Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Éclairage

2021 : le Qatar sur tous les fronts

Alors que le petit émirat cherche à consolider son statut de médiateur dans la région, il reste étroitement surveillé par la communauté internationale, notamment en ce qui concerne les violations des droits humains.

2021 : le Qatar sur tous les fronts

L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. Photo d’archives AFP

En quelques mois, les planètes se sont alignées pour le Qatar. Depuis son retour dans le giron des pays du Golfe suite au sommet historique d’al-Ula en Arabie saoudite en janvier dernier, le petit émirat se veut désormais sur tous les fronts : Afghanistan, Libye, conflit israélo-palestinien ou encore négociations entre les États-Unis et la République islamique sur le nucléaire iranien... Après avoir placé ses pions au cours de ces dernières années pour se démarquer de ses voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Doha a intensifié ses efforts diplomatiques en vue de se positionner comme un médiateur incontournable dans la région. Adoptant une approche moins polarisée que ses voisins, l’émirat table sur sa capacité à « parler à tout le monde », consolidée dans le cadre du blocus au cours duquel il s’est rapproché de Téhéran et d’Ankara, bêtes noires de Riyad et d’Abou Dhabi. Par pragmatisme en ce qui concerne le premier, avec lequel il partage l’un des plus grands champs gaziers offshore, par idéologie aussi pour le second, avec lequel il partage une vision régionale basée sur l’islam politique.

« Dans le Golfe, le Qatar risque moins qu’auparavant en menant une politique étrangère autonome, surtout depuis que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite travaillent à la désescalade dans la région, en particulier avec l’Iran et la Turquie », souligne Eleonora Ardemagni, chercheuse à l’Italian Institute for International Political Studies (ISPI). « En tant que petit État, le Qatar s’est créé une forte identité de niche en tant que médiateur et hub pour la résolution de conflits », fait remarquer pour sa part Mehran Kamrava, professeur d’administration publique à l’Université de Georgetown au Qatar. Une stratégie qui a pleinement porté ses fruits l’été dernier, alors que l’émirat s’est retrouvé sous les feux des projecteurs internationaux dans le sillage du retrait américain d’Afghanistan et du retour au pouvoir des talibans. Si Riyad et Abou Dhabi ont fait preuve de prudence à l’égard de la mouvance fondamentaliste, avec laquelle ils avaient entretenu des liens étroits dans les années 1990, Doha s’est distingué de ses voisins par sa capacité à tirer son épingle du jeu diplomatique. L’émirat, qui héberge le bureau politique des talibans depuis 2013 à Doha et qui a accueilli les négociations entre Washington et les insurgés afghans qui ont pavé la voie à un accord en février 2020, s’est empressé d’appeler à une transition pacifique du pouvoir tout en étant applaudi par les Occidentaux pour son investissement dans les opérations d’évacuation de Kaboul. « Beaucoup de pays sont intervenus pour participer aux évacuations en Afghanistan, mais aucun n’en a fait plus que les Qataris », assurait encore en septembre dernier le secrétaire d’État américain Antony Blinken, au cours d’un déplacement dans l’émirat. Plusieurs pays y ont également transféré leurs diplomates et ambassades alors basés à Kaboul, sur fond de considérations sécuritaires. « À bien des égards, les développements en Afghanistan ont résulté non pas en l’émergence mais en la réémergence du Qatar en tant qu’acteur diplomatique de taille », estime Mehran Kamrava.

Marge de manœuvre limitée

Toujours considéré comme un soutien important de nombreux mouvements islamistes proches des Frères musulmans, l’enjeu pour l’émirat est toutefois de maintenir une certaine neutralité. « Doha doit trouver un équilibre entre les talibans et ce qui reste des institutions afghanes reconnues, les positions saoudiennes et iraniennes, les priorités américaines et chinoises », indique Eleonora Ardemagni. « Pour les Qataris, cet équilibre complexe est le seul moyen de préserver les bénéfices de son rôle de médiateur – en termes d’influence et de prestige – tout en contenant les dangers possibles liés au fait d’être surexposés », souligne-t-elle. Les ambitions du petit émirat comportent cependant des limites. Bien que Doha se soit montré disposé à de multiples reprises cette année à jouer les entremetteurs entre Washington et Téhéran pour la relance des négociations sur le nucléaire iranien, ses propositions sont restées lettre morte et son influence sur ce dossier reste particulièrement limitée. Même scénario pour les pourparlers entre le royaume saoudien et la République islamique, qui lui ont préféré Bagdad pour amorcer des contacts directs au cours de ces derniers mois.

Lire aussi

Doha franchit un nouveau pas dans sa relation avec Riyad

Le climat régional de cette année, combiné à la pandémie du Covid-19, a également permis à l’émirat de renforcer sa stature internationale à coup d’aides financières. Doha a fourni du matériel médical et des hôpitaux de campagne à certains États de la région, à l’instar de la Tunisie, où Doha entretient des rapports étroits avec le parti islamo-conservateur Ennahda. À Gaza, où il maintient des contacts avec le Hamas lui permettant de jouer le rôle de facilitateur avec l’État hébreu, Doha a négocié le mois dernier la reprise de son assistance matérielle et financière et sa distribution d’aides à travers l’ONU à des familles en difficulté. En juillet, le chef de la diplomatie qatarie, cheikh Mohammad ben Abdel Rahmane al-Thani, s’est également rendu au Liban pour multiplier les rencontres avec des dirigeants politiques et a promis d’aider le pays à relancer son économie, prenant ainsi le contre-pied de Riyad et Abou Dhabi, qui voient d’un mauvais œil la mainmise du Hezbollah sur le pays.

Étroitement surveillé

Sur le plan économique, l’appréciation du prix du pétrole et du gaz cette année a remis le Qatar sur les rails tout comme la confiance dans le marché qatari. « Cela a toujours été une nécessité pour l’émirat de faire de 2021 une année charnière, après des prix du gaz bas et la pandémie qui a interrompu ses plans de diversification économique », indique Tobias Borck, chercheur au Royal United Services Institute. « Le fait que le Qatar n’ait pas riposté au blocus en bloquant l’approvisionnement en gaz de Dubaï a renforcé la confiance des entreprises internationales. Nombreuses sont celles qui ont transféré leur siège à Doha », note pour sa part Sultan Barakat, directeur du Center for Conflict and Humanitarian Studies at the Doha Institute. Alors que les contraintes pour se déplacer en raison du Covid-19 s’allègent, Doha table également sur une diplomatie sportive accrue pour élargir ses réseaux à l’international. Les investisseurs qataris ont, par exemple, permis en août dernier le transfert pour un montant colossal de Lionel Messi du FC Barcelone au Paris Saint-Germain tandis que l’émirat s’apprête à inaugurer le Grand Prix du Qatar de Formule 1 le mois prochain, qui aura lieu ensuite tous les ans pendant une décennie à partir de 2023. Le point d’orgue tant commenté et attendu de cette diplomatie sportive sera la Coupe du monde 2022.

Le Qatar reste néanmoins étroitement surveillé par la communauté internationale, du fait de la prochaine Coupe du monde justement, et fait l’objet de nombreuses critiques au regard des violations des droits de l’homme. Selon le quotidien britannique The Guardian, plus de 6 500 travailleurs migrants sont morts au Qatar depuis qu’il a décroché, il y a dix ans, l’organisation de la Coupe du monde 2022, suscitant de nombreux appels au boycott dans le monde du football et par les ONG. Et si l’émirat veut se poser en symbole de la modernité dans le monde arabo-musulman sous l’impulsion de l’émir Tamim ben Hamad al-Thani, les réformes restent lentes. Certes, les premières élections libres de l’émirat qui se sont déroulées au début du mois pour choisir 30 des 45 membres du Majlis al-Choura, habituellement désignés par l’émir, constituent une avancée sans précédent pour le Qatar. Des 26 femmes éligibles parmi les 233 candidats, aucune n’a cependant été élue. Selon Tobias Borck, « ces élections vont dans le sens d’une participation politique accrue mais elles ne permettent pas ni n’ont vocation à transformer le Qatar en démocratie ».

En quelques mois, les planètes se sont alignées pour le Qatar. Depuis son retour dans le giron des pays du Golfe suite au sommet historique d’al-Ula en Arabie saoudite en janvier dernier, le petit émirat se veut désormais sur tous les fronts : Afghanistan, Libye, conflit israélo-palestinien ou encore négociations entre les États-Unis et la République islamique sur le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut