Encore un camouflet infligé à Michel Aoun. Les adversaires du président de la République ont réussi à mettre en échec son initiative visant à rassembler tous les protagonistes autour d’une table de dialogue national qu’il avait qualifié d’« urgent ». Perçu comme une ultime tentative de sauver un mandat au bilan déplorable à quelques mois de son expiration en octobre prochain, cet appel avait été rejeté par plusieurs composantes politiques de l’opposition pour qui la priorité est désormais de se préparer aux échéances électorales cruciales prévues dans quelques mois. Si Michel Aoun tente de redorer son image à quelques mois de sa sortie de Baabda, ses détracteurs, bien au contraire, veulent surtout éviter de renflouer le mandat et marquer des points contre le camp du président.
Bien que contraint de renoncer à son initiative, Michel Aoun n’a pas voulu s’avouer vaincu. Dans un communiqué publié par Baabda à l’issue de deux jours de concertations, principalement menées avec les protagonistes gravitant dans l’orbite du Hezbollah, le chef de l’État a affirmé qu’il laissera la porte ouverte au dialogue, accusant ses adversaires, mais sans les nommer, d’être responsables de la poursuite du blocage dans le pays. Seuls le Hezbollah et quelques formations qui lui sont alliées ont répondu favorablement à l’appel du président. L’ex-Premier ministre et leader sunnite Saad Hariri, le chef des Forces libanaises Samir Geagea, et le leader druze Walid Joumblatt figurent parmi les principaux ténors politiques qui ont dit non au dialogue. Le chef du courant Marada Sleiman Frangié, pourtant allié du Hezbollah, a lui aussi rejeté cette initiative.
« Ceux qui bloquent et refusent le dialogue se connaissent bien et les Libanais les connaissent aussi. Ils assument la responsabilité des pertes financières de la population et de l’État de ses ressources », a accusé M. Aoun dans son communiqué. Le président a ensuite fait savoir que son invitation « reste ouverte, en espérant que ceux qui la boycottent fassent primer l’intérêt national (...) et acceptent le plus tôt possible que ce dialogue se tienne (...) ». Il s’est aussitôt attiré les foudres de Hussein el-Wajeh, conseiller du leader du Futur Saad Hariri. Sur son compte Twitter, M. Wajeh s’est indigné de la « paranoïa » et du « déni dans lequel est plongé le mandat », rappelant que Michel Aoun a bloqué la présidentielle pendant deux ans pour pouvoir accéder lui-même à Baabda. Dans une critique implicite à peine voilée adressée à son allié chiite, le Hezbollah, qui boude avec le mouvement Amal le gouvernement de Nagib Mikati depuis trois mois déjà sur fond de désaccord sur l’enquête autour de l’explosion au port de Beyrouth, Michel Aoun a estimé que la poursuite de ce boycott était « un crime ». « Le blocage continu du Conseil des ministres constitue un blocage intentionnel au plan de relance financier et économique sans lequel il ne peut y avoir de négociations avec le Fonds monétaire international, ni d’aides, ni de réformes, a prévenu le chef de l’État. Cela en soit est un crime impardonnable commis contre le peuple libanais. »
Les aounistes en colère
Cette nouvelle critique verbale du président à l’encontre du tandem chiite intervient au lendemain de propos virulents tenus mercredi par le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil depuis Baabda. Le gendre du président a fait assumer au Hezbollah, au mouvement Amal et au Premier ministre Nagib Mikati la responsabilité de la léthargie gouvernementale. « Le blocage des institutions est une des principales pommes de discorde avec le Hezbollah. Cette question devrait être discutée, parce que la paralysie est intolérable », commente pour L’Orient-Le Jour Alain Aoun, député CPL de Baabda.
Parallèlement à la mise en échec du dialogue, la rue s’est à nouveau mobilisée pour protester contre la détérioration de la situation économique et sociale. Plusieurs routes ont été bloquées hier dans le cadre du « jeudi de la colère » auquel avaient appelé la Confédération générale des travailleurs au Liban et le syndicat des transporteurs routiers, dont les responsables sont réputés proches du pouvoir, notamment du président de la Chambre Nabih Berry.
La grève d’hier porte-t-elle donc un message en direction du chef de l’État ? Les milieux aounistes répondent par l’affirmative. « Nabih Berry met des bâtons dans les roues au mandat. Mais il n’est pas le seul », affirme César Abi Khalil, député CPL de Aley. Il s’empresse d’y ajouter les Forces libanaises, « ainsi que tous ceux qui seront lésés par l’audit juricomptable », principal cheval de bataille du camp de la présidence à l’heure actuelle. « Les gens sont dans la rue pour protester contre la mauvaise situation économique, alors que le gouvernement qui devrait résoudre ces problèmes est bloqué par un camp bien déterminé », fustige Alain Aoun, dans une claire critique du tandem chiite, qu’il accuse implicitement de mobiliser la rue face au président de la République.
De leur côté, les milieux de Aïn el-Tiné rejettent ces accusations. « Nous ne sommes pas en confrontation avec le président. Preuve en est, nous avons accepté de participer au dialogue. Mais c’est lui qui nous affronte dans tous les dossiers », accuse un proche du président de la Chambre. Mais pour le politologue Karim Bitar, « la confrontation entre Michel Aoun et ses détracteurs est passée à la vitesse supérieure, à l’approche des élections et de la fin du mandat ». « Ils veulent lui dire qu’il ne peut plus faire grand-chose, et qu’ils ne vont pas le renflouer », explique-t-il, excluant toutefois une dérive dans la rue. « Le Hezbollah n’a aucun intérêt à laisser les choses dégénérer. Il continuera d’appeler ses deux alliés (Amal et le CPL) à la retenue », décrypte-t-il.
Notre chroniqueur politique Mounir Rabih croit savoir lui que la mobilisation de la rue est certes un message de Nabih Berry à Michel Aoun, mais aussi à Nagib Mikati, qui ne pourra relancer son équipe qu’à travers un accord politique élargi. Malgré les récentes déclarations du Premier ministre concernant une proche convocation du Conseil des ministres pour examiner le projet de budget 2022, rien ne prête à croire que le cabinet pourra reprendre ses réunions, surtout que le ministre des Finances Youssef Khalil, qui gravite lui aussi dans l’orbite de Nabih Berry, n’a toujours pas finalisé l’élaboration du texte. « Nous ne voulons que voir le juge Bitar appliquer la loi », dit à ce sujet le proche de M. Berry. La position du duo chiite n’a donc pas changé : priorité à l’affaire Bitar avant tout déblocage de la crise gouvernementale. M. Mikati reste toutefois confiant qu’il « est interdit que le gouvernement tombe et que son chef fasse marche arrière », comme il l’a déclaré hier au site al-Modon.
« Qu’il soit patient, l’heure n’est pas encore à la relance du cabinet, le ministre des Finances n’ayant pas finalisé l’avant-projet de budget », lance le proche de M. Berry.
commentaires (10)
Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir la réalité en face alors qu'il dispose de son sens visuel. Les réalisation de Aoun depuis son apparition: - Guerres de 89-90: Perte des pouvoirs du Président de la république. Mise sous occupation Syrienne du Liban pour 15 années. Pertes économiques inestimables encore mais qui s'estime a plus de 30 milliards US$. - Accord de St Michel: Mise sous occupation et influence Iranienne du pays. Explosion de la corruption. Destruction des infrastructures de l’état (Électricité, eau, communications, sante, etc...). Paupérisation du peuple. Perte de plus de 60 milliards de US$. déconstruction de nos relations internationales, etc... etc... etc... et j'en passe. Si après tous cela il nous faut encore lui dire merci, franchement c'est prendre les gens pour des c...s! Libre a tout un chacun de voir sa dignité piétinée et se comporter en mouton. Peu pour moi, je préfère garder la dignité du peuple résistant et fier des années 80 que celle dépressive et destructive de la génération Aoun. Au moins les Libanais avaient encore de la dignité alors!
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 18, le 17 janvier 2022