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Moyen-Orient - Éclairage

Irak : une population menacée par l’insécurité alimentaire

L’organisation internationale NRC a publié le 15 décembre un rapport alarmant au sujet de l’impact de la sécheresse sur les agriculteurs dans le pays.

Irak : une population menacée par l’insécurité alimentaire

Un garçon marche dans un champ agricole asséché de la région de Saadiya, au nord de Diyala, dans l’est de l’Irak, le 24 juin 2021. Ahmad al-Rubaye /AFP

Ce sont des chiffres qui en disent tout aussi long sur l’impact du réchauffement climatique en Irak que sur l’incurie des autorités ou encore la vulnérabilité d’un pays face à la voracité de ses voisins. Les années passent, la situation va à vau-l’eau à mesure que l’eau, justement, se raréfie. Le dernier rapport du Norwegian Refugee Council (NRC) est sans appel : l’insécurité alimentaire menace aujourd’hui une famille sur deux dans les régions irakiennes touchées par la sécheresse. C’est ce qui ressort d’une enquête conduite auprès de 2 800 ménages agricoles vivant dans les gouvernorats de Anbar, Bassora, Duhok, Kirkouk, Ninive, Salaheddine ou encore de Dhi Qar. Selon l’organisation internationale, 37 % des producteurs de blé et 30 % des producteurs d’orge ont subi cette année des pertes d’au moins 90 % de la récolte attendue. Autre témoignage quantitatif du désastre en cours, près de 37 % des ménages ont perdu du bétail, des moutons ou des chèvres au cours des six derniers mois, en raison d’un manque d’eau, d’une alimentation inadéquate ou d’une maladie. Le revenu mensuel moyen dans six des sept provinces concernées par l’étude est passé en dessous du panier de dépenses minimum de survie. Les journaliers doivent jouer des coudes pour trouver du travail. Et, pour un cinquième des foyers interrogés, il n’y a jamais assez à manger pour tout le monde à la maison.

Exode rural

Comment l’Irak en est-il arrivé là? Une combinaison de facteurs. « Le pays connaît une hausse des températures et une baisse des précipitations depuis plus d’une décennie maintenant. Ce qui est différent cette année, ce sont des niveaux bas records, aggravés par d’autres facteurs, notamment une mauvaise gestion des ressources et de nouvelles réductions du débit d’eau dans les principaux fleuves, le Tigre et l’Euphrate », explique à L’Orient-Le Jour Ahmad Bayram, conseiller média pour NRC au Moyen-Orient. « Cela a créé un mélange préjudiciable pour les communautés à travers le pays. Elles nous disent qu’elles ont subi des pertes sans précédent de récoltes, de bétail et de revenus », poursuit-il.

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Des déséquilibres qui mènent à un fléau majeur, l’exode rural. « Les terres sont progressivement abandonnées et les personnes se tournent vers d’autres emplois précaires », souligne le propriétaire d’une entreprise agricole qui préfère garder l’anonymat. « Nous assistons à un phénomène de migration vers le centre-ville de Bagdad dans le but de trouver du travail loin de l’agriculture », ajoute-t-il. Une personne interrogée sur 15 dans le cadre de l’enquête de NRC évoque le départ d’un membre de sa famille vers la ville. « Dans de nombreux cas, cela signifie qu’il n’y aura personne pour s’occuper de la terre pour la prochaine saison, ce qui aggravera son assèchement. Et c’est ainsi que le cercle vicieux se répète », résume Ahmad Bayram.

La mauvaise gestion par les autorités inclut un acheminement inégal des ressources en eaux selon les régions, ainsi que l’incapacité à mettre à jour des infrastructures de distribution vétustes. « Elles sont dans un état lamentable. Avec les techniques d’acheminement actuelles, on perd près de 70 % de l’eau potable. Certaines stations de traitement sont hors d’usage et datent des années 70 », décrypte Ali Alkarkhi, à la tête du Conseil de l’association Humat Dijlah, une initiative de la société civile lancée en 2012 dans le but de sauver le patrimoine mondial du Tigre de l’impact jugé néfaste, entre autres, des barrages. M. Alkarkhi souligne également le problème de la surconsommation d’eau par les citoyens dans un contexte d’amenuisement.

Les barrages de la discorde

Taleb Ali al-Zubeidi, 49 ans, travaille dans le commerce de matériels agricoles et possède avec son collaborateur des fermes dans la province de Diyala, dans l’est du pays, « près de 300 dunums de terres », précise-t-il. Il accuse aujourd’hui l’incurie du ministère des Ressources en eau et des autorités locales dans la région. « Sur le fleuve Diyala, il y a un barrage, le barrage de Hemrin. Théoriquement, la réserve en eau devrait suffire pour deux ans, même si aucune goutte de pluie ne tombe », avance-t-il. D’après lui, le pays aurait besoin de plus de puits à court terme et de plus de barrages à long terme pour soulager les agriculteurs.

La question des barrages suscite pourtant bien des controverses. D’abord, parce qu’elle reflète un rapport de force avec la Turquie ou encore l’Iran, qui est nettement défavorable à l’Irak. La baisse des niveaux d’eau du Tigre et de l’Euphrate est en grande partie attribuée aux projets de barrages en amont mis en œuvre chez les voisins. Alors que la crise climatique touche tout le monde et que les demandes en or bleu se font plus croissantes, c’est à qui détournera le plus efficacement les eaux régionales en sa faveur. « Des négociations ont commencé au début des années 90 avec la Turquie et la Syrie sans toutefois aboutir en raison de la faiblesse irakienne à l’époque durant le siège économique », commente le chef d’entreprise précité en référence à l’embargo imposé par Washington à Bagdad dans le sillage de l’invasion du Koweït par ce dernier.

Selon les spécialistes, le déversement d’eau par le Tigre et l’Euphrate en Irak a diminué de 50 % au cours des dernières années. « Ces deux pays violent le droit à l’eau des Irakiens, le droit à l’eau de n’importe quel citoyen vivant dans cette région du monde. La Mésopotamie souffre d’un manque d’eau et ils se réapproprient les ressources de la région. C’est tout simplement du vol », s’insurge Ali Alkarkhi. Les activistes pour l’environnement n’ont pas seulement les barrages turcs ou iraniens dans le collimateur, mais aussi les « faits maison ». « L’eau doit pouvoir circuler librement. Nous n’avons pas besoin de barrages supplémentaires. Les nôtres sont soit vides, soit à moitié pleins. À quoi cela servirait-il d’avoir plus de moyens de stockage artificiels ? », dit Ali Alkarkhi. « Même avec les barrages et réservoirs existants, seules 250 000 des trois millions de terres irrigables peuvent être approvisionnées avec les quantités nécessaires », abonde Ahmad Bayram.

D’après les Nations unies, l’Irak est aujourd’hui le cinquième pays au monde le plus vulnérable au changement climatique. Près de sept millions d’Irakiens sont aujourd’hui directement affectés par une sécheresse extrême. À court terme, NRC insiste sur l’importance de soutenir à travers une aide financière directe les agriculteurs et les populations déplacées et de mettre à jour les infrastructures d’irrigation. « À plus long terme, le gouvernement irakien et le gouvernement régional du Kurdistan devraient élaborer des plans au niveau local en consultation avec les petits agriculteurs eux-mêmes. Il doit y avoir des plans de gestion des ressources en eau efficaces ainsi qu’un élément d’atténuation du changement climatique dans les emplois créés au niveau national », dit Ahmad Bayram.

Ce sont des chiffres qui en disent tout aussi long sur l’impact du réchauffement climatique en Irak que sur l’incurie des autorités ou encore la vulnérabilité d’un pays face à la voracité de ses voisins. Les années passent, la situation va à vau-l’eau à mesure que l’eau, justement, se raréfie. Le dernier rapport du Norwegian Refugee Council (NRC) est sans appel :...

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