« C’est à l’étude. » C’est ainsi que Joe Biden a répondu mercredi soir à la question de savoir si les États-Unis accéderont à la demande des Émirats arabes unis de remettre les rebelles houthis sur leur liste terroriste. Une question revenue sur le tapis suite à l’attaque meurtrière de lundi sur Abou Dhabi, imputée à des drones et à des missiles de croisière, et revendiquée par le groupe yéménite. Soutenus par Téhéran, les houthis combattent au Yémen les forces progouvernementales appuyées depuis 2015 par une coalition militaire menée par l’Arabie saoudite et dont les EAU font partie. Ces derniers rebondissements mettent Washington dans l’embarras par rapport à la politique adoptée jusque-là par l’administration démocrate sur le dossier du conflit yéménite. Il y a près d’un an, le groupe Ansarullah, de son nom officiel, était retiré de la liste terroriste dans le but proclamé de faciliter la délivrance de l’aide d’urgence au pays en guerre, embourbé dans ce que l’ONU qualifie de pire crise humanitaire au monde. Cette décision s’inscrivait dans la volonté du président démocrate fraîchement élu de prendre le contre-pied de son prédécesseur Donald Trump, qui avait désigné le groupe comme terroriste aux dernières heures de son mandat, dans sa politique de « pression maximale » contre l’Iran.
L’administration de Joe Biden prônait au contraire une politique étrangère basée sur la diplomatie et mettant l’accent sur le respect des droits de l’homme, y compris avec ses alliés traditionnels du Golfe. À son arrivée à la Maison-Blanche, le président avait tenu un grand discours de politique étrangère prenant une position ferme sur le conflit, martelant que « cette guerre doit cesser ». Dans cette perspective, il annonçait la fin du soutien américain aux opérations offensives menées au Yémen par la coalition arabe, gelant les ventes d’armes non défensives. Alors qu’Abou Dhabi est l’un des proches alliés de Washington dans le Golfe, « ces attaques vont galvaniser le soutien américain à la coalition et faciliter la justification de l’actuelle assistance militaire comme défensive », souligne Elisabeth Kendall, chercheuse en études arabes et islamiques au Pembroke College, à l’université d’Oxford. Néanmoins, nombre de responsables critiquent l’ambiguïté planant autour de la notion d’armes défensives. En décembre dernier, un groupe bipartisan de sénateurs n’a pas réussi à bloquer la vente de missiles air-air à Riyad, que Washington avait approuvée un mois plus tôt pour un montant de 650 millions de dollars, malgré les craintes existantes que cet équipement soit utilisé à des fins offensives.
En pleines négociations
L’équation est d’autant plus délicate pour les États-Unis que ces développements s’inscrivent dans le contexte des négociations indirectes qui sont en cours à Vienne sur le nucléaire iranien. L’administration américaine espère raviver l’accord de 2015, dont son prédécesseur s’était retiré unilatéralement en 2018. Si les contours d’un accord a minima se dessinent laborieusement, ce dernier n’inclura cependant ni le programme de missiles balistiques de l’Iran, ni ses activités régionales, qui devront faire l’objet de discussions séparées. Aussi, Washington et ses alliés se sont gardés de pointer un doigt accusateur vers Téhéran suite aux incidents d’Abou Dhabi, malgré les doutes émis par certains observateurs sur l’origine des projectiles. Les représailles se sont ainsi concentrées sur le terrain yéménite, notamment dans la capitale Sanaa, aux mains des rebelles depuis 2014, qui abriterait selon la coalition des lances de rampement pour missiles ainsi que des camps d’entraînement tenus par des experts iraniens et du Hezbollah libanais.
Alors que le conflit et les frappes aériennes de la coalition s’intensifient, les espoirs de parvenir à un cessez-le-feu au Yémen s’amenuisent. Pour soutenir l’effort onusien d’un processus de paix, l’administration de Joe Biden avait pourtant nommé en février 2021 un envoyé spécial pour le Yémen, Timothy Lenderking. Au cours de ces derniers mois, l’émissaire américain a multiplié les visites diplomatiques dans le Golfe, alors que les houthis relançaient parallèlement une offensive sur la province de Ma’rib, riche en hydrocarbures et dernier bastion du gouvernement dans le nord du pays. Les combats se poursuivant, le sort de cette province apparaît déterminant pour un potentiel accord entre les forces en présence. « Ceux qui ont le dessus veulent faire valoir leur avantage, tandis que ceux qui sont sur la défensive souhaitent renverser la situation militaire sur le terrain avant de négocier », résume Elisabeth Kendall.
« Compte tenu de la réticence perçue des houthis à entamer des négociations ces dernières années et de la portée de leurs missiles qui ne cessent de s’allonger, certains à Washington, Abou Dhabi et Riyad recommencent à se demander si une solution militaire ne serait pas la meilleure option au Yémen », admet Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy. En dépit des progrès effectués par les rebelles sur le terrain, les forces loyalistes ont pu reprendre la province de Chabwa et contribuer à contrer l’avancée houthie sur Ma’rib grâce au soutien accru des EAU, notamment les Brigades des géants. Si l’attaque sur Abou Dhabi semblait envoyer un message clair, la coalition au Yémen mise cependant sur l’escalade militaire. Mercredi, l’envoyé spécial américain s’est donc rendu à Riyad dans le cadre d’une nouvelle tournée pour réactiver le processus de paix, emboîtant le pas à son homologue onusien, Hans Grundberg.
« Pour le moment, l’administration Biden s’en tient à sa politique : chercher des moyens d’aider ses partenaires à Abou Dhabi et Riyad à se défendre contre missiles et drones, tout en maintenant leur opposition à toute opération offensive », estime Elana DeLozier.
commentaires (4)
pas de surprise attendue lorsque jojo bidet biden retirera le nom du hezbollah de la liste des groupements terroristes. pour le remplacer par les partisans de donald trump peut etre ?
Gaby SIOUFI
11 h 22, le 21 janvier 2022