Rechercher
Rechercher

La lettre aux abonnés

Le pouvoir caché du retraité libanais

Chère abonnée, cher abonné,

Question : qu’est-ce qui peut neutraliser l’enquête d’un juge sur l’une des plus violentes explosions non nucléaires au monde et couper les connexions téléphoniques et internet dans la moitié d’une capitale ? Réponse : le retraité.
Dans un Liban gavé d’armes en tous genres, voilà qu’on nous en dégaine une nouvelle, plus subtile et plus sournoise car permettant toute une gamme d’instrumentalisations.

Depuis le début de l’année, c’est à deux reprises déjà que le retraité a fait des siennes au Liban.
Dans le dernier épisode en date de la saga Tarek Bitar, ce n’est autre qu’un retraité qui a permis de neutraliser le juge en charge de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth.
Il y a quelques jours, Claude Assaf nous expliquait ainsi que le départ à la retraite d’un membre de l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fait perdre à la haute instance le quorum requis pour la tenue de ses réunions. Faute de quorum, cette instance compétente pour statuer sur les actions en responsabilité de l’État contre « les fautes lourdes » des magistrats, ne peut plus se pencher sur de tels recours. Or c’est ce genre de recours que les responsables politiques mis en cause dans l’explosion du port utilisent ad nauseam contre le juge Bitar. En conséquence de quoi, tant qu’un nouveau membre n’est pas nommé en lieu et place du retraité, le juge d’instruction ne peut ni poursuivre son enquête sur les volets concernant les plaignants, ni rendre un acte d’accusation portant sur l’ensemble de l’affaire.
Voilà pour l’effet du premier retraité.

Le second retraité est comptable. Dans ce cas, le retraité est le bouc émissaire brandi par le ministre des Télécoms pour expliquer l’arrêt de plusieurs centraux dans la région de Beyrouth pendant plusieurs heures le week-end dernier, faute de carburant pour alimenter les générateurs électriques qui y sont raccordés. « Les documents relatifs au transfert (de fonds pour acheter du fuel, ndlr) doivent être contresignées par deux comptables au sein du ministère des Télécoms. Or l’un d’eux est parti à la retraite sans être remplacé », déplorait ainsi le ministre.

Deux ans et demi après le début de la crise, les responsables de tous poils qui président encore aux tristes destinées de ce pays, ont, pour la énième fois, fait étalage de leur créativité quand il s’agit de se défausser, justement, de leurs responsabilités. En ce début d’année, c’est donc le retraité qu’ils sortent de leur chapeau sans fond pour bloquer la justice et justifier l’incurie.

Il est d’autres retraités, ou futurs retraités, dont les responsables parlent beaucoup moins : tous ces travailleurs qui, dans un pays aux filets sociaux comptant plus de trous que de mailles, ont perdu les économies d’une vie avec la crise. Des retraités dont la survie ne tient plus qu’aux quelques dollars envoyés par un fils ou une fille exilés à l’étranger, à un zaïm en campagne électorale, ou à une ONG sous perfusion internationale.

Pour que soit enfin fichue la paix aux retraités, l’on rêve, l'on prie, que d’autres, accrochés depuis trop longtemps à leurs maroquins et autres mandats, la prennent, enfin, leur retraite.

Émilie Sueur

Rédactrice en chef de L’Orient-Le Jour 

Chère abonnée, cher abonné,
Question : qu’est-ce qui peut neutraliser l’enquête d’un juge sur l’une des plus violentes explosions non nucléaires au monde et couper les connexions téléphoniques et internet dans la moitié d’une capitale ? Réponse : le retraité.Dans un Liban gavé d’armes en tous genres, voilà qu’on nous en dégaine une nouvelle, plus subtile et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut