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Société - Gouvernance

L’adoption de lois inapplicables, une « imposture » libanaise

C’est un véritable cri d’alarme qui a été lancé à l’issue de recherches menées récemment par une dizaine de spécialistes, lors d’un séminaire ayant réuni une centaine d’acteurs du secteur public qui ont débattu des résultats.

L’adoption de lois inapplicables, une « imposture » libanaise

Le terme « escroquerie juridique » est revenu à la bouche de nombreux intervenants réunis dans le cadre d’un séminaire, pour dénoncer « une avalanche de lois » que les législateurs libanais savent irréalisables en raison de l’incapacité de l’État à les mettre en application. Photo d’illustration Bigstock

Halte à la non-application et à l’inefficacité des lois, entrave à l’État de droit, et halte à l’inflation législative qui donne aux citoyens libanais l’illusion du changement à travers une multitude de normes inopérantes, puisque non assorties de moyens administratifs et budgétaires pour les exécuter. La Fondation libanaise pour la paix civile permanente, avec le soutien de la Fondation Konrad Adenauer, a récemment organisé un séminaire pour dénoncer ce que les participants ont décrit comme une « imposture » des législateurs qui instrumentalisent souvent la loi pour faire croire à des réformes, plutôt que de se soucier de placer la légalité au service de l’intérêt général.

De nombreuses personnalités du monde politique, judiciaire, administratif et des médias se sont réunis à Beyrouth pour un workshop au cours duquel ont été débattus les résultats d’un programme de recherche sur l’effectivité des lois, effectué pendant six mois par une dizaine de spécialistes. Le terme « escroquerie juridique » est revenu à la bouche de nombreux intervenants pour dénoncer « une avalanche de lois » que les législateurs savent irréalisables en raison de l’incapacité de l’État à les mettre en application.

Antoine Messarra, membre de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, a d’emblée dénoncé « l’exploitation démagogique et l’instrumentalisation de la symbolique de la loi pour duper l’opinion publique ». « La loi n’est ni un exercice rédactionnel, ni un moyen politique pour faire croire au changement, ni un moyen de se dédouaner vis-à-vis des institutions internationales et des observatoires des droits de l’homme », a-t-il martelé, insistant sur la nécessité de ne plus élaborer des lois dont la probabilité de mise en œuvre est minime. « Quand la société pâtit d’un manque d’application des législations, elle ressemble à une jungle où les rapports sont chaotiques », note M. Messarra pour L’Orient-Le Jour.

« Paperasse »

Parmi les règles non appliquées, la loi sur l’enrichissement illicite. Sa mouture initiale, qui date de 1953, a fait l’objet de plusieurs amendements dont le dernier date d’octobre 2020. Antoine Messarra juge à cet égard que « la fréquence excessive d’amendements législatifs est un moyen politique de faire croire de manière populiste qu’on travaille pour de meilleurs changements ». Rana Akoum, juge de l’exécution et conseillère à la cour d’appel du Metn, a qualifié pour sa part la loi sur l’enrichissement illicite de « paperasse ». En effet, malgré les diverses modifications qui y ont été apportées, la loi n’est toujours pas concrétisée : aucun responsable dont le patrimoine est démesuré par rapport à ses revenus légitimes n’a été sanctionné.

Le qualificatif de « paperasse » convient également à la loi sur le droit d’accès à l’information. Votée en 2017 dans une optique de transparence et de lutte contre la corruption, cette loi impose aux ministères et organismes publics de délivrer des informations et documents sur leurs mécanismes d’action, décisions et bilans à tout citoyen qui en fait une demande écrite. Or très souvent, le requérant n’obtient pas satisfaction en raison de réticences suspectes à fournir les données, mais aussi à cause d’une incapacité à le faire en raison d’une mauvaise informatisation et d’un archivage obsolète des documents.

Les participants au séminaire ont par ailleurs mis en exergue le fait que, trop souvent, les lois ne sont pas suivies de décrets d’application. La responsabilité en incombe au pouvoir exécutif qui a la charge d’émettre de tels décrets. Exemple de ces lois inopérantes : la loi sur l’enseignement primaire obligatoire qui, près de 25 ans après son adoption (1997), n’est toujours pas mise en œuvre. Idem pour la loi sur l’Autorité de régulation du secteur de l’énergie : votée en 2002 pour créer une instance indépendante chargée d’organiser et de contrôler ce secteur, elle continue de subir des tiraillements politiques autour de la réduction des prérogatives du ministre de l’Énergie.

Des lois appliquées de manière non unifiée

Lors de son intervention, le secrétaire général du Parlement, Adnane Daher, a pour sa part dénoncé l’« intrusion » de cavaliers budgétaires, des dispositions législatives non financières incluses dans la loi portant sur le budget national, tels que la nomination de fonctionnaires à des postes vacants, par exemple. « Ces dispositions économiques, fiscales et administratives ont un caractère permanent contraire à l’annualité de la loi du budget », a-t-il fait observer. Antoine Messarra critique aussi cette pratique, déplorant qu’« elle conduit à un vote rapide des lois sans examen préalable ».

Même lorsqu’elles sont appliquées, de nombreuses lois ne le sont pas de manière unifiée, ont par ailleurs noté plusieurs participants. « Pour une même loi, un ministre ou un directeur général publie souvent une circulaire qui contredit celle émise par son prédécesseur », indique à ce sujet M. Messarra. Il fait également état « de circulaires contradictoires publiées par divers ministères concernés par un même texte », en référence aux volets fiscal, financier, immobilier, municipal… que peut avoir une même loi. Autant de divergences qui relèvent d’« un manque de discipline législative », déplore Adnan Daher.

Culture civique

Si les pouvoirs législatif, exécutif et administratif portent une grande part de responsabilité dans le désordre dû à l’ineffiicacité des lois, la population n’est pas en reste, ont fait observer nombre d’intervenants, évoquant la transgression du code de la route, la violation de l’interdiction de fumer dans les lieux publics clos… Philippe Bremer, responsable au sein de la Fondation Konrad Adenauer, a mis dans ce cadre l’accent sur la nécessité de « la promotion de la culture civique ». Des pistes d’actions ont été proposées, notamment par l’ancienne directrice du Palais de justice Mayssam Noueiri, pour qui nombre de lois ne sont opérationnelles que si elles sont assorties de programmes d’acculturation démocratique de la société.

Parmi les autres recommandations, la mise sur pied de gouvernements qui ne seraient pas de « mini-Parlements », ceci pour permettre à la Chambre des députés d’exercer plus aisément son contrôle sur le suivi des applications des lois votées. D’autres solutions concernent notamment les administrations (municipalités ou autres) et les syndicats professionnels, que les chercheurs ont exhortés à appliquer les dispositions législatives qui concernent leurs sphères respectives.

Halte à la non-application et à l’inefficacité des lois, entrave à l’État de droit, et halte à l’inflation législative qui donne aux citoyens libanais l’illusion du changement à travers une multitude de normes inopérantes, puisque non assorties de moyens administratifs et budgétaires pour les exécuter. La Fondation libanaise pour la paix civile permanente, avec le...

commentaires (7)

Ce séminaire est un constat de generalites; sans un plan concret d’amélioration ,soit dans la digitalisation, soit dans l’uniformité des circulaires, etc.. ce séminaire ne sert qu'a constater ce que le public sait déjà

Kettaneh Tarek

20 h 59, le 06 janvier 2022

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Commentaires (7)

  • Ce séminaire est un constat de generalites; sans un plan concret d’amélioration ,soit dans la digitalisation, soit dans l’uniformité des circulaires, etc.. ce séminaire ne sert qu'a constater ce que le public sait déjà

    Kettaneh Tarek

    20 h 59, le 06 janvier 2022

  • Il faut se rappeler que le droit (des textes à la place et au rôle des juridictions) est un outil politique qui participe à l'organisation d'une communauté. Une règle posée ne peut se suffire à soi-même, il faut systématiquement observer le contexte (culturel, économique, etc...), apprécier les moyens (humains, matériels, etc...) et examiner la place conférée à l'avenir par la sanction de cette règle en cas de méconnaissance. Cet article est très intéressant car il permet de mettre le doigt non pas sur l'impunité que l'on ressasse sans cesse mais sur le travail législatif dès son origine. Un mal politique de plus... Mais rassurons-nous, Michel et Hassouna sont là pour nous sauver

    Georges Olivier

    14 h 09, le 06 janvier 2022

  • FOURMIS ET ABEILLES ET D,AUTRES ESPECES ANIMALES ONT DES SOCIETES OU LEURS LOIS PREVALENT. SEULES LES SOUS ESPECES ANIMALES QUI GERENT EN TOUT NOTRE PAYS AU LIEU DE SOCIETES FORMENT DES BORDELS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 29, le 06 janvier 2022

  • LE CLIENTELISME ET LES PISTONS PREVALENT POUR PRONONCER LA JUSTICE AU LIBAN. LE FAIBLE ET PAUVRE EST CONDAMNE ET LE FORT PISTONNE ET RICHE EST INNOCENTE. IL N,Y A PAS DE JUSTICE DANS CE PAYS. COMME TOUT AU LIBAN LA JUSTICE EST UN BORDEL.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 47, le 06 janvier 2022

  • Je ne sais pas si le boycott d'Israël est inscrit dans la loi mais mon téléphone et mon ordinateur sont bourrés de propriété intellectuelle israélienne qui fait vivre des dizaines de milliers d'ingénieurs israéliens, leurs familles et donc, au moins indirectement, l'État Israélien. Cela me désole et me fait vivre dans une insupportable clandestinité et la peur permanente de me faire arrêter. Je saurais gré aux lecteurs de l'Orient le Jour, surtout à ceux proches des services de sécurité de l'État libanais ou de nos héros professionnels supplétifs, de m'indiquer les marques de matériel électronique ne contrevenant pas au boycott de l'ennemi.

    M.E

    11 h 43, le 06 janvier 2022

  • Ça, c’est l’état des lieux de la déliquescence de l’Etat. Ce n’est pas seulement de la paperasse, mais le signe d’une bureaucratie (droit d’accès à l’information) qu’on dénonçait, il y a longtemps, dans les régimes totalitaires. Qui mieux que le cardinal de Richelieu, et qui n'était pas n'importe qui, pour résumer : "Faire une loi et ne la pas faire exécuter, c’étoit autoriser la chose qu’on vouloit défendre". En français de nos jour, c’est autoriser l’enrichissement illicite qu’on voulait défendre. Le niveau le plus bas de "Beyrouth mère des lois".

    Nabil

    08 h 16, le 06 janvier 2022

  • La non-application des lois est, en effet, une spécialité libanaise. si l'on s'insurge devant tel ou tel action illégale, on s'entend invariablement répondre quelque chose u genre: "Bienvenue au Liban". Certaines lois sont effextivement inapplicables, soit qu'elles ont été volontairement rédigées pour cela, soit, faite de moyens. Mais il en existe, comme le code de la route ou la règlementation de la chasse qui ne posent d'autre problème que la non-volonté de les appliquer. Il manque, au Liban, une loi ultime: celle qui ferait obligation aux forces de l'ordre de ... faire respecter la loi!

    Yves Prevost

    07 h 31, le 06 janvier 2022

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