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Économie - Focus

Pas de nouvelle parure pour les fêtes : les bijoutiers minés par la crise

Pour le président du syndicat des bijoutiers et des joailliers du Liban, Antoine Moughanni, le secteur est « impuissant » face à l’effondrement économique du pays.

Pas de nouvelle parure pour les fêtes : les bijoutiers minés par la crise

En plus de la pandémie de Covid-19 et de l’effondrement économique du Liban, les crises diplomatiques à répétition ces dernières années entre le Liban et les pays du Golfe sont des obstacles supplémentaires pour les bijoutiers libanais. Photo d’illustration PocketStocks/Bigstock

Le constat est sans équivoque. Jamais, même en incluant les quinze ans de guerre civile (1975-1990), n’y a-t-il eu un tel vide dans les bijouteries du Liban. En 2014, l’agence française pour le développement international des entreprises, Ubifrance, publiait un rapport dans lequel elle listait la joaillerie libanaise parmi les cinq premiers producteurs mondiaux de bijoux. Ce secteur avait également la réputation d’être le premier exportateur du pays, bien qu’aucune donnée chiffrée n’ait filtré toutes ces années et que sa contribution au PIB libanais n’ait dès lors pu être formellement estimée.

Interrogé par Le Commerce du Levant en 2015, le président du syndicat des bijoutiers et des joailliers du Liban, Antoine Moughanni, prévenait : « Aucun joaillier ne vous donnera son chiffre d’affaires. » Rencontré pour L’Orient-Le Jour en cette période de fêtes de fin d’année, le président a cette fois un seul chiffre à donner : « Zéro ». Un zéro pointé servant surtout d’hyperbole pour qualifier l’état dans lequel se trouve le secteur dans un Liban en crise économique et financière depuis plus de deux ans. Dans ce contexte, le syndicat est « impuissant », poursuit Antoine Moughanni qui pointe du doigt l’incapacité des autorités libanaises à trouver une solution à la crise. Des responsables que ce syndicat avait d’ailleurs alpagués il y a plusieurs semaines sans que cela ne fasse mouche. « Personne n’est intéressé à dire ou à faire quoi que ce soit (pour contrer la crise) », répète-t-il encore, las. En sus du capharnaüm politico-économique national, la pandémie de Covid-19 et le renchérissement de l’or n’ont pas aidé les professionnels du secteur. Selon les derniers chiffres des douanes libanaises, la balance commerciale a enregistré un déficit de 2,63 milliards de dollars sur le premier trimestre de cette année, en augmentation de 30,5 % par rapport à celui de 2,02 milliards de dollars sur la même période en 2020. Les exportations n’y ont représenté que 699 millions de dollars, diminuant de 23,5 % en glissement annuel (contre 914 millions de dollars en 2020). Une baisse principalement due à celle des exportations de bijoux, estimée à 32 %, soit 119,6 millions de dollars. Le cours mondial de l’or a, lui, renchéri, prenant 20 % en 2020. L’or se vend au kilo à une moyenne de 56 612,5 dollars en 2021, selon les sites spécialisés.

Mille-feuille de crises

Malgré la baisse des exportations, « ces dernières ont sauvé le secteur, notamment grâce à la vente en ligne qui a doublé », explique le joaillier beyrouthin Sélim Mouzannar. Néanmoins, « de la valeur d’un produit fini à l’export doit être déduit le coût de la production », souligne-t-il, dont « l’importation de toutes les matières premières, de notre savoir-faire et de la main-d’œuvre ». Pour ce bijoutier, si la crise économique interne au Liban a « naturellement dynamisé les exportations », c’est surtout la pandémie qui leur a mis des bâtons dans les roues, en plus des crises diplomatiques entre le Liban et le Golfe. En effet, à la crise nationale et internationale s’est ajoutée une crise régionale, alors que les pays du Golfe figurent parmi les premiers clients des bijoutiers libanais. « Depuis 2017/2018, les politiciens libanais se sont mis à dos les pays arabes, ce qui a impacté nos ventes », déclare Nabil Tabbah, de la maison joaillière éponyme, désignant par là les crises diplomatiques successives qu’ont notamment connues l’Arabie saoudite et le Liban, la dernière en date, toujours irrésolue, remontant à peine à quelques semaines.

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En conséquence de ce mille-feuille de crises, et parce que la maison Tabbah conçoit notamment des bijoux sur mesure, « il faut se rendre sur place pour présenter nos créations aux clients », explique-t-il, car ceux-ci « ne viennent tout simplement plus au Liban ». Une condition qui rend les choses de plus en plus compliquées à la fois au vu des restrictions diverses imposées sur les voyages internationaux en raison de la pandémie et des crises diplomatiques mais aussi « au niveau des assurances », devenues extrêmement frileuses à cause de l’insécurité due à la crise économique. Enfin, il est plus avantageux et beaucoup plus simple de produire et d’exporter à partir d’un autre pays où la joaillerie Tabbah est implantée, « le coût pour exporter hors du Liban étant bien trop élevé en comparaison (cherté des frais d’envoi, de douane, etc.) », souligne Nabil Tabbah.

Pas une valeur refuge

Si ces deux joailliers contactés par L’Orient-Le Jour ne sont pas menacés de fermeture, puisque possédant tous deux une structure internationale, ils se battent malgré tout pour rester au Liban. Après sa destruction lors de l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, Sélim Mouzannar a rouvert son atelier dans le quartier d’Achrafieh à Beyrouth. Nabil Tabbah a également reconstruit le sien, situé à la Quarantaine, à quelques encablures du port, sans toutefois rénover son magasin au centre-ville. « Aujourd’hui, l’atelier est mieux sécurisé. Imaginez une cliente sortant avec son achat en pleine rue du centre-ville ! » illustre-t-il. Avec la paupérisation des trois quarts des résidents au Liban, l’insécurité a de fait augmenté et la clientèle libanaise de ces bijoutiers s’est vue divisée par deux, selon eux. Une niche qui existe toujours mais dont les raisons pour acheter des bijoux s’amenuisent. « Il faut une réelle occasion, comme un mariage, des fiançailles ou un anniversaire spécial », énumère Nabil Tabbah, en éliminant les fêtes de fin d’année de cette liste. « Avant, les Libanaises venaient acheter un bijou pour accompagner leur tenue lors d’une soirée », raconte-t-il, notant une grande baisse de son chiffre d’affaires au Liban depuis le début de la crise.

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Si les achats spontanés ou pour se faire plaisir n’existent presque plus, il en va de même pour ceux d’investissement. En effet, quand la crise a démarré en 2019 et que les banques ont imposé des restrictions, illégales et informelles, sur les comptes en devises de leurs déposants, nombre d’entre eux se sont précipités sur l’immobilier et les joyaux, tous deux considérés comme des valeurs refuges. Le secteur foncier a longtemps accepté les chèques en « dollars libanais » (ou lollars), ces devises coincées en banques mais dont la Banque du Liban (BDL) a autorisé la conversion en livres libanaises à un taux supérieur à la parité officielle de 1 507,5 livres (8 000 livres pour un dollar depuis récemment), avant de finalement se rabattre cette année sur les « dollars frais » (en espèces ou transférés de l’étranger). Les bijoutiers, eux, ont rapidement mis le holà sur les transactions via cette invention monétaire de la BDL. « Les gens voulaient sortir leur argent des banques en utilisant les chèques en lollars. Qu’est-ce que je vais en faire de ces lollars ? » lance Nabil Tabbah. Même constat pour Sélim Mouzannar, qui souligne simplement que « si le bijou était un réel investissement, les bijoutiers les garderaient pour eux ».

Enfin, un autre problème se présente pour ces joailliers : celui de la main-d’œuvre. Les ouvriers libanais de la maison Tabbah, qui fêtera en 2022 ses 160 ans d’existence, ont quitté le pays les uns après les autres car « tout le monde veut assurer un avenir à ses enfants », explique Nabil Tabbah. Alors, « nous employons et formons une main-d’œuvre étrangère, surtout asiatique, mais, d’une part, les autorisations ministérielles pour les visas de travail se réduisent et empiètent sur notre production et, d’autre part, même cette main-d’œuvre quitte le pays par peur de la situation ! » Pour maintenir la qualité de leur travail, Nabil Tabbah et Sélim Mouzannar tablent sur l’expérience de leurs équipes, tout en priorisant des conditions dignes de travail pour leurs employés dans ce contexte de crise multidimensionnelle. Une lutte continue donc pour rester au Liban, envers et contre tout, où l’unique adversaire n’est au final que « le marasme économique » dans lequel le pays patauge, conclut Sélim Mouzannar. Pour en sortir, « il faut que les autorités libanaises se bougent car une seule main ne peut pas applaudir ! » conclut Nabil Tabbah.

Le constat est sans équivoque. Jamais, même en incluant les quinze ans de guerre civile (1975-1990), n’y a-t-il eu un tel vide dans les bijouteries du Liban. En 2014, l’agence française pour le développement international des entreprises, Ubifrance, publiait un rapport dans lequel elle listait la joaillerie libanaise parmi les cinq premiers producteurs mondiaux de bijoux. Ce...

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Encore sans doute un exemple flagrant d’économie “non-productive” selon les économistes géniaux du ‘8 Mars’… Vivement des aciéries, des raffineries et des usines de montage, comme tout pays qui se respecte!

Mago1

03 h 23, le 28 décembre 2021

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  • Encore sans doute un exemple flagrant d’économie “non-productive” selon les économistes géniaux du ‘8 Mars’… Vivement des aciéries, des raffineries et des usines de montage, comme tout pays qui se respecte!

    Mago1

    03 h 23, le 28 décembre 2021

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