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Société - Éducation

Entre grève des enseignants et pandémie, le retour à l’école compromis

Nombre d’établissements privés ont ouvert leurs portes ce lundi. Les écoles publiques, elles, sont restées désespérément vides.

Entre grève des enseignants et pandémie, le retour à l’école compromis

À l’heure où la monnaie locale s’effondre chaque jour un peu plus bas dans un contexte de crise sans précédent, c’est une nouvelle grève qu’annoncent les enseignants du public et d’une partie du privé. Photo d’illustration Bigstock

La journée de lundi devait marquer le retour de tous les élèves du pays sur les bancs de l’école après de longues vacances de Noël de 24 jours, Covid-19 oblige. Le ministre de l’Éducation Abbas Halabi l’avait annoncé et confirmé. Mais les écoles publiques sont restées désespérément vides par manque d’enseignants et de personnel. Les institutions éducatives privées, elles, ont effectué leur rentrée en rangs dispersés : les établissements de prestige ont repris les cours en présentiel, les autres ont fait une rentrée en hybride ou à distance dans l’espoir d’une reprise en présentiel le 17 janvier au terme d’une baisse du pic épidémique, ou alors se sont carrément abstenus. Une réalité liée, en apparence, à la pandémie de coronavirus, au nombre élevé de contaminations et à la circulation du très contagieux variant Omicron. Et ce après les craintes exprimées par les parents d’élèves quant à une recrudescence des contaminations dues aux réunions familiales festives. Mais qui s’est avérée n’être qu’une pression ferme exercée par les enseignants sur le ministre de l’Éducation Abbas Halabi pour rappeler qu’avec leurs salaires qui ne valent même plus 100 dollars pour certains du fait de la dépréciation de la livre libanaise face au dollar, ils ne peuvent plus se permettre ne serait-ce que le coût de l’essence pour se rendre à leur travail. Sans l’octroi des indemnisations sociales et de transport, promises en début d’année scolaire, l’année académique risque de se terminer en queue de poisson. Le 11 octobre dernier, les enseignants de l’école publique, en grève lors de la rentrée scolaire, n’avaient suspendu leur mouvement qu’après les promesses du ministre de l’Éducation d’injecter 70 millions de dollars dans le secteur. Des promesses qui ne se sont pas concrétisées.

L’impossible plein d’essence

À l’heure où la monnaie locale s’effondre chaque jour un peu plus bas (un dollar s’échangeait hier à environ 32 000 LL) dans un contexte de crise sans précédent, c’est une nouvelle grève qu’annoncent les enseignants du public et d’une partie du privé menés par leurs syndicats respectifs, leurs revendications n’ayant pas été prises en considération. Une décision irrévocable, promettent les enseignants du public, qui parlent plutôt de « boycott du retour ». « Nous traversons une période difficile. Mais l’État ne sent pas la souffrance des gens, celle des enseignants en particulier », accuse le président de la Ligue des enseignants du secondaire public Nazih Jebbaoui. « Nos salaires ne nous permettant pas de faire le plein d’essence pour nous rendre à l’école, ni même d’assurer à nos enfants de quoi manger, nous avons décidé de boycotter la rentrée du deuxième trimestre », martèle le syndicaliste. Fait rare, la décision est quasi unanime au niveau des enseignants du public, qu’il s’agisse de l’éducation de base, secondaire, technique ou professionnelle, les syndicats étant connus pour être manipulés par les partis politiques au pouvoir et pour étaler leurs divergences.

« Pour une fois, nous avons pris la décision à l’unanimité, car l’injustice qui nous touche nous rassemble », confirme Nisrine Chahine, représentant le Comité des enseignants contractuels et intermittents de l’école publique. Elle rappelle que les conditions des contractuels sont encore plus dures, ils touchent leur salaire avec plusieurs mois de retard et un tarif à l’heure extrêmement bas sans bénéficier d’indemnités de transport. Des conditions devenues intolérables avec l’effondrement de la livre. Et si le ministre de l’Éducation a promis de réviser les conditions salariales des contractuels, rien n’a été fait jusqu’à présent pour cause de « blocage gouvernemental » et de « faillite étatique ». « Abbas Halabi nous demande une nouvelle fois de retourner en classe. Mais sur quelles bases ? Devons-nous vendre nos maisons pour le retour à l’école ? » demande Nisrine Chahine, qui rappelle que certains enseignants touchent encore des salaires d’un million de LL, soit une trentaine de dollars. « Dans ce cadre, et alors que les élèves du public n’ont bénéficié que de 20 jours d’école jusque-là, nous n’avons d’autre solution que de considérer l’année scolaire comme terminée », annonce-t-elle, déplorant la « disparition du secteur éducatif public » au Liban.

Une abstention qui pourrait être reconduite

Même abstention, moins formelle toutefois, de la part des enseignants du privé. Dans un communiqué, le président du syndicat des enseignants du privé Rodolphe Abboud, qui est également directeur d’établissement, rappelle qu’avec l’effondrement de la valeur de leurs salaires, des milliers d’enseignants n’arrivent plus à assurer les besoins vitaux de leurs familles. « Nos salaires n’ont pas été revalorisés, contrairement à nombre de travailleurs qui ont vu leurs salaires versés en dollars. Et nous devons payer de notre propre poche les tests PCR », gronde M. Abboud. Le syndicaliste assure n’être « pas un adepte du blocage ». Il affirme toutefois que « cette semaine d’abstention risque d’être reconduite » si les revendications des enseignants ne sont pas prises en considération. Il se défend toutefois de prendre les élèves en otage. « Nous sommes prêts à reprendre les cours dès que possible », promet-il.

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C’est dans ce cadre que nombre d’institutions éducatives privées ont rouvert leurs portes ce lundi. Pas concernées par la grève enseignante, elles ont conclu un accord avec leurs enseignants moyennant des réajustements de salaires ou des primes occasionnelles versées en dollars grâce à des levées de fonds. Avec l’objectif, si tout se passe sans accroc, d’assurer aux élèves une année scolaire complète. « La majorité des professeurs et des élèves étaient présents », salue le recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour, le père Charbel Batour, évoquant une certaine souplesse en cette première semaine de trimestre compte tenu des conditions sanitaires. Même constat au Collège Melkart, où « les cours ont repris en présentiel, sauf pour les quelques professeurs et élèves positifs qui ont assuré une présence à distance », affirme le directeur académique de l’institution Faouzi Makhoul. Si le bien-être et l’intérêt des enseignants sont primordiaux, les deux chefs d’établissement reconnaissent que ces mesures pour « soutenir » leurs enseignants sont « ridicules » vu l’effondrement constant de la monnaie locale. « Tout ce que nous faisons reste limité et insuffisant en l’absence d’une solution à l’échelle nationale », observe le père Batour. « La hausse accordée en début d’année est dérisoire. Mais nous continuerons », promet M. Makhoul.

Les six échelons désormais dérisoires

D’autres ont opté pour la prudence. Pas question pour le Collège des sœurs Antonines de Roumié d’effectuer une rentrée sans s’assurer de la baisse du taux des contaminations après les fêtes. « Nombre d’élèves et d’enseignants ont été contaminés. Les cours sont donc assurés à distance jusqu’au 17 janvier », indique la directrice de l’établissement, sœur Bassima Khoury. Une décision également prise par la direction du Collège patriarcal de Raboué qui ouvrira ses portes lundi prochain « par précaution sanitaire », assure son directeur Léon Kilzi. En ces temps de crises multiples, les préoccupations financières des institutions privées s’invitent immanquablement dans les considérations sanitaires.

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