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Culture - Théâtre

À la clinique du Dr Jabr, la douleur d’être né en Palestine

Grégory Bonnefont et sa compagnie « De l’âme à la vague » ont présenté samedi 12 février sur les planches du théâtre Monnot un extrait de leur prochain spectacle, « Derrière les fronts ». Une adaptation à la fois d’un documentaire et d’un livre des chroniques psychiatriques du docteur Samah Jabr.

À la clinique du Dr Jabr, la douleur d’être né en Palestine

Défendre une cause et hiérarchiser la souffrance humaine est, et restera, le combat de Samah Jabr, porté sur les planches par Grégory Bonnefont. Photo DR

Diplômée de l’université al-Quds à Jérusalem, des universités Paris VI et Paris VII à Paris et de l’Institut israélien de psychothérapie psychanalytique, Samah Jabr traite des dommages psychologiques sur les habitants de la Palestine vivant sous le joug de l’occupation israélienne, à la fois au niveau de l’individu et de la communauté palestinienne. Elle aurait pu faire carrière aux États-Unis où elle enseigne régulièrement, mais sa vie est là où elle est née, là où son peuple perd son humanité. Elle est l’une des rares psychiatres qui officient en Palestine. Pour elle, la Palestine n’est pas qu’un lieu du crime, elle est avant tout une histoire, une culture et un peuple. Depuis de nombreuses années, elle témoigne du quotidien des Palestiniens à travers de nombreux articles et conférences. Après un documentaire réalisé sur son travail et l’édition de ses chroniques sous le titre Derrière les fronts, Grégory Bonnefont, fondateur de la troupe théâtrale « De l’âme à la vague », s’empare du livre de Samah Jabr et en fait son combat, habité par la conviction qu’il se doit lui aussi de défendre l’humanité et le droit des hommes, de parler des opprimés et des oppresseurs.

Grégory Bonnefont : « Cette adaptation s’adresse aux opprimés et à ceux qui choisissent d’être solidaires des opprimés. » Photo Niko Rodamel

Aux opprimés et à ceux qui choisissent de leur être solidaires

« Cette adaptation, dira-t-il, s’adresse aux opprimés et à ceux qui choisissent d’être solidaires des opprimés. » Le séjour de recherche à Beyrouth, ville qu’il découvre, aurait dû s’effectuer en Palestine, mais est reporté maintes fois pour des raisons sanitaires et vaccinales. C’est donc à Beyrouth que le metteur en scène décide d’emmener sa troupe. Grâce au soutien de l’Institut Français de Paris et de celui de Beyrouth, grâce aux efforts de Josyane Boulos et de sa maison de production (62 Events), le voyage se prépare en quelques semaines : « Un voyage comme une manière de nous reconnecter à notre travail, affirme le metteur en scène devant le public restreint du théâtre Monnot samedi soir. Riches de tout ce qu’on a vécu cette semaine, nous vous proposons une lecture comme un extrait des moments forts, un avant-propos de la pièce finale. » Et d’ajouter : « En revanche, nous sommes venus à huit mais sans notre décor, on vous invite donc à utiliser votre imaginaire pour dialoguer avec l’histoire que nous allons vous raconter. Le but de cette adaptation n’est pas de revenir sur le pourquoi et le comment de ce conflit, ni même de revenir sur sa chronologie, qui serait très imparfaitement maîtrisée. Non ! Ici, il s’agit de partager une émotion, une sensation, une intuition et la conviction qu’une profonde injustice règne depuis plusieurs décennies en Palestine, en Israël. »

Jessy Khalil, un jeu réaliste et chargé d’émotion. Photo Niko Rodamel

Le dire, mais aussi le danser

Pour le dire, il a fallu la détermination, le professionnalisme et le courage de l’actrice libanaise Jessy Khalil, qui campe le rôle du Dr Samah Jabr. Car il ne s’agit pas simplement de maîtriser un texte ardu, mais d’interpréter la médecin, la conférencière, l’écrivaine et une humaniste qui par son acharnement a porté la voix de ceux qui ont perdu leurs voies. Après avoir été dirigée par le Dr Élie Lahoud, Betty Taoutal, Lina Khoury, Dominique Touzé et beaucoup d’autres, Jessy Khalil interprète en 2018 le rôle principal de Rim dans Al-Beyt, mis en scène par Caroline Hatem, et reçoit une mention spéciale pour son interprétation dans le cadre du Festival du théâtre libanais. Sur les planches du théâtre Monnot, elle incarne Samah Jabr. Consciente d’avoir un texte dur à retenir et parfois à lire, elle réussit à se glisser avec aisance dans le rôle du Dr Jabr, pour faire vivre au spectateur les chroniques, avec réalisme et émotion. Des chroniques qui restent néanmoins implacables dans leur constat. « Ici, quand les gens ne meurent pas, ils n’en sont pas moins détruits par leurs semblables humains. » Pour soutenir la comédienne, et donc le théâtre, à incarner la beauté du vivant, Grégory Bonnefont, qui croit en la capacité de la danse d’effectuer cette mission, fera appel à Christophe Gellon, chorégraphe, qui réussira à ajouter aux mots la force du geste et du mouvement. Lorsque Filipa Correia Lescuyer (danseuse) interprète un solo où elle se mesure presque au mur de la honte, embrasse les dossiers du docteur Jabr, les serre contre son cœur, se saisit de son écharpe comme dans un élan maternel et protecteur, elle ne répond pas uniquement aux directives du chorégraphe, elle danse la vie, elle danse la mort. Tantôt derviche tourneur, tantôt mère éplorée, elle emmène le regard du visiteur aux confins de l’indicible. Et lorsque les danseurs défilent devant le médecin, leurs corps désarticulés par la douleur, leurs yeux hagards et secs d’avoir trop pleuré, nous ne sommes plus au théâtre, nous sommes à la clinique du Dr Jabr.

Quant à la musique, elle occupe une place importante dans la pièce et traduit l’intérieur émotionnel et psychiatrique. Elle sera composée par Thomas Millot, qui n’en est pas à sa première collaboration avec Christophe Gellon. Des morceaux bien connus du public y seront intégrés, telle la chanson de Dalida Laissez-moi danser où les acteurs effectueront presque un rituel de la mort, et Filippa (qui aurait avoué à la psychiatre, après l’assassinat de son fils, avoir dansé comme un poulet après l’abattage) est puissante dans la douleur quelle veut partager. La résistance est un remède pour conserver la dignité.

Défendre une cause et hiérarchiser la souffrance humaine est, et restera, le combat de Samah Jabr, porté sur les planches par Grégory Bonnefont.

Fiche technique

« Derrière les fronts »

Chroniques psychiatriques du docteur Samah Jabr

Adapté par Grégory Bonnefont et sa troupe « De l’âme à la vague »

Actrice principale : Jessy Khalil

Dramaturge : Astrid Chabrat-Kadjan

Musique : Thomas Millot

Chorégraphie : Christophe Gellon

Production : 62 Events.

Présentation du documentaire « Derrière les fronts » :

http://derrierelesfrontslefilm.fr/

Diplômée de l’université al-Quds à Jérusalem, des universités Paris VI et Paris VII à Paris et de l’Institut israélien de psychothérapie psychanalytique, Samah Jabr traite des dommages psychologiques sur les habitants de la Palestine vivant sous le joug de l’occupation israélienne, à la fois au niveau de l’individu et de la communauté palestinienne. Elle aurait pu faire...
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Au liban ils etaient des oprimeurs et assassins

Robert Moumdjian

01 h 02, le 17 février 2022

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  • Au liban ils etaient des oprimeurs et assassins

    Robert Moumdjian

    01 h 02, le 17 février 2022

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