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Idées - Point de vue

Audit juricomptable de la BDL : chronique d’un échec annoncé

Audit juricomptable de la BDL : chronique d’un échec annoncé

Photo d’archives « L’OLJ »

Depuis près de deux ans, la saga de l’audit juricomptable des comptes et transactions de la banque centrale (BDL) ne cesse de tourner à la tragi-comédie. D’abord, du fait du refus initial de la BDL de répondre à une grande partie de ses requêtes formulées par le cabinet émirati Alvarez & Marsal Middle East Limited (A&M), chargé en septembre 2020 d’effectuer cet audit, au prétexte du secret bancaire. Un prétexte au demeurant infondé, s’agissant d’une institution publique, mais qui avait quand même conduit le Parlement à voter en décembre dernier une loi levant pendant un an le secret bancaire sur les comptes de la BDL et des institutions publiques, permettant ainsi la signature d’un nouveau contrat avec la même société en septembre dernier. Or, voici qu’à l’approche de la date d’échéance du délai de suspension du secret bancaire prévu par la loi au 29 décembre, les informations requises n’ont toujours pas été toutes envoyées au cabinet – la BDL réclamant cette fois une révison du contrat avant de le faire–, tandis que les députés n’ont pas jugé bon de voter une prolongation de cette période de suspension. Il est donc fort à craindre qu’une fois le délai légal expiré, la BDL refuse de fournir les informations protégées selon elle par le secret bancaire et que A&M allègue à nouveau de ce fait qu’en raison des lois libanaises en vigueur, elle se trouve dans l’impossibilité d’avoir accès aux informations nécessaires pour mener à bien sa mission. Une crainte d’autant plus justifiée que depuis le début de cette affaire, tout semble avoir été mis en œuvre minutieusement afin que cet audit n’aboutisse à aucun résultat probant et « n’épingle » aucun responsable, alors même qu’une grande partie de l’opinion espérait que cette opération puisse donner un signal fort de changement vers plus de transparence et d’intégrité. Or, en réalité et au-delà des péripéties déjà évoquées, il ne serait pas excessif de relever que l’ensemble du processus de négociation, de rédaction et d’exécution du contrat conclut avec A&M constitue un exemple typique de manquement à la bonne gouvernance et à la préservation des deniers publics. Pour s’en convaincre, il suffit de se replonger dans la relecture des dispositions du second contrat conclu avec cette société.

La BDL absente du contrat

D’abord, en ce qui concerne les modalités d’attribution du marché et des parties au contrat, il est généralement d’usage pour un processus similaire qu’il puisse servir à garantir l’engagement du prestataire le mieux qualifié avec un rapport qualité/prix favorable à l’administration concessionnaire. À ce titre, trois commentaires peuvent être formulés. En premier lieu, la spécialisation du prestataire devrait constituer un critère essentiel en matière d’audit juricomptable – qui se définit comme étant un audit plus détaillé et intensif qui vise à découvrir les cas de fraude, faute intentionnelle ou mauvaise gestion, y compris les détournements de fonds et autres crimes financiers. Or, en l’espèce, A&M ne semble avoir, selon la présentation même de la société figurant sur ses sites internet, aucune expertise aussi bien dans le domaine de l’audit que de l’audit juricomptable – ces activités n’entrant même pas dans le champ de son domaine d’action. A&M a même veillé dans le contrat à de nombreuses reprises à réfuter toute assimilation de sa mission à un « audit » – la définissant plutôt dans le contrat comme une « mission de conseil et de consultation »– et a aussi dénié toute obligation au respect de normes américaines ou internationales y relatives. D’autre part, il faut souligner que dans cette procédure, les lois et réglementations libanaises en rapport avec l’exercice de la mission d’audit ne semblent pas avoir été prises en considération ou respectées : en effet, la loi n° 364/994 qui régit la profession des experts-comptables assermentés ne permet pas l’exercice de la profession au Liban sans enregistrement, ou licence ou autorisation spéciale délivrée par l’ordre des experts-comptables (en ce qui concerne les structures et experts étrangers), et ce sous peine de sanctions pénales (article 17 de ladite loi et article 393 du code pénal). Enfin, force est de relever que le fait que le contrat a été signé par la filiale émiratie du cabinet américain permet d’une part d’ exempter la société mère de toute responsabilité ou garantie solidaire (article 1[c] du contrat) ; et, d’autre part, de bénéficier d’une optimisation fiscale – du fait qu’une convention fiscale bilatérale de 1999 entre le Liban et les Émirats arabes unis (EAU) permet à certains projets ponctuels d’être imposables aux EAU. Or, ces derniers n’imposent pas les activités offshore de leurs sociétés résidentes contrairement aux États-Unis, ce qui revient à une exemption totale de toute imposition pour une activité réalisée territorialement au Liban et ayant été rémunérée par une caisse publique, et ce au mépris des règles d’équité fiscale et de saine concurrence.

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Il faut en outre relever que dans le contrat, l’État libanais se fait fort de remplir et d’assurer l’ensemble des demandes et obligations mises à la charge de la BDL, qui n’est pas elle-même partie au contrat et qui de ce fait peut considérer – au vu des dispositions du code de la monnaie et du crédit (article 13) lui conférant une autonomie financière et administrative – que le contrat ne lui est pas opposable et qu’elle n’est de ce fait pas tenue de coopérer. Il s’ensuit que toute demande d’information supplémentaire doit être adressée à l’État libanais, à qui il revient de s’assurer de la coopération de la BDL. Naturellement, il aurait été plus judicieux d’impliquer directement la BDL comme partie au contrat afin qu’elle puisse se voir appliquer ses dispositions et d’en répondre en cas de manquement ou de refus de coopération de sa part.

Quitus garanti ?

Pour ce qui est du champ de la mission, A&M se charge de présenter un rapport préliminaire sur les résultats de l’audit sans clarifier quelles sont les informations minimales qu’elle doit inclure, notamment quant aux infractions et aux délits potentiels. Par conséquent, le risque est d’établir un rapport limité, ambigu, voire erroné, qui déchargerait à tort la BDL et les contrevenants potentiels tout en permettant à A&M d’encaisser ses honoraires. De même, l’État libanais pourrait selon l’accord requérir un second rapport additionnel avec pour corollaire la signature d’un nouveau contrat et le paiement d’honoraires supplémentaires au détriment des intérêts des contribuables. À ce titre, il résulte d’un comparatif avec des contrats internationaux similaires qu’il est plutôt d’usage de prévoir deux rapports cumulatifs et complémentaires. Un rapport intérimaire qui retrace l’évolution des travaux et les entraves rencontrées ; et un rapport final qui retrace les résultats de l’enquête de manière claire et détaillée. Les deux rapports étant inclus dans les honoraires et émoluments agréés. De plus, la méthode de fixation forfaitaire des rémunérations et dépenses telle que prévue dans le contrat est en contradiction totale avec la pratique courante. Celle-ci repose en effet sur une facturation horaire convenue préalablement, avec un plafond maximal qui ne peut être dépassé, ce qui permet d’évaluer le travail réalisé et le temps effectif facturé en toute transparence. Ce qui nous amène à conclure que le paiement de la compensation est totalement indépendant du contenu du rapport ou de ses conclusions, et que A&M ne peut être tenue pour responsable en cas d’insuffisance ou de carences dues aux informations manquantes. Comme s’il s’agissait d’obtenir dès à présent un quitus et une décharge définitifs et irrévocables... De même, en matière de responsabilité, le contrat fait assumer à l’État libanais toutes les responsabilités, dont notamment les risques de pertes, dommages ou recours que subirait A&M du fait de l’exécution de sa mission (excepté les cas de négligence ou de faute lourde intentionnelle) avec obligation de compensations et de dédommagements qui pourraient se chiffrer à plusieurs millions de dollars. Il est pourtant d’usage dans des marchés de ce type que l’autorité publique contractante prenne le soin de se prémunir contre tout risque et d’inclure dans le contrat des clauses d’indemnisation à la charge du cocontractant prestataire de service pour tout risque de recours contre l’État, de plainte, de pertes et de dommages résultant de sa mission – notamment en cas de négligence, d’omission ou d’acte délibéré. Le prestataire doit aussi avoir l’obligation de coopérer et de participer avec l’État – ou à sa demande – aux procédures légales postérieures d’accusation et de récupération des biens mal acquis sur la base des éléments probants de son rapport et ses conclusions. Il se doit aussi de contracter, à sa charge exclusive et pour toute la période contractuelle, les assurances nécessaires à la couverture des risques professionnels et sécuritaires (en cas d’atteinte physique à son personnel) et assimilés.

Transparence bafouée

Le contrat prévoit en outre des restrictions quant à la possibilité de publier et de divulguer le rapport. Cette obligation est ainsi limitée à des cas bien déterminés et à la seule utilisation de l’État libanais conformément à l’objet et à l’objectif convenus. De même, l’accord d’A&M est requis dans certains cas. Cela est contraire à l’esprit et au but du rapport, ainsi qu’aux lois en vigueur, notamment pour ce qui est de la publication des résultats conformément au principe de transparence et à la loi relative au droit d’accès à l’information du 10/02/2017 qui dispose que « toute personne, physique ou morale, a le droit d’accéder et de prendre connaissance des informations et documents qui se trouvent auprès de l’administration ». De surcroît, dans ce cas précis, la mission est supposée rendre compte d’éventuelles infractions et malversations ayant entrainé l’effondrement économique et financier qui a plongé le peuple libanais dans la précarité et la pauvreté. Il est donc du droit de chaque contribuable et de chaque citoyen de connaître la vérité dans ce dossier.

Enfin, le contrat prévoit que la loi applicable en cas de litige est la loi britannique (Angleterre et pays de Galles). Ceci est totalement inacceptable, d’une part du fait de la souveraineté de l’État libanais et, d’autre part, par souci de cohérence et d’harmonie quant à l’obligation faite aux parties tout au long des dispositions contractuelles de respecter et de se conformer aux lois libanaises en vigueur.

Au regard de tout ce qui précède, on ne peut donc que légitimement se demander si toutes les parties dans ce dossier (État, BDL et A&M) ne se seraient pas « arrangées » pour ne pas engager leur responsabilité en cas de non-coopération ou de non-obtention de résultats probants, et ce en prenant soin de lier cela aux lois libanaises en vigueur (assez équivoques et restrictives en la matière). Voire si elles n’ont pas convenu implicitement à l’avance de présenter un rapport pour la pure forme qui ne fournirait rien de compromettant ou d’incriminant. Ce risque n’étant pas négligeable, il est urgent de réunir au plus vite A&M et la BDL, et de les mettre en demeure de coordonner leur action afin de finaliser la mise à disposition des documents dans le plus court délai au risque de leur faire porter la responsabilité (contractuelle pour les uns et disciplinaire/pénale pour l’autre) du retard et défaillances ; ou, à défaut, d’adopter au plus vite la proposition de loi visant à proroger le délai ou idéalement à mettre fin au secret bancaire en raison de ses effets pervers et facilitateurs en matière de corruption.

Il est par conséquent du devoir de chacun de tirer la sonnette d’alarme et d’œuvrer à renverser la table à travers une pression populaire et médiatique similaire à celle qui a fait tomber il y a bientôt deux ans le funeste projet de loi sur l’amnistie générale ou, plus récemment, permis (pour l’instant) de renvoyer en commission les dispositions scandaleuses contenues dans le projet de loi sur le contrôle des capitaux. Agissons donc, et rapidement, pour ne pas donner raison à l’amère prédiction d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »

Par Karim DAHER

Avocat, enseignant en droit fiscal à l’USJ et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic)

Depuis près de deux ans, la saga de l’audit juricomptable des comptes et transactions de la banque centrale (BDL) ne cesse de tourner à la tragi-comédie. D’abord, du fait du refus initial de la BDL de répondre à une grande partie de ses requêtes formulées par le cabinet émirati Alvarez & Marsal Middle East Limited (A&M), chargé en septembre 2020 d’effectuer cet audit, au...

commentaires (10)

QU'IL EST BEAU NOTRE PAYS SVP:VOTEZ POUR LES MEMES POUR NE RIEN CHANGER ET AINSI OBTENIR PLUS FACILEMENT DES VISAS D'IMMIGRATION AUPRES DES AMBASSADES BEYROUTH' LA VERITE:UN PAYS DIRIGE JUSQU'AU PLUS PETIT PLANTON PAR DES ........( censure OLJ oblige ) QUI ONT RUINES LE PAYS PAR AVIDITE ET APRES ETRE VENU AU POUVOIR SANS LE SOUS SE SONT DEFOULES A QUI MIEUX MIEUX .MERCI AOUN BASSIL HARRIRI BERRY ET SURTOUT NASRALLAH LE LIBERATEUR DU LIBAN POUR MIEUX LE CONTROLER ET L'ASSERVIR A L'IRAN

LA VERITE

02 h 10, le 19 décembre 2021

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Commentaires (10)

  • QU'IL EST BEAU NOTRE PAYS SVP:VOTEZ POUR LES MEMES POUR NE RIEN CHANGER ET AINSI OBTENIR PLUS FACILEMENT DES VISAS D'IMMIGRATION AUPRES DES AMBASSADES BEYROUTH' LA VERITE:UN PAYS DIRIGE JUSQU'AU PLUS PETIT PLANTON PAR DES ........( censure OLJ oblige ) QUI ONT RUINES LE PAYS PAR AVIDITE ET APRES ETRE VENU AU POUVOIR SANS LE SOUS SE SONT DEFOULES A QUI MIEUX MIEUX .MERCI AOUN BASSIL HARRIRI BERRY ET SURTOUT NASRALLAH LE LIBERATEUR DU LIBAN POUR MIEUX LE CONTROLER ET L'ASSERVIR A L'IRAN

    LA VERITE

    02 h 10, le 19 décembre 2021

  • Parmi les remarques présentées par l'auteur au sujet de ce contrat,ce qui m'a frappé le plus c'est celle où il dit que "A&M ne semble avoir aucune expertise aussi bien dans le domaine de l'audit que de l'audit juricomptable.Ces activités n'entrent même pas dans le champ de son domaine d'action..." M.Z

    ZEDANE Mounir

    17 h 07, le 18 décembre 2021

  • Nous avons remarqué qu’ils sont tous solidaires et complices comme cochons quand il s’agit de combattre la corruption. Aucun n’élève la voix ni ne bloque quoi que ce soit de peur d’être démasqué. Ils se tiennent les coudes et font semblant de combattre la corruption alors qu’ils n’arrêtent pas de la nourrir et de l’appuyer. Où est donc la justice de ce pays pour exiger que ces voleurs respectent les lois du pays et arrêtent de se cacher derrière des immunités qui n’existent pas ou de secrets bancaires ou autres pour pouvoir garder l’argent volé et continuer à se faire passer pour des vertueux alors qu’ils ont tout raflé à leur passage et déguisé les comptes pour que cela paraisse normal . Je parle du déficit qui s’élève à des milliards, 65 à 68 officieusement et plus de 185 officiellement pour un pays qui ne fait que 10452 km et dont ses infrastructures sont inexistantes depuis que les mafieux ont pris le pouvoir. Leur malhonnêteté n’est plus à prouver. Il faut passer aux sanctions à présent et arrêter d’attendre leur bon vouloir de donner les preuves de leur culpabilité sur le hold-up du siècle. Ils nous prennent tous pour des demeurés.

    Sissi zayyat

    12 h 28, le 18 décembre 2021

  • FORENSIC TECHNOLOGY Effectively using technology to uncover and manage evidence and intelligence in contentious legal and regulatory situations. A&M's forensic technology team identifies, collects and analyzes electronic information to support your investigation and discovery needs. Our customized approach guarantees that electronic information is admissible and produces maximum benefit. A&M’s team of forensic technologists, information security specialists and investigators have the computer science and information systems expertise along with the appreciation of how to best utilize technology .

    Paul-René Safa

    09 h 57, le 18 décembre 2021

  • Alvarez & Marsal, non pas Marshal.

    Paul-René Safa

    09 h 47, le 18 décembre 2021

    • Bonjour, Merci pour votre commentaire, l'erreur a bien été corrigée. Cordialement

      L'Orient-Le Jour

      10 h 31, le 18 décembre 2021

  • question posee par un citoyen - parmi les rares citoyens- qui n'est pas un expert en economie, en finances & lois et constitutions y relatives : la BDL peut elle remettre a X des sous sans qu'elle ne recoive des instructions claires en ce sens ? Si c'est le cas pourquoi continuer a l'accuser de malversations diverses ? PS. YA REIT L'OLJ POUVAIT EN DEMANDER REPONSE A UN DE CES "EXPERTS" ET LA PUBLIER.

    Gaby SIOUFI

    09 h 28, le 18 décembre 2021

  • En résumé, une bande de voleurs et de gangsters qui se donnent un air de sainteté pour signer un document bidon qui n’aboutira à rien sauf à d’avantage de dépenses publiques gâchées pour ne pas dire détournées

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 00, le 18 décembre 2021

  • Bravo d’eclairer les gens sur ce qui se trame dans les coulisses du Pouvoir. Vu le passe’ de nos dirigeants corrompus et voleurs, on peut s’attendre a tous genres de falsifications destine’es a proteger les responsables du vol caracterise’ de notre pays

    Goraieb Nada

    08 h 12, le 18 décembre 2021

  • on continue à faire semblent , le temps joue pour tous tes trafiquants et à leur tete le gouverneur de la BDL

    barada youssef

    00 h 30, le 18 décembre 2021

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