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Nos Lecteurs ont la Parole

Samir Geagea : le regard des uns et des autres...

Le chemin de vie de Samir Geagea a dépassé son village natal, Bécharré, pour devenir national. Ce texte a pour vocation d’essayer de déterminer l’impact de cet homme sur la vie politique libanaise, car force est de constater qu’il ne laisse pas indifférent. Basculer son chemin de vie d’un parcours universitaire en médecine pour prendre les armes afin de défendre une cause nécessite de considérer que ce but est plus important que d’être médecin. L’histoire s’écrit avec le temps et il est toujours relatif de s’adonner à une écriture immédiate d’autant plus que l’action politique de Samir Geagea est toujours en cours. Cependant, nous pouvons dégager quelques éléments : il faut tenter d’étudier sa place dans l’histoire de sa région d’origine, ensuite dans celle des Forces libanaises (FL), puis dans celle des chrétiens du Liban et, enfin, dans l’histoire du Liban.

Au niveau de Bécharré, il est connu que la famille Geagea ne fait pas partie des grandes familles traditionnelles de cette région. Mais aujourd’hui, l’influence de Samir Geagea dans cette région dépasse celle des « maisons » traditionnelles. L’émergence de son pouvoir n’a pas suivi le chemin habituel : transmission héréditaire d’un pouvoir familial, pouvoir d’un magnat financier... Son pouvoir s’est établi à travers une organisation, militaire puis politique, celle des FL dont il est devenu le chef. De plus, son mariage en 1990 avec un membre d’une grande famille de Bécharré, Sethrida Taouk, l’a aidé également à consolider sa place dans la région, sans que ceci ne soit le facteur principal, mais certainement une « cerise sur le gâteau » qui a contribué à adoucir l’image du combattant qu’il est. Le couple Geagea forme un tandem unique dans la vie politique libanaise : simultanément, chacun joue un rôle politique, lui en tant que chef de parti et elle en tant que députée. Un regard rétrospectif permet de confirmer la nouveauté de cette situation avec quelques exemples : Nazira Joumblatt (1890-1951) a pris un rôle politique exceptionnel après l’assassinat de son mari Fouad en 1921. Zalfa Chamoun (1910-1971) était une femme du monde brillante, très active, mais qui n’a pas joué un rôle politique institutionnel. Nouhad Souhaid (1932-2016) jouera un rôle politique après le décès de son époux Antoun. Myrna Boustani (1937-...) sera élue députée après le décès brutal de son époux Émile en 1963... Aucune des épouses des hommes politiques actuels n’est impliquée dans la vie politique. L’exercice de la politique par les deux membres d’un couple est unique au Liban, et même rare ailleurs en Europe.

L’histoire des FL retiendra que Samir Geagea a consolidé d’une façon durable la base de cette organisation depuis l’assassinat du président Bachir Gemayel. Les précédents chefs n’ont pas su, ou pu, ou voulu pérenniser leurs actions. Du point de vue idéologique, il est resté dans la continuité de la pensée de Bachir Gemayel. Le chef des FL marquera l’histoire des chrétiens du Liban à plus d’un titre, à travers de multiples événements. Il serait fastidieux de détailler le pour et le contre des accusations proférées à son encontre concernant des événements tragiques de la guerre du Liban. Quelle que soit la personne accusée, jeter un homme à la vindicte populaire, sans jugement indépendant et libre, est une injustice. La société chrétienne du Liban devrait s’agripper à l’État de droit, dont beaucoup doutent, mais qui doit rester un objectif suprême, quelle que soit l’opinion qu’on peut porter sur Samir Geagea. Dans son livre Les paysans (1844), Honoré de Balzac écrivait que « persécuter un homme en politique, ce n’est pas seulement le grandir, c’est encore en innocenter le passé ». Sans le vouloir, Hassan Nasrallah, lors de son intervention après les incidents de Tayouné et son attaque virulente contre Geagea, a « brillamment » confirmé les propos de Balzac.

Une observation historique nous permet de constater que c’est le parcours global d’un homme politique qui est retenu, nonobstant les épisodes équivoques. J’en prends comme exemple Bachir Gemayel : malgré le « samedi noir », les opérations de Ehden et Safra, il est devenu une figure mythique des chrétiens du Liban et même au-delà, car ce qui a marqué, ce sont ses idées, son honnêteté, son mépris pour la petite politique. L’exemple de Youssef bey Karam est aussi parlant : n’a-t-il pas pris les armes contre un autre maronite, le révolutionnaire Tanios Chahine qui pourchassait les féodaux ? Et pourtant ce que l’histoire retient de lui c’est le héros des batailles pour l’indépendance de la montagne du Liban vis-à-vis des Ottomans. L’histoire a ses raisons que le présent ne comprend pas toujours.

Par ailleurs, l’administration par Samir Geagea de la région chrétienne de 1986 à 1989 est reconnue par certains observateurs indépendants comme une période de sécurité et de prospérité. L’histoire des chrétiens du Liban ne peut que s’arrêter sur son emprisonnement pendant 11 ans sans procès indépendant et libre, et sans que ceci n’altère ses convictions. Dans un pays où la plupart des hommes politiques changent de veste suivant l’intérêt du moment, cette fidélité à des principes, qu’on les partage ou non, ne peut qu’être reconnue par l’histoire.

La place de Samir Geagea dans l’histoire du Liban se construit maintenant. Pour l’essentiel, ses positions politiques sont les mêmes. Comme Hassan Nasrallah, mais à l’opposé de l’échiquier politique... Un homme politique peut réussir sa vie en gravant les échelons, de député à ministre, à Premier ministre, à président de la République. Cependant, l’histoire ne retient pas nécessairement ce type de politique : de Gaulle est passé dans les manuels de l’histoire, surtout en tant que résistant et moins en tant que président de la République, Mandela en tant que combattant de la liberté et moins en tant que président de l’Afrique du Sud... L’organisation de la société libanaise fera en sorte que Samir Geagea ne fera jamais l’unanimité. Aucune personnalité historique au Liban ne l’a d’ailleurs obtenue. L’augmentation actuelle de sa popularité dans la rue sunnite montre que les convictions de ce personnage, ainsi que leur régularité, touchent des cultures religieuses différentes. Jusqu’où ?

« L’histoire d’une vie, quelle qu’elle soit, est l’histoire d’un échec », disait Jean-Paul Sartre, car « le coefficient d’adversité des choses est tel qu’il faut des années de patience pour obtenir le plus infime résultat ». Si nous acceptons cette réflexion, rien ne peut motiver une vie sans un espoir solide que toutes les difficultés seront dépassées. Il me semble que l’essentiel dans la vie politique, dans la vie tout court, c’est le bonheur d’accomplir ses idées, ses convictions. Cette vision de l’engagement est probablement la réelle motivation de Samir Geagea. L’histoire le confirmera ou l’infirmera.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le chemin de vie de Samir Geagea a dépassé son village natal, Bécharré, pour devenir national. Ce texte a pour vocation d’essayer de déterminer l’impact de cet homme sur la vie politique libanaise, car force est de constater qu’il ne laisse pas indifférent. Basculer son chemin de vie d’un parcours universitaire en médecine pour prendre les armes afin de défendre une cause...

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