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Lifestyle - Archéologie

Shabwa, l’antique capitale de Hadramaout, au cœur du chaos yéménite

Un héritage culturel d’une immense valeur, à la fois pour les Yéménites et pour le reste de l’humanité, est menacé de disparition.

Shabwa, l’antique capitale de Hadramaout, au cœur du chaos yéménite

L’antique Shibam, surnommée le Manhattan du désert. Photo Jialiang Gao Creative Commons

Le Yémen, toit de la péninsule Arabique culminant à 3 760 mètres près de Sanaa, qui reçoit les abondantes précipitations des moussons de printemps et d’été, fut surnommé, au premier siècle avant J.-C., Arabie heureuse aux chapelets d’oasis par les auteurs classiques. « Le pays est fertile, le miel abondant, le bétail nombreux », rapportait ainsi Eratosthène. Shabwa est l’ancienne capitale sud-arabique de Hadramaout, un royaume qui restera prospère jusqu’au Ve siècle. Le Hadramaout désigne la vallée qui s’étend parallèlement à la côte méridionale de l’Arabie, entre les falaises abruptes des hauts plateaux et tout le bassin hydrographique jusqu’à l’océan Indien. Le paysage, modelé par les vents et les pluies depuis des millions d’années, s’étend à une altitude moyenne comprise entre 2 000 et 2 200 mètres sur des milliers de kilomètres carrés à l’est du Yémen, jusqu’au Zufâr. Sur sa bordure nord-occidentale, ce plateau, également dénommé Jol, est limité par des falaises de 100 à 200 mètres de haut, formant une impressionnante barrière naturelle, disposant ainsi d’une double façade terrestre et maritime qui servait de tête de pont aux caravanes partant vers la Méditerranée. Shabwa est alors une ville prospère composée de temples et de hautes maisons. Le palais royal, détruit par les Sabéens vers 230, est reconstruit et magnifiquement décoré de fresques et de sculptures. La cité disparaît au Ve siècle. C’est là, dans cette région aujourd’hui en proie à la guerre, que se dressent des vestiges millénaires menacés de destruction.

Plantée à 700 mètres d’altitude, Shabwa a utilisé tous ces éléments naturels pour y construire un double système défensif long de 4 000 mètres environ. Hans Hellfritz, premier voyageur occidental à atteindre le site en 1930, rapporte de sa visite des clichés publiés dans Au royaume de Saba. Le pays sans ombre. Mais c’est à Harry St. John Philby que l’on doit, en 1936, la première description détaillée des trois villages installés sur les ruines, des mines de sel et, dans l’oasis, des canaux d’irrigation, des vannes et des vestiges de champs antiques. À la suite de Philby, l’épigraphiste américain Albert Jamme s’intéresse de près aux rochers d’al-Uqla, couverts d’inscriptions mentionnant des cérémonies d’investiture royales, à une dizaine de kilomètres de Shabwa. Le premier chantier archéologique sur le site sera toutefois mené en 1974 par la spécialiste française Jacqueline Pirenne. Selon les notes d’histoire de Jean-François Breton (directeur de recherche honoraire au CNRS), au terme de six campagnes, la majeure partie d’un « monument exceptionnel », dit le château royal de Shabwa, est dégagé et des sondages effectués en de nombreux points.

Clins d’œil à la statuaire palmyrénienne

Dénommé Shaqir, l’édifice (48,80 m de long sur 36,5 m de large) s’inscrit dans la tradition sud-arabique de hautes maisons servant de forteresses. Fait d’un puissant soubassement d’appareil cyclopéen, cet édifice de grande hauteur, dépourvu de larges ouvertures (du moins au rez-de-chaussée) et à l’accès compliqué, permettait de s’y retrancher et de soutenir un siège pourvu que l’on ait accès à l’eau par son bassin latéral. Détruit par un violent incendie, le château a laissé des pans entiers de superstructures effondrées, qui ont permis la restitution, « parfois très détaillée », de certaines parties de l’édifice. Tels des fragments de panneaux de fresque, des meneaux de pierre octogonaux ornés de rinceaux et surmontés de chapiteaux à griffons, ainsi que des gargouilles en forme de bucranes servant de gouttières. « Le décor et le matériel constituent l’ensemble le plus homogène et le mieux daté jusqu’à présent de l’architecture civile sud-arabique », écrit sur le site Persée Rémy Audouin, qui fut en charge de la gestion de cet important chantier. Il indique que les peintures des portiques représentent notamment des personnages féminins coiffés et voilés à l’orientale « avec une description minutieuse des ornements vestimentaires et des bijoux ne pouvant que rappeler la statuaire palmyrénienne ». Un autre lot décline des visages masculins portant moustache et costume grec. « La palette de ces peintures présente dans les zones altérées une dominante d’ocre, de rouge et de noir ; sur les fragments mieux conservés, on identifie des jaunes, des bleus et des verts », précise-t-il. Si certains palais ou résidences princières ne sont connus que par des textes, les fouilles à l’intérieur des remparts ont mis au jour 140 bâtiments d’aspect extérieur similaire : « Des soubassements de pierre, plus ou moins bien appareillés dont les superstructures ont souvent été détruites par le feu, l’érosion et les pillages. Mais comme seule l’organisation du rez-de-chaussée et des étages permet de faire la distinction entre édifices civils et religieux, il semble difficile d’en tirer des conclusions. »

Les ruines de Shabwa, ancienne capitale du royaume de Hadramaout. Photo Creative Commons

Le Manhattan du désert

Les archéologues ont déterminé par contre, avec précision, le type de maisons bâties par de grandes familles, qui en commémorent l’édification par une dédicace (par exemple, SH / 77 / Mahdi). Ces maisons-tours à l’aspect massif et aux puissants soubassements sont hautes de deux à quatre mètres, de dix à 12 mètres de côté, aux murs intérieurs liaisonnés à l’orthogonale, déterminant des caissons bourrés de matériaux divers (terre, brique crue, etc.). « Leur fonction défensive tient à leur hauteur, à leur rez-de-chaussée aveugle, à la rareté des fenêtres et au rôle des terrasses supérieures, mais leur vulnérabilité tient à leurs boiseries », a précisé Audouin. Ce site a son pendant sur un éperon rocheux de la vallée de Hadramaout, dans la vieille ville fortifiée de Shibam, où des maisons-tours exceptionnelles s’élancent sur sept étages, ce qui lui a valu son surnom de Manhattan du désert. Le site, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, est resté identique depuis sa fondation au XVIe siècle. « D’une valeur universelle exceptionnelle, la ville de Shibam offre « l’un des plus anciens et des meilleurs exemples d’un urbanisme rigoureux fondé sur le principe de la construction en hauteur, » selon les termes de l’institution onusienne, qui tire la sonnette d’alarme. Côté maisons rurales, celles-ci sont bâties principalement en brique crue. Les habitations proches de la ville se composent de plusieurs bâtiments aux petites pièces, pavées soit d’une chape de terre, soit d’adobe (technique ancestrale de brique en terre crue moulée à la main, très décorative). Par ailleurs, plus d’une trentaine de tombes troglodytes ont été découvertes dans les environs. Pillées, elles servent désormais de réserves de fourrage. On y distingue de simples cavernes parfois précédées d’une entrée architecturée, des hypogées à salles multiples et aux niches superposées. Ces tombes cavernes s’inscrivent dans une tradition commune au Hadramaout, à l’inverse des zones sabéennes où les tombeaux ont le plus souvent la forme de tours. Selon les archéologues, les tombes de Shabwa, en raison de leurs pillages, n’ont révélé que peu de matériel et notamment « aucune de ces têtes masculines ou féminines en albâtre sur socle, si fréquentes dans les zones qatabanites et sabéennes. Elles ne renseignent guère sur les rites funéraires ».

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L’ensemble représente un héritage culturel d’une immense valeur à la fois pour les Yéménites et pour le reste de l’humanité, qui disparaît sous nos yeux. Car les monuments sont livrés aux pilleurs qui alimentent un trafic à destination des grands collectionneurs. Il y a deux ans, une experte en archéologie, française réputée, et son mari ont été inculpés à Paris dans une vaste enquête sur un trafic d’antiquités pillées dans des pays du Proche et du Moyen-Orient, dont le Yémen. Des trésors yéménites ont refait surface dans des collections privées de certains pays du Golfe, comme le Qatar ou le Koweït, assure Jérémie Schiettecatte, archéologue chargé de recherches au CNRS (Orient et Méditerranée). « Sur internet ou dans des enchères publiques, on trouve des antiquités yéménites volées en vente », ajoute l’archéologue yéménite Mounir Talal, cité par l’AFP. « Par exemple le grand trône en pierre du fameux royaume de Saba. Comment il est sorti ? Nous ne le savons pas, mais il était en vente aux enchères en Europe ou peut-être a-t-il déjà été vendu. »

Le Yémen, toit de la péninsule Arabique culminant à 3 760 mètres près de Sanaa, qui reçoit les abondantes précipitations des moussons de printemps et d’été, fut surnommé, au premier siècle avant J.-C., Arabie heureuse aux chapelets d’oasis par les auteurs classiques. « Le pays est fertile, le miel abondant, le bétail nombreux », rapportait ainsi Eratosthène....

commentaires (1)

Quel plaisir de lire un aussi beau et intéressant article . Merci .

Hamed Adel

09 h 52, le 25 janvier 2022

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Commentaires (1)

  • Quel plaisir de lire un aussi beau et intéressant article . Merci .

    Hamed Adel

    09 h 52, le 25 janvier 2022

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