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Culture - Entretien

L’aventure « inattendue » de Christine Ockrent sur scène avec Wajdi Mouawad

La journaliste française, longtemps « reine » du journal de 20h sur Antenne 2, joue son propre rôle dans la nouvelle pièce du dramaturge et metteur en scène libano-canadien. Elle partage avec « L’OLJ » sa « merveilleuse » expérience dramaturgique.

L’aventure « inattendue » de Christine Ockrent sur scène avec Wajdi Mouawad

Au cœur de cette errance familiale, un point de repère : le journal de 20 heures d’Antenne 2 et son personnage emblématique, Christine Ockrent, qui interprète son propre rôle. Photo Tuong-Vi Nguyen

La dernière création théâtrale de Wajdi Mouawad, Mère, connaît actuellement un succès retentissant au théâtre de la Colline, où elle est proposée au public parisien jusqu’au 30 décembre, avant de partir en tournée dès que la situation sanitaire le permettra.

Cette pièce est le troisième opus du cycle « Domestiques », après les solos Seuls et Sœurs, et elle précède la création de Père et Frères. À travers cette écriture fragmentée, le dramaturge propose une cartographie familiale et autofictionnelle dont l’écriture polyphonique se compose aussi de matières, d’images, de sons et d’objets. « Et maintenant je suis là, comme à l’intérieur d’une paupière fermée, et je pense aux yeux de ma mère, et je ne sais pas pourquoi, ces yeux-là, bien plus que les miens, me donnent envie de pleurer », écrit celui qui est à la fois auteur, metteur en scène, comédien et source d’inspiration du jeune enfant de dix ans, dans les yeux de qui le spectateur découvre une famille bouleversée par la guerre du Liban dans les années 80.

Alors qu’une mère et ses trois enfants ont trouvé refuge à Paris, le père, lui, est resté au pays pour continuer à travailler. Pendant cinq ans, tous vivent dans l’angoisse et dans l’attente de pouvoir retrouver leur vie d’avant. Le benjamin assiste, impuissant et à peine conscient, à la violence de la souffrance vécue par sa mère. Au cœur de cette errance familiale, un point de repère : le journal de 20 heures d’Antenne 2 et son personnage emblématique, Christine Ockrent, qui interprète son propre rôle. On retrouve la voix rassurante, la diction rigoureuse et le regard intense de celle qui a incarné pendant des années un rendez-vous incontournable pour de nombreux Français et pour tous les membres de la diaspora libanaise, à l’affût de nouvelles sur la situation de leur pays déchiré par la violence.

Celle qui a été surnommée la « reine Christine » partage son expérience dramaturgique avec humilité, ferveur et conviction.

Wajdi Mouawad dialogue avec sa mère, interprétée avec passion et authenticité par la fabuleuse Aïda Sabra. Photo Tuong-Vi Nguyen

Quand êtes-vous allée au Liban pour la première fois ?

J’ai été au Liban assez régulièrement dans les années 70, parce que je travaillais à l’époque pour une chaîne américaine, CBS News. Il s’agit des années de paix et d’opulence, en tout cas pour les gens qui avaient les moyens de vivre les douceurs beyrouthines.

Après Septembre noir, j’y suis allée une fois. Quand j’ai commencé à avoir la responsabilité du journal de 20 heures, en France, en octobre 1981, j’étais par définition plus vissée à mon fauteuil à Paris, mais j’y suis retournée souvent, pour des raisons à la fois professionnelles et amicales.

Aviez-vous conscience, dans les années 80, que vous constituiez une figure emblématique de l’information pour le public français, mais aussi pour toute la diaspora libanaise, anxieuse de connaître la réalité sur le terrain, qui s’en remettait à vous dans un contexte où les télécommunications étaient difficiles ?

À cette époque, il y avait trois chaînes en France, et deux journaux télévisés ; et c’est celui d’Antenne 2 qui avait le plus d’audience. On ne se rend pas compte, quarante ans plus tard, comme le contexte était différent. Aujourd’hui, on est informé de multiples façons, non seulement il y a des centaines de chaînes de télévision et de radio, mais il y a les réseaux sociaux. On avait donc une responsabilité certaine.

Les médias ont énormément changé, et notre métier a évolué avec l’informatique et internet ; notre façon de travailler a été bouleversée. Il est capital de continuer à penser à la meilleure manière d’exercer ce métier aujourd’hui, en essayant d’être la plus précise et la plus complète possible, que ce soit à la télévision ou en radio.

Comment êtes-vous devenue l’interprète, dans cette pièce, du personnage public que vous êtes dans la vie ?

Nous nous sommes croisés avec Wajdi Mouawad à France Culture, où j’anime une émission de géopolitique tous les samedis, entre 11 heures et midi, intitulée Affaires étrangères, où sont conviés 3 ou 4 experts selon les sujets traités. Mais c’est dans le cadre de l’émission L’esprit public que nous nous étions rencontrés la première fois, il y a deux ans et demi. Il m’a vue et m’a dit : « Toute mon enfance ! » ce qui n’était pas très flatteur pour moi, cela me rappelait que le temps passe... Mais c’était en même temps très amical et sympathique. Il m’a proposé de nous rencontrer pour me parler d’une idée qu’il avait, ce que nous avons fait. Il m’a expliqué alors qu’il souhaitait construire une pièce autour du personnage central de sa mère, avec ma présence, puisque mon journal était la seule manière d’avoir des informations sur Beyrouth.

Avec toute la question de comment le personnage de la journaliste s’incruste en quelque sorte dans la vie familiale. J’ai trouvé ce projet très intéressant, parce que quand je faisais le 20 heures, je m’interrogeais souvent sur ce rapport à sens unique, où au fond on parle à des millions de gens sans les voir.

Puis la pandémie est intervenue. Wajdi m’a recontactée au printemps dernier, et la pièce a pris forme, on a commencé à travailler ensemble avant l’été, puis à la rentrée d’octobre.

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Avez-vous perçu des passerelles entre les plateaux de télévision et les planches de théâtre ?

C’est très différent, mais au départ, je joue mon propre rôle, c’est ensuite qu’il évolue à partir du moment où une interaction se crée avec la famille. Wajdi a énormément de talent, et humainement, est tout à fait merveilleux. Il est à la fois auteur, comédien, et intimement concerné par son sujet, puisqu’il parle de sa propre mère, et c’est d’autant plus puissant et émouvant pour nous qui accompagnons cette démarche. Les deux actrices libanaises Aïda Safra et Odette Makhlouf sont exceptionnelles, de même que toute l’équipe du théâtre de la Colline. C’est un vrai bonheur, cette pièce de théâtre, et en plus on a du succès, que demander de plus ?

Sur scène, j’essaie d’être totalement naturelle, notamment dans ma manière de présenter les informations, dont j’ai réécrit les textes moi-même. J’ai fait venir Philippe Rochot, qui a accepté tout de suite de prêter sa voix, puisqu’il était à l’époque, de très loin, le journaliste français de référence pour couvrir les affaires du Liban. Il l’a d’ailleurs payé de trois mois de captivité, puisqu’il a été pris en otage.

Ensuite, le rôle évolue, et là c’est un travail collectif. Il y a une espèce d’alchimie qui se crée avec les autres comédiens sur scène, et avec l’enfant, qui est très important dans la trame narrative. On a la chance d’avoir quatre petits garçons qui alternent et qui sont très talentueux. Après, c’est le miracle du théâtre !

Comment expliquez-vous le succès de la pièce ?

Il est vrai que les gens sont très chaleureux ; d’une soirée à l’autre, on sent que l’ambiance n’est pas tout à fait la même, mais à la fin, on est quand même tous extrêmement ravis de voir l’accueil enthousiaste auquel on a droit. De nombreux spectateurs m’ont fait part de leur surprise de me retrouver sur scène, c’est très générationnel.

Si Wajdi est habité par un matériau personnel dans son écriture, il parvient à le rendre universel, dans son rapport avec sa mère par exemple. Chacun d’entre nous a un rapport particulier à sa propre mère, et on peut trouver une résonance avec le propos de la pièce, que cela corresponde ou non à l’histoire personnelle des familles. Le talent dans ce genre d’œuvre est de partir d’une situation personnelle, de l’élargir et de faire en sorte que chacun trouve un écho à ce qu’il vit.

La modernité de la pièce réside-t-elle dans une articulation subtile de l’histoire familiale et collective ?

Certainement, et c’est tout le talent de Wajdi d’avoir établi cette espèce d’allées et venues dans le temps, par le biais du personnage de l’enfant, alors qu’il joue lui-même son propre rôle aujourd’hui. Le dialogue qu’il arrive à réinstaller avec sa propre mère et la façon dont il joue des correspondances dans le temps sont saisissants et tout à fait singuliers.

La situation actuelle du Liban étant navrante, ce qui a été l’objet de plusieurs émissions d’Affaires étrangères (les podcasts sont accessibles sur le site de France Culture, NDLR), j’ai beaucoup tenu, et Wajdi était absolument d’accord, à ce qu’il en soit fait mention dans la pièce, qui rappelle la continuité entre les années 80 et aujourd’hui : les mêmes maladies et les mêmes responsables de ces maladies.

Envisagez-vous de poursuivre votre expérience théâtrale ?

J’en serais ravie, pour moi c’est une merveilleuse aventure, totalement inattendue. Mais j’ai beaucoup de travail avec mon émission, et je suis en train d’écrire un livre. Je suis très heureuse de vivre cette expérience jusqu’au 30 décembre à Paris, et me réjouis de partir prochainement en tournée.

La dernière création théâtrale de Wajdi Mouawad, Mère, connaît actuellement un succès retentissant au théâtre de la Colline, où elle est proposée au public parisien jusqu’au 30 décembre, avant de partir en tournée dès que la situation sanitaire le permettra. Cette pièce est le troisième opus du cycle « Domestiques », après les solos Seuls et Sœurs, et elle...

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