Tu te révoltes, on te fait taire.
Tu croises les bras, on te dit que tu ne fais rien pour ton pays.
Tu critiques un politicien, on te reproche de ne pas en critiquer un autre.
Tu les critiques tous, on te dit qu’ils ne sont pas tous coupables.
Tu désespères, on te dit que c’est à cause des gens comme toi que le pays n’avance pas.
Tu trouves une lueur d’espoir, on te taxe d’idéalisme.
Tu parles du Hezbollah, on te somme de baisser la voix.
Tu es jeune et tu veux partir, on te dit que tu trahis ta patrie.
Tu es jeune et tu veux rester, on te dit que tu le regretteras.
Tu es adulte et tu refuses de tout laisser derrière toi, on te dit que tu fais du mal à tes enfants.
Tu es adulte et tu quittes d’ici, on te dit que le pays avait besoin de toi.
Tu cries ta colère, on banalise tes dires.
Tu te tais et on te dit que tu devrais te révolter.
Tu écris un article parce que les mots sont ta seule tribune, les lettres ton arme et tes idées ta force, on te dit que ça ne servira à rien.
Mais moi, j’ai un rêve et une plume, et je compte bien en faire quelque chose.
Où sommes-nous dans l’océan de la corruption ? Cela fait deux ans que nous ramons, que la tempête se fait de plus en plus violente et que le pays s’enfonce inexorablement dans une crise à tous les niveaux, nous ne voyons plus le point de départ et encore moins la ligne d’arrivée, et ce si elle existe.
Deux ans que nous sommes en apnée, que nous cherchons en vain une planche de salut et que nous invoquons les cieux pour le luxe d’une vie « normale ».
Deux ans que nous sommes pris en otage par d’anciens criminels de guerre qui ont troqué leurs kalachnikovs contre des costards cravates et qui pillent tout ce qui revient aux Libanais. Je vous laisse deviner les conséquences de ces crimes offusqués par leurs traditionnels slogans creux « Le Liban va bien » : pas d’électricité, ni d’infrastructure, ni d’éducation gratuite de qualité, ni de couverture universelle de soins de santé, ni de services étatiques dignes de ce nom…
Je ne suis malheureusement pas en position de présenter des solutions, mais je peux déceler les sources des problèmes qui minent notre vie depuis bien plus longtemps que deux ans. Tout a commencé il y a trois ou quatre décennies, lorsque les gouvernants ont décidé de faire passer leurs propres intérêts avant l’intérêt de notre pays, autrement dit, de trahir la patrie. Le patriotisme ne compte plus et il est remplacé par une sorte de « parti-otisme », littéralement culte du parti et de son dirigeant. Les décisions ne viennent plus du Liban, mais proviennent plutôt d’une coalition de pays qui ont désormais la mainmise sur notre nation comme si elle était la leur, et pleins d’autres abominations dont le peuple n’a pas encore conscience. Ce fut le début d’un fléau qui n’a pas de visage, mais qui gangrène le Liban inlassablement depuis l’époque de la guerre civile et qui sévit à tous les niveaux.
Je condamne vivement la politique, dont l’exercice semble indissociable de la corruption, cette politique libanaise qui n’est autre, à mes yeux, qu’une guerre sans effusion de sang, qu’un jeu de marchandage d’âmes, dont les pions sont les citoyens, sur le damier du sol libanais.
À ceci s’ajoute le confessionnalisme, à savoir le partage du pouvoir entre communautés religieuses. Du président et des ministres aux emplois les plus modestes, les postes sont répartis selon les critères communautaires, indépendamment du potentiel de chacun et de ses capacités. Ainsi, on ne doit pas être surpris si un homme de 80 ans, malade et épuisé, représente le pays devant toutes les nations. Dans la même mesure, on ne peut pas être surpris qu’une personne extrêmement brillante se voit refuser un poste « pour aucune raison », comme ils disent. Népotisme obscène, factions, passe-droits, dessous de table sont tout aussi courants dans la société, ce qui donne lieu à un système dysfonctionnel et incompétent qui endigue le développement du pays.
Le règne de l’impunité constitue le mal le plus vil. Le Liban a toujours été la scène d’une multitude de crimes, d’injustices criantes, d’attentats… Le peuple a toujours eu droit à des images douloureuses de rescapés paralysés, de blessés, de familles endeuillées, de quartiers dévastés… Mais jamais à l’annonce salvatrice d’un nom de coupable. Le temps passe, panse les blessures et aguerrit le peuple. Et puis, l’oubli. Le silence. À croire que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire. Lokman Slim, Gebran Tuéni, Samir Kassir, Pierre Gemayel… le 4 août, qui arrache les âmes de 210 innocents… l’humiliation journalière des Libanais… des délits anonymes, que des délits anonymes. Le Liban est un pays démocratique, en théorie uniquement. S’il l’était pratiquement, l’État de droit, l’un des principes fondamentaux de la démocratie qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir politique, ainsi que l’égalité des gouvernés et des gouvernants devant la loi et le tribunal, ne serait pas mis à l’écart. Ce règne de l’impunité a assez duré. Nous sommes sujets à une caste criminelle qui ne fait que réclamer à cor et à cri les activistes politiques qui dévoilent leurs atrocités au public, mais qui se mure obstinément dans le silence quand on leur demande où les sommes colossales appartenant à l’État se sont dilapidées, comment un homicide tel que la double explosion au port a pu se produire, ou pourquoi tout notre argent à présent dévalué est confisqué dans les banques et on ne peut les récupérer qu’au compte-gouttes.
Mais à quoi s’attendre lorsque nous sommes dirigés par une ligue mafieuse dont la vénalité n’est plus à prouver ? Par des ministres de l’Agriculture qui n’ont jamais eu de la terre entre les mains, des ministres de l’Économie qui n’ont jamais connu la faim, des ministres du Travail qui n’ont jamais dû transpirer tout un mois pour un salaire qui ne couvre pas le tiers de leurs dépenses, des ministres de l’Environnement qui visitent les forêts du Liban une fois par an en costume, des ministres de l’Énergie qui n’ont pas pu assurer de l’électricité 24/7 pour les citoyens, des ministres de l’Éducation nationale qui n’ont jamais goûté au calvaire d’être étudiant en temps de pandémie, de pseudo guerre, d’hyperinflation…
L’État est quasi inexistant. La communauté internationale est absente ou plutôt présente symboliquement. Elle juge que le Liban est un pays du tiers-monde, donc il est normal que son peuple souffre. Trop meurtri pour pouvoir le sauver, trop dangereux pour le visiter, chantier des réformes trop compliqué pour y changer quelque chose, juste assez beau pour admirer ses cartes postales, donc elle l’abandonne, comme la plupart des expatriés, d’ailleurs, pour qui la nation devient un lointain souvenir.
Les maux du Liban sont innombrables, je pourrais passer des jours à les égrener ainsi, une terre de 10 452 km2 qui agonise, à croire que les 40 820 plaies qui saignent encore et toujours ne suffisaient pas.
Y mettre des mots ne pourra pas les panser, mais au moins, il pourra faire penser le peuple …
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