctorales dans le pays à la fin du mandat Obama. « Pendant ma détention, M. Malley était un haut fonctionnaire de la Maison-Blanche. Il n’a joué aucun rôle positif pour faciliter ma libération », avait à l’époque tweeté M. Wang. Contacté la semaine dernière par L’Orient-Le Jour, il assimile le dégel des actifs iraniens en échange de la libération des otages au paiement d’une « rançon ». « L’Iran se sentira récompensé par la prise d’otages et continuera de prendre en otages des Américains et d’autres Occidentaux », dit-il. Pour l’ancien avocat de la famille Wang, Jason Poblete, la mise en parallèle entre prisonniers américains en Iran et prisonniers iraniens aux États-Unis est fallacieuse. « On ne peut pas vraiment parler d’échange de prisonniers. (...) Les États-Unis ne prennent pas les gens en otages », avance-t-il. Les critiques des négociations en cours soulignent que Donald Trump était parvenu à obtenir la libération de deux Américains dans le cadre d’un échange de prisonniers – M. Wang en 2019 et un vétéran de la marine américaine, Michael White, en 2020 – tout en durcissant les sanctions contre Téhéran.

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« Pour libérer les binationaux détenus injustement, il doit y avoir un certain niveau de diplomatie avec l’Iran. L’administration Trump a largement externalisé les deux échanges qui ont eu lieu sous sa surveillance, l’ancien ambassadeur Bill Richardson et d’autres en dehors du gouvernement jouant un rôle important », nuance Ryan Costello, responsable des politiques au sein du National Iranian American Council (NIAC).

Téhéran exige la libération de plus d’une douzaine de ressortissants aux États-Unis, la plupart condamnés à des peines de prison pour « violation des sanctions américaines ». De son côté, la République islamique, qui ne reconnaît pas la double nationalité, dément avoir emprisonné des binationaux dans le but d’élargir sa marge de manœuvre diplomatique. Dans les faits toutefois, les gardiens de la révolution ont arrêté au cours des dernières années des dizaines de détenteurs de la double nationalité américains ou britanniques, les accusant généralement d’espionnage ou d’atteinte à la sécurité nationale.

« Pour l’administration Biden, la libération des prisonniers est importante pour démontrer les résultats positifs du réengagement avec l’Iran. Mais cela ne sera pas satisfaisant pour les faucons, la droite et les groupes pro-israéliens qui dès le départ sont opposés par principe aux négociations sur le nucléaire », analyse Hussein Ibish. Si la conclusion d’un accord est a priori prévue cette semaine, les chances sont grandes que celui-ci ne suscite guère d’enthousiasme. Hier, la menace atomique s’est rappelée au monde, non pas par le biais de Téhéran mais de Moscou, qui a annoncé le placement au niveau d’alerte élevé de ses moyens de dissuasion nucléaire.

Il y a quelque chose d’assez surréaliste qui se trame à Vienne en ce moment, comme si les grandes puissances opéraient en même temps dans deux univers parallèles. Le négociateur en chef iranien Ali Bagheri s’est ainsi rendu hier dans la capitale autrichienne pour poursuivre les discussions sur le dossier nucléaire. Depuis quelques jours en effet, des officiels des pays...

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Comme si la menace atomique de Moscou a poussé la communauté internationale à un réengagement sérieux cette fois avec l’Iran sur le nucléaire

Antoine Sabbagha

17 h 55, le 28 février 2022

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Commentaires (2)

  • Comme si la menace atomique de Moscou a poussé la communauté internationale à un réengagement sérieux cette fois avec l’Iran sur le nucléaire

    Antoine Sabbagha

    17 h 55, le 28 février 2022

  • Forcément, maintenant il faut trouver d’urgence une alternative au gaz russe, alors…

    Gros Gnon

    17 h 44, le 28 février 2022

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