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Moyen-Orient - Éclairage

Course d’obstacles vers la formation d’un gouvernement en Irak

Alors que le président du Parlement irakien venait tout juste d’être reconduit, la Cour fédérale à suspendu ses activités. Une démarche qui ralentit le processus de formation du cabinet, dans un contexte difficile où les deux grands groupes chiites sont à couteaux tirés.

Course d’obstacles vers la formation d’un gouvernement en Irak

Avant la suspension de ses activités, Mohammad Halboussi avait été réélu pour un second mandat en tant que président du Parlement irakien. Bagdad, 9 janvier 2022. Photo Reuters

Trois mois après le scrutin législatif d’octobre 2020, l’Irak est toujours en quête d’un nouveau gouvernement. Un timing classique puisqu’en 2010, il avait fallu attendre huit mois après les élections pour qu’un cabinet soit formé. En 2018, c’était cinq mois. Sans oublier qu’à la suite de la démission de l’ancien Premier ministre Adel Abdel Mahdi en novembre 2019, dans le sillage de l’intifada d’octobre, une vacance de poste d’une durée similaire avait eu lieu avant que l’actuel chef du gouvernement, Moustafa Kazimi, candidat de compromis entre Téhéran et Washington, ne soit nommé en mai 2020.

Les choses se sont certes accélérées le 9 janvier, mais c’était pour mieux faire marche arrière. Ainsi, alors que le président du Parlement Mohammad Halboussi venait tout juste d’être reconduit, sa confirmation a été provisoirement suspendue jeudi dernier. En cause : la contestation par plusieurs parlementaires de sa réélection. Cette décision de la Cour fédérale met à l’arrêt les activités du Conseil des représentants qui avait, en théorie, un mois pour se mettre d’accord sur le nouveau président irakien, issu comme le veut le système communautaire d’un des partis kurdes.

Invectives
La suspension de M. Halboussi – qui est aussi à la tête de l’alliance Takaddom – est le résultat d’un recours de deux députés, Mahmoud el-Machhadani et Bassem Khachan. Ces derniers estiment que M. Halboussi a été réélu de manière inconstitutionnelle lors de la session inaugurale de dimanche. Une attitude symptomatique des tensions qui traversent le pays depuis le scrutin d’octobre à l’issue duquel le mouvement du puissant clerc chiite Moqtada Sadr est arrivé en tête, tandis que l’alliance du Fateh, bras politique de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi (PMF), largement affiliée à l’Iran, a essuyé une cuisante défaite, passant de 48 à 17 sièges. Depuis octobre, les partisans du bloc pro-iranien évoquent une escroquerie et accusent pêle-mêle M. Kazimi, M. Sadr, Washington et Abou Dhabi.

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La validation des résultats par un tribunal en décembre a toutefois ouvert la voie à la formation d’un gouvernement. « Nous respectons la décision de la Cour fédérale, malgré notre conviction profonde et ferme que le processus électoral a été entaché de beaucoup de fraudes et de manipulations », a déclaré par la suite Hadi el-Amiri, le chef du Fateh. Entre-temps toutefois, la violence est montée d’un cran quand, dans la nuit du 6 au 7 novembre, la résidence de M. Kazimi à Bagdad a été visée par trois drones. Même s’ils s’en défendent, les PMF ont été les premiers à être soupçonnés.

Cette ambiance délétère n’a donc pas épargné la séance parlementaire du 9 janvier. Une session marquée par la violence verbale et physique entre les deux camps chiites : le mouvement sadriste de Moqtada Sadr et le Cadre de coordination (CC) chiite qui inclut diverses formations, dont le Fateh. Agressé, le président de la séance Mahmoud el-Machhadani a dû être hospitalisé. En conséquence, les députés du CC ont décidé de boycotter l’élection du président du Parlement, qui a quand même eu lieu.

Dans son arrêt, la Cour fédérale a précisé que le délai de 30 jours imparti d’ordinaire à partir de la session inaugurale du Parlement pour l’élection du président est toujours valable. « Cette suspension retardera le processus de finalisation d’un gouvernement, ce qui est l’objectif en fin de compte », nuance pour sa part Hamzeh Hadad, analyste politique et économique sur l’Irak.

Cet incident intervient dans un contexte tourmenté. Alors que la République islamique commémore en janvier les deux ans de l’élimination à Bagdad, dans un raid de Washington, du général Kassem Soleimani – ex-commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne –, les attaques contre les installations et les intérêts américains se sont multipliées ces dernières semaines. Si elles ne sont pas revendiquées, Washington les attribue aux milices pro-iraniennes. Selon une source militaire citée par l’AFP, les trois roquettes qui se sont abattues sur la zone verte de la capitale irakienne jeudi soir ont blessé « une femme, une fillette et un jeune garçon ».

Majorité de façade
Entre le mouvement sadriste et le CC, le conflit est ouvert. Moqtada Sadr ne jure officiellement que par l’idée d’un gouvernement de majorité, soit une rupture avec la tradition du consensus qui régnait depuis 2005. Il s’agit pour lui de se présenter comme une figure du changement. Mais l’idée d’un gouvernement de majorité est largement rejetée par le CC, à commencer par l’Alliance du Fateh ou encore par la coalition de l’État de droit menée par l’ancien Premier ministre Nouri el-Maliki, pour qui le scrutin d’octobre a acté le grand come-back sur la scène politique. Tous craignent leur marginalisation dans un tel cas de figure. Ces tensions interchiites sont aussi transposées dans les arènes sunnite et kurde. Ainsi, l’une des raisons derrière l’opposition du CC à la réélection à la tête du Parlement de Mohammad Halboussi est sa proximité depuis quelque temps avec Moqtada Sadr, alors qu’il était auparavant proche du camp ouvertement pro-iranien. Côté kurde, les deux grandes formations que sont l’Union patriotique du Kurdistan (PUK) et le Parti démocratique du Kurdistan (KDP) ont par le passé tissé un accord : à la première doit revenir la présidence irakienne, au second celle de la région autonome du Kurdistan. Mais étant donné la volonté affichée du bloc sadriste de former une alliance majoritaire avec le KDP et Takaddom, le premier semble disposé à affronter le PUK pour l’obtention de la présidence, galvanisé en cela par les résultats obtenus aux législatives. Sur les 63 sièges remportés par les partis kurdes dans le nouveau Parlement, 31 sont détenus par le KDP et seulement 18 par le PUK.

Pour mémoire

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Pour autant, l’appel à un gouvernement de majorité par les sadristes laisse perplexe. Cela signifierait assumer la responsabilité d’un échec dans un pays traversé par les crises : politique, socio-économique, écologique, etc. « Le mouvement sadriste souhaite avant tout négocier davantage de positions au sein de chaque commission publique, département, ministère et conseil provincial pour s’assurer une influence plus directe et un accès aux budgets. Risquer sa popularité à travers l’échec d’un gouvernement majoritaire pourrait nuire à son discours et à son approche populiste à l’avenir », décrypte Zeidon Alkinani, analyste sur l’Irak.

Une fois que le Parlement irakien aura choisi le président (kurde), celui-ci aura quinze jours pour désigner un Premier ministre (chiite) nommé par le plus grand groupe parlementaire, qui devra ensuite former le nouveau gouvernement. « La question n’est pas de savoir quel sera le Premier ministre, mais quel genre de candidat sera le chef du gouvernement », souligne Hamzeh Hadad. « Kazimi est très similaire à son prédécesseur Adel Abdel Mahdi. Tous deux étaient des indépendants qui ne se sont pas présentés aux élections. Ils étaient politiquement faibles et donc redevables aux blocs politiques qui les ont nommés », poursuit-il, précisant que Moqtada Sadr sera plus enclin à nommer un candidat de « compromis » dont il peut facilement se débarrasser et pour lequel il n’aura pas de comptes à rendre. Or, depuis que Moustafa Kazimi est entré en fonctions, ce dernier a conclu un marché tacite avec M. Sadr dans le but de contrebalancer les milices pro-Téhéran en Irak. Dans le même temps, la République islamique a pu tirer profit des atouts diplomatiques de M. Kazimi, et de ses bonnes relations avec les États-Unis et les pays du Golfe.

« Pour le moment, le seul candidat apparent est Kazimi », estime Zeidon Alkinani, se référant à la récente entrevue (le 10 janvier) entre le chef du gouvernement sortant et Hadi el-Amiri dans le but d’aborder leurs différends politiques actuels. « Indirectement, cela ressemble à un signe de reconnaissance de Kazimi en tant que Premier ministre », dit M. Alkinani.

Trois mois après le scrutin législatif d’octobre 2020, l’Irak est toujours en quête d’un nouveau gouvernement. Un timing classique puisqu’en 2010, il avait fallu attendre huit mois après les élections pour qu’un cabinet soit formé. En 2018, c’était cinq mois. Sans oublier qu’à la suite de la démission de l’ancien Premier ministre Adel Abdel Mahdi en novembre 2019, dans le...

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