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Lifestyle - Archéologie

Que va devenir le château oublié de Beyrouth ?

Des structures antiques de Beyrouth, il ne reste que des ruines cachées au public derrière l’animation de la rue Foch, des Souks de Beyrouth et du BIEL à proximité. Ce n’est pas un hasard, mais le fruit de l’histoire complexe de la planification et de la conception de la capitale libanaise.

Que va devenir le château oublié de Beyrouth ?

Une vue panoramique de Beyrouth comprenant le château et la tour de guet avant la construction du port moderne de Beyrouth. « Souvenirs d’Orient : Beyrouth » de Félix Bonfils, 1878. Photo Bibliothèque nationale de France Gallica

La côte libanaise est parsemée de châteaux qui y ont été construits il y a des centaines d’années. Les touristes se promènent régulièrement dans les forteresses de Tripoli, Byblos et Saïda. Une ville côtière fait toutefois exception : Beyrouth. La capitale possédait autrefois un impressionnant château situé en bord de mer. Mais depuis sa construction au XIIe siècle, le paysage urbain et le littoral beyrouthin ont radicalement changé. Il ne reste des anciennes structures que des ruines cachées au regard du public par l’animation de la rue Foch, des souks et du BIEL. Ce n’est malheureusement pas dû au hasard, mais à l’histoire complexe de la planification et de la conception de la ville.

La découverte du château

Dans les années 1990 d’après-guerre, le centre de Beyrouth avait fait l’objet de fouilles approfondies qui devaient être achevées avant le démarrage de toute reconstruction. Les fouilles comprenaient les anciens souks de la ville et leurs environs, près de la place des Martyrs, où se trouvaient le théâtre Rivoli et le cinéma Byblos, moins connu. L’archéologue Leila Badre a dirigé l’une d’elles qui avait pour objectif initial de déterrer le mur phénicien et certains des plus anciens vestiges de Beyrouth constitués de briques de terre. « Personne ne pensait trouver un bâtiment médiéval ou un château », déclare l’archéologue Patricia Antaki, qui, à l’époque, venait d’achever ses études de premier cycle à l’Université américaine de Beyrouth et faisait partie de l’équipe qui creusait sur le site du centre de Beyrouth.

Un jour de 1995, alors qu’elle travaillait sur des structures de l’âge du bronze, des bulldozers qui déblayaient le sol derrière elle révèlent la présence d’une maçonnerie de pierre géante. « Nous avons réalisé que nous étions face à quelque chose de complètement différent », confie Mme Antaki. Une tranche du passé médiéval de Beyrouth refaisait ainsi surface.

Un arc pointu menant à l’intérieur du château. Photo Mohamad el Chamaa

L’histoire du château

Le château n’est pas constitué d’un seul monument. Ce sont plutôt plusieurs châteaux qui ont été construits les uns sur les autres, démolis et érigés par les nombreux conquérants qui se sont succédé sur la côte du XIIe au XIXe siècle. Le premier d’entre eux, construit en 1125 à la périphérie de la ville, près de Baabda, s’apparentait davantage à une tour de guet qu’à une forteresse défensive. Ce château a été détruit en 1157 par un tremblement de terre. Le deuxième aurait été construit après le séisme et avant la conquête de Saladin. Les archéologues estiment ainsi que le château, à son emplacement actuel, a été érigé entre 1183 et 1185, sur les ordres de Raymond III de Tripoli, par crainte que Saladin ne s’empare de la ville. Il a fallu trois ans pour en achever les travaux. Une réplique ultérieure a été édifiée à l’époque ottomane. Le château s’élevait sur une falaise rocheuse, un promontoire qui s’avance dans la mer. Son emplacement créait un fossé naturel et augmentait la capacité de défense de la structure. Il disposait de deux entrées, l’une sur la terre ferme protégée par un fossé et l’autre face à la mer. À l’époque, la protection de la ville reposait sur le château lui-même, ce qui explique que la forteresse ait été investie par plusieurs armées conquérantes. Lorsque Saladin, le guerrier kurde qui a repris Jérusalem, conquiert Beyrouth, il hisse son drapeau au sommet du château. Lors des négociations avec Richard Cœur de Lion, alors roi d’Angleterre, l’édifice devient l’un des points sensibles de Saladin. Si la ville devait être rendue aux croisés, il devait d’abord le détruire afin d’éviter qu’ils ne l’utilisent contre lui. Quoi qu’il en soit, les croisés n’ont pas réussi à reconquérir la ville, et le château y a demeuré. Néanmoins, quand Beyrouth tombe aux mains des Mamelouks en 1291, le château est rasé. Selon Patricia Antaki, les Mamelouks l’auraient détruit, car ils craignaient de ne pas être capables de le garder très longtemps si les croisés reprenaient la ville. Au XIVe siècle, le sultan Barquq construit deux tours sur les ruines du château des croisés, assorties d’un petit phare et d’une tour de guet sur un îlot proche, appelé Bourj el-Moussallah. En 1773, après s’être emparé de la ville, Jazzar Pacha détruit le château et y érige un fort beaucoup plus modeste à sa place. Mais lorsque les Britanniques envahissent Beyrouth en 1840, ils bombardent le château qui finit par être abandonné. À partir des années 1880, la tour de guet située à proximité est intégrée au port de Beyrouth et démantelée brique par brique. Les pierres ont sans doute être utilisées ailleurs pour d’autres constructions. Patricia Antaki note qu’il s’agissait d’une pratique courante à l’époque, « comme le château de Saïda qui était trois fois plus grand ».

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Le château de Beyrouth occupait autrefois une superficie de 7 120 m2, que l’archéologue classe parmi les bâtiments de taille moyenne. Les fondations des croisés ont été établies à l’aide d’une technique consistant à recycler des colonnes byzantines et romaines, et à les placer sur un mur de blocs de pierre géants. Le mur était ainsi renforcé pour parer à d’éventuelles invasions et résister aux tremblements de terre. Ces profondes fondations empêchaient les gens de creuser sous les murs pour y pénétrer. Bien qu’il ne reste aujourd’hui que peu de choses de la structure originelle, les fouilles ont permis de mettre à jour une tour de 20 mètres sur 13. Elles ont également dévoilé une grande pièce dotée d’une entrée en arc brisé, mesurant 11 mètres par 6, par 7. Il s’agissait de l’une des salles du château. À côté, se trouve un escalier actuellement recouvert de mauvaises herbes qui menait à la partie supérieure du château, complètement démolie. Les archéologues ont également localisé des douves qui ne sont pas visibles car elles n’ont pas encore été entièrement fouillées.

Vue de Bourj el-Moussallah et certaines parties du château en arrière-plan. « Beyrouth. Forts ruinés de l’entrée » de Louis Vignes, 1860. Photo Bibliothèque nationale de France Gallica

Déconnecté de son environnement

La partie du château où les navires auraient accosté a également été découverte, ce qui est difficile à imaginer aujourd’hui, car le château se trouve désormais à 140 mètres à l’intérieur des terres. La raison pour laquelle il est difficile de voir le lien entre le château et son environnement est qu’une grande partie du paysage dans lequel il se situe a radicalement changé. Tout d’abord, il n’est plus en bord de mer. C’est le résultat d’un projet massif entrepris en 1890 pour agrandir le port de Beyrouth qui bordait le château. Jens Hanssen, professeur associé d’histoire à l’Université de Toronto qui a étudié le développement urbain de Beyrouth, explique qu’en 1878, des plans ont été élaborés pour agrandir le port de Beyrouth en vue des échanges commerciaux accrus après l’ouverture du canal de Suez en 1863. L’idée derrière ce nouveau port visait à faciliter le commerce de la soie entre le Moyen-Orient et l’Europe. Cependant, le terrain ne se prêtant pas à un tel projet en raison des eaux peu profondes, les ingénieurs avaient alors choisi de creuser un bassin profond et des décharges, de lisser des falaises rocheuses et récupérer des terres sur la mer.

Un nouvel emplacement a été choisi pour le port, s’étendant de Khan Antoun Bey (aujourd’hui le bâtiment Zaha Hadid) à la périphérie du vieux Beyrouth, près de Gemmayzé. Ce projet devait engloutir le château et ses environs dans une décharge. L’idée a été mise en veilleuse pendant un certain temps, mais a refait surface au milieu des années 1880, lorsque de nouveaux investisseurs s’y sont intéressés. Une société d’actionnaires a été créée pour gérer le port, et les travaux ont commencé en 1890, sous la direction de l’ingénieur Henri Garreta. L’équipe a commencé à creuser un bassin et à construire une décharge pour le terminal portuaire qui devait accueillir les navires. Il ne restait plus qu’à démolir le château et le phare voisin.

Peu de choses ont été entreprises pour sauver le château. Hanssen note qu’il existait à l’époque une loi ottomane qui protégeait les bâtiments du patrimoine, mais la démolition du château a semblé passer entre les mailles du filet. « Un mécanisme juridique existait et aurait dû être appliqué », précise-t-il, mais ce ne fut pas le cas.

Il ajoute que cela s’explique par le fait que les marchands beyrouthins faisaient pression pour obtenir un nouveau port et que les exigences économiques l’ont alors emporté sur les besoins de la ville. Par ailleurs, rien ne semble indiquer que les habitants de la capitale y étaient particulièrement attachés. Hanssen confie qu’en effectuant des recherches sur la transformation du port, il a été surpris de ne rien trouver dans la presse locale ou dans les archives impériales ottomanes pour déplorer la destruction du château. Selon lui, la seule observation relative à la perte du château se trouve dans un livre citant un ingénieur français anonyme travaillant sur le projet et qui l’a regretté en disant : « Il peut sembler un peu sauvage de détruire les ruines qui donnaient à l’entrée de Beyrouth un aspect pittoresque », tout en notant que les habitants ne s’en souciaient guère. Grâce à ce projet, le front de mer de Beyrouth a été étendu et sa frontière maritime élargie. Le paysage autour du château a changé et s’est transformé, le dissociant ainsi de son environnement. Depuis lors, des aspects modernes de la ville se sont superposés au château, notamment une partie du réseau d’égouts de Beyrouth, qui traverse le site, et les vestiges de certains des bâtiments ottomans qui ont été construits de part et d’autre du château, probablement au XVIIIe siècle. En outre, les vestiges de nombreux bâtiments modernes datant d’avant la guerre civile sont notamment ancrés dans certaines parties du château, comme c’est le cas d’un bloc de béton avec des barres d’armature apparentes.

Le château avec des vestiges de maisons ottomanes, ainsi que les restes d’une dalle de béton moderne et des barres d’armature apparentes. Photo Mohamad el Chamaa

Le château a-t-il un avenir ?

À l’origine, l’idée était d’intégrer ces découvertes de diverses époques dans un grand parc archéologique. « Tout le monde était d’accord pour dire qu’il fallait les préserver », explique Patricia Antaki. Il y eut de nombreuses discussions à ce sujet qui n’ont mené nulle part. L’une des idées était de transformer la salle principale du château en un lieu d’exposition, mais la pièce n’a pas été entièrement fouillée et la réalisation du projet « est coûteuse », précise-t-elle.

C’est pourquoi, au lieu de ces plans grandioses, des panneaux ont été placés le long d’un petit chemin à travers les vestiges pour expliquer les découvertes. Bien que ce chemin soit ouvert au public, il n’est pas sécurisé pour la circulation piétonne, car il n’y a pas de plateforme sur laquelle marcher. Lors des protestations de masse qui ont débuté en octobre 2019, certains manifestants ont pénétré à l’intérieur et ont peint des graffitis sur les murs du château. Patricia Antaki soutient que les travaux d’excavation devraient être achevés et les ruines conservées telles quelles. « L’idée n’est pas toujours de fouiller un site de manière exhaustive, regardez ce qui est arrivé à Byblos », souligne-t-elle. Byblos qui a été entièrement fouillée, empêchant les futurs archéologues de faire leurs propres découvertes. Toutefois, elle pense qu’il est encore possible de créer un parc archéologique sur le site de Beyrouth.

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Quant à Hanssen, il déclare que « d’un point de vue pédagogique, on peut montrer les forces historiques mondiales, des croisades aux Mamelouks », en action dans ce seul monument, soulignant que le château peut être utilisé pour « raconter une histoire intéressante sur l’appropriation de l’histoire. Le passé est là, mais il est entièrement bouleversé ». Des propos auxquels Antaki fait également écho : « La ville est définie physiquement et matériellement par la présence du château. » Même si, aujourd’hui, ce dernier est à peine visible à cause des mauvaises herbes qui ont poussé.

Avec la crise inédite que traverse le Liban depuis deux ans, aucun projet de rénovation ou de préservation du site, qui n’est par ailleurs pas menacé, n’est à l’ordre du jour. Mais une meilleure connaissance de la riche histoire du château pourrait le protéger de son destin passé. « Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que... des monuments survivent dans Beyrouth », conclut Patricia Antaki.

Cet article est paru dans sa version originale anglophone dans l’édition du 9 février 2022 de « L’Orient Today »

La côte libanaise est parsemée de châteaux qui y ont été construits il y a des centaines d’années. Les touristes se promènent régulièrement dans les forteresses de Tripoli, Byblos et Saïda. Une ville côtière fait toutefois exception : Beyrouth. La capitale possédait autrefois un impressionnant château situé en bord de mer. Mais depuis sa construction au XIIe siècle, le...

commentaires (4)

Tous les vestiges, les monuments historiques et tout le patrimoine seront sauvés lorsque le Liban sera débarrassé de ces vendus voleurs. Il faut déjà sauvé le soldat Liban pour qu’on puisse espérer un jour montrer au monde que le Liban est et restera le berceau de la civilisation et non un fief de l’obscurantisme et de la terreur en tout genre. On a vu à l’œuvre la destruction d’une partie de notre patrimoine pour édifier des QG d’un parti vendu et une explosion atomique pour détruire les symboles de notre civilisation par les vendus qui se veulent protecteurs et défenseurs des droits des chrétiens.

Sissi zayyat

13 h 47, le 24 février 2022

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Commentaires (4)

  • Tous les vestiges, les monuments historiques et tout le patrimoine seront sauvés lorsque le Liban sera débarrassé de ces vendus voleurs. Il faut déjà sauvé le soldat Liban pour qu’on puisse espérer un jour montrer au monde que le Liban est et restera le berceau de la civilisation et non un fief de l’obscurantisme et de la terreur en tout genre. On a vu à l’œuvre la destruction d’une partie de notre patrimoine pour édifier des QG d’un parti vendu et une explosion atomique pour détruire les symboles de notre civilisation par les vendus qui se veulent protecteurs et défenseurs des droits des chrétiens.

    Sissi zayyat

    13 h 47, le 24 février 2022

  • Que va devenir Beyrouth l'oubliée?

    Wlek Sanferlou

    15 h 01, le 23 février 2022

  • Beyrouth a une histoire tres riche et impressionante.

    Stes David

    14 h 21, le 23 février 2022

  • Fascinant ! J’espère que ce projet puisse trouver des philanthropes locaux.

    Wow

    08 h 06, le 23 février 2022

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