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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Pour Abou Dhabi, Ankara et Doha, Kaboul pourrait ouvrir des portes à Washington

Trois pays ont exprimé leur intérêt pour la gestion de l’aéroport de la capitale afghane dans un souci d’assurer la stabilité du Moyen-Orient. Mais surtout pour soigner leur image à l’international, notamment auprès des États-Unis. 

Pour Abou Dhabi, Ankara et Doha, Kaboul pourrait ouvrir des portes à Washington

Un taliban sur le tarmac vide de l'aéroport de Kaboul en Afghanistan, le 8 décembre 2021. Photo AFP

Sujet d’intérêt régional, l’aéroport de Kaboul est l’objet de préoccupations sécuritaires concernant l’Afghanistan. En tant que principal point d’entrée et de sortie du pays, il est un moyen de collecter des renseignements et de surveiller allées et venues alors que des groupes terroristes transnationaux sont présents sur le territoire afghan. Cet été, en pleines scènes de débâcle liées au retrait précipité des forces étrangères présentes dans le pays, l’aéroport de la capitale avait été la cible d’une attaque meurtrière par la branche afghane de l’État islamique. Récemment, des responsables américains ont signalé le risque qu’une attaque soit conduite dans les prochains mois contre des pays occidentaux par des groupes basés en Afghanistan tels que l’État islamique ou el-Qaëda.

La précarité de la situation sécuritaire dans le pays et ses retombées potentielles pour la région sont une des raisons qui poussent notamment la Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis à s’intéresser à Kaboul. « Plus important encore, les trois pays estiment que jouer un rôle important en Afghanistan renforcera leurs relations avec les États-Unis », analyse Salim Çevik, chercheur au think-tank allemand Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP).

Depuis son retrait chaotique cet été, Washington doit compter sur ses alliés susceptibles de garder un pied dans le pays, notamment aux endroits stratégiques comme les aéroports. En ce sens, Ankara et Doha se sont conjointement portés candidats pour obtenir la gestion de l’aéroport de Kaboul le mois dernier, après avoir signé entre eux un protocole d’accord portant également sur quatre autres aéroports afghans. Selon le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, Abou Dhabi aurait « suggéré une gestion trilatérale » de l’aéroport de Kaboul avec ses anciens rivaux turcs et qataris, sans toutefois « avancer de propositions concrètes ». Le ministre turc a révélé qu’une société émiratie gérait la partie civile de l’aéroport de Kaboul avant la prise de la capitale par les talibans cet été. La partie militaire était quant à elle sous administration turque, alors que le pays participait avec 500 hommes à la mission de l’OTAN dans le pays. Préalablement pressentis pour gérer l’aéroport après le départ des troupes américaines, les Turcs ont été pris de court par la prise de pouvoir fulgurante des talibans et essayent désormais de concrétiser ce projet avec le concours du Qatar. « D'un point de vue occidental, il n’y a pas vraiment de préférence, que ce soit Ankara, Doha, Abou Dhabi, ou les trois ensemble, mais il serait souhaitable que l’un d’eux ou tous les trois prennent en charge ce projet », clarifie Sajjan Gohel, directeur du département Sécurité internationale au sein de la Asia-Pacific Foundation.

Maximiser les sentiments positifs de Washington
« Les trois pays veulent être utiles à l’administration de Joe Biden et aux États-Unis et devront vraisemblablement calibrer pour cela leurs relations avec les talibans afin de maximiser les sentiments positifs de Washington à leur égard », résume Fatemeh Aman, chercheuse non-résidente au Middle East Institute. N’ayant jamais eu de forces de combat en Afghanistan, le seul pays membre à majorité musulmane de l’OTAN entretient, relativement, de bonnes relations avec les talibans et avec leur parrain international, le Pakistan. Forte de ces liens et de son expérience dans la gestion de l’aéroport de Kaboul, « la Turquie espère faire pression sur les États-Unis en démontrant son rôle particulier et sa capacité à assurer la sécurité », indique Salim Çevik du SWP.

Et cette stratégie semble porter ses fruits. Alors que l’administration de Joe Biden s’était initialement montrée froide envers la Turquie – en raison notamment de leurs différends sur la Syrie ou sur l’achat par Ankara de missiles russes S-400 –, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, a déclaré récemment que la Turquie était un « allié important au sein de l’OTAN » ainsi qu’un « partenaire inestimable dans la région ».

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Sachant que la Turquie et le Qatar sont par ailleurs alignés sur de nombreux dossiers régionaux, « les deux pays se complètent en tant que partenaires sur un projet commun, et pourraient contribuer de manière importante à reconstruire l’État afghan », souligne Fatemeh Aman. Depuis l’ouverture du bureau politique des talibans dans la capitale qatarie en 2013, Doha a su jouer un rôle essentiel de médiateur entre le groupe islamiste et les États-Unis, permettant de conclure l’accord de février 2020, prélude au retrait des troupes étrangères du pays. Accueillant aujourd'hui de nombreuses ambassades délocalisées pour l’Afghanistan, le Qatar veut continuer à capitaliser sur ses bonnes relations avec les talibans pour garder la main sur les médiations autour du dossier afghan. L’administration américaine a notamment signé un accord avec Doha, faisant de l’émirat gazier sa « puissance protectrice » en Afghanistan, chargée notamment de représenter ses intérêts, et officialisant son rôle dans l’évacuation des Afghans à risque éligibles à l’émigration vers les États-unis.

Obstacles à la stabilité
Si le soutien des EAU au régime taliban entre 1996 et 2001 les a empêchés d’occuper une place importante dans le dossier afghan après l’invasion américaine, la fédération émiratie cherche à revenir dans le jeu sous les auspices favorables de Washington. Abou Dhabi a ainsi facilité les évacuations en direction des États-Unis et accueilli l’ancien président afghan Ashraf Ghani qui a fui précipitamment le pays face à l’avancée éclair des talibans sur la capitale. Poursuivant une politique d’ouverture et voulant jouer un rôle de stabilisateur régional, les Émirats agissent dans l’intérêt de Washington qui continue de se désengager de la région. L’intérêt émirati pour une gestion tripartite de l’aéroport de Kaboul s’inscrit dans un contexte de rapprochements entamés il y a près d’un an avec la fin du blocus du Qatar, dont la dernière occurrence a été la visite inédite du prince héritier émirati Mohammed ben Zayed au président turc Reccep Tayyip Erdogan en novembre dernier. « Les EAU veulent prendre pied en Afghanistan pour faire contrepoids au Qatar », nuance cependant Salim Çevik, posant la question de l’effectivité d’une collaboration entre les Turcs, les Qataris et les Émiratis.

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D'autres obstacles compromettent déjà cette potentielle coopération tripartite qui sonnait comme une promesse de stabilité et de sécurité régionales. En premier lieu, la contrepartie que pourrait exiger le gouvernement afghan, sachant que parmi les talibans, « il y a de nombreuses factions différentes avec leurs propres agendas et certaines sont des groupes terroristes », précise Sajjan Gohel. A ce jour, la reconnaissance internationale du gouvernement, dont certains membres sont sous sanctions internationales pour terrorisme, est conditionnée à la formation d’un cabinet plus inclusif et aux garanties du respect des droits de la femme et des minorités. Aucun État ne veut être le premier à reconnaître le régime taliban. « Un isolement international accru ne forcera pas les talibans à se rendre. Une telle pression ne fera que les pousser vers des groupes terroristes transnationaux et leurs ressources financières », prévient toutefois Fatemeh Aman. Empêcher la résurgence de ces groupes, à l’origine de l’intervention américaine dans le pays il y a plus de 20 ans, ne sera donc pas chose aisée, alors que les forces étrangères ne sont plus les bienvenues dans le pays. Apparemment pas toutes les forces étrangères néanmoins. « Des rumeurs laissent entendre que les talibans pourraient autoriser la Chine à avoir une présence dans le pays », indique Sajjan Gohel, ce qui ne devrait pas rassurer Washington. 

Sujet d’intérêt régional, l’aéroport de Kaboul est l’objet de préoccupations sécuritaires concernant l’Afghanistan. En tant que principal point d’entrée et de sortie du pays, il est un moyen de collecter des renseignements et de surveiller allées et venues alors que des groupes terroristes transnationaux sont présents sur le territoire afghan. Cet été, en pleines scènes de...

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