
L'ex-député Farès Souhaid (2e à d) et son avocat Boutros Harb (2e à g), lundi devant le palais de Justice de Baabda. Photo Nabil Ismaïl
« Je considère que je suis menacé par le Hezbollah. » Farès Souhaid n’y va pas par quatre chemins. L’ex-député de Jbeil se considère aujourd’hui en danger mais ne compte rien lâcher face au parti chiite qui le poursuit en justice. Le fondateur du Rassemblement de Saydet el-Jabal est notamment accusé par le Hezbollah de faire ressurgir les « vieux démons de la guerre civile » et d’avoir fait porter à tort à cette milice la responsabilité des explosions meurtrières au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Après le report sine die de la séance d’interrogatoire programmée lundi au Palais de justice de Baabda, en raison de la grève des auxiliaires de justice, M. Souhaid a estimé que l’affaire dépasse sa personne et devient une question d’opinion publique. Revenant sur la séance initialement prévue lundi, son avocat, l’ex-député Boutros Harb, affirme ne pas avoir été notifié de la grève. « Nous attendons que la date de la prochaine séance soit fixée. Nous présenterons alors des exceptions de forme », explique M. Harb. Selon lui, la plainte contre son client « devrait être rejetée pour vice de forme, dans la mesure où la partie plaignante n’est pas officiellement reconnue par l’État libanais ». Il fait référence au fait que le Hezbollah n’est pas reconnu par le ministère de l’Intérieur conformément à la loi des associations de 1901.
« La coupe est pleine » Au-delà de l’aspect légal de l’affaire, la plainte visant Farès Souhaid est éminemment politique, au vu des positions radicales qu’adopte ce dernier contre le parti de Hassan Nasrallah. L’ex-député place donc cette affaire sous le signe de la préservation de la liberté d’expression. « La question dépasse aujourd’hui la personne de Farès Souhaid. Elle est devenue une question d’opinion publique face au Hezbollah », lance-t-il. Virulent critique du Hezbollah sur plusieurs questions épineuses, comme l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, M. Souhaid semble ressentir l’ampleur de la bataille qu’il mène face au parti chiite, au point de craindre pour sa vie. « Je suis menacé et j’ai peur qu’il y ait un incident d’ordre sécuritaire », confie celui qui voit dans ce procès « un moyen pour inciter à (son) assassinat, une méthode que le parti utilise depuis longtemps ». Une allusion à la série d’assassinats et de tentatives d’assassinat perpétrés dans la foulée du meurtre de Rafic Hariri en février 2005 contre plusieurs personnalités du camp du 14 Mars et imputés au Hezbollah par ses détracteurs. « J’ai notifié le juge Ziad Dghaidi (chargé du dossier) du fait que le conflit qui m’oppose à la partie plaignante n’est pas banal, dans la mesure où il s’agit d’un parti armé et militarisé. Et je crains, maintenant que la séance est reportée, que je ne sois en danger », souligne M. Souhaid à L’OLJ. Devant le Palais de justice, plusieurs personnalités s’étaient rassemblées en signe de solidarité avec l’ex-député qui a bénéficié de l’appui d’un grand nombre de personnalités souverainistes et de collectifs dans ce procès qui a figure de symbole. « Nous sommes venus aujourd’hui non seulement pour exprimer notre solidarité avec Farès Souhaid, mais parce que la coupe est pleine », a ainsi proclamé l’ancien député Marwan Hamadé, estimant qu’il ne restait plus au Liban que « la justice, qui est indépendante ». Le Rassemblement pour la révolution (TMT-Tajamou’ mouakabat al-Thaoura) a de son côté exprimé dans un communiqué « tout son soutien à M. Souhaid », dénonçant le fait que ce dernier est poursuivi « par un parti hors-la-loi », qui « viole la Constitution tous les jours ».
« Aberration »
La bataille entre Farès Souhaid et le parti chiite intervient dans un contexte marqué par le bras de fer politico-judiciaire articulé autour de Tarek Bitar, le juge chargé de l’enquête sur le drame du port. Clairement irrité par l’action du magistrat, le Hezbollah exerce un forcing pour qu’il soit écarté, au point de bloquer l’action du gouvernement depuis deux mois. À plusieurs reprises, la formation chiite a, par la bouche de son secrétaire général Hassan Nasrallah, accusé la justice de « politiser l’enquête » du port. Aujourd’hui, le Hezbollah a recours à cette même justice pour mener son combat, souligne M. Souhaid. « C’est une aberration, lance-t-il. Le Hezbollah n’a jamais reconnu la justice, ni locale, ni internationale. » Et d’ajouter : « Par le passé, le parti a longtemps entravé le processus de création du Tribunal spécial pour le Liban (finalement mis en place en 2007 à la faveur de la résolution 1757 du Conseil de sécurité de l’ONU). Aujourd’hui, il s’en prend à un juge qui lui tient tête et tente de dévoiler la vérité sur le crime du port. »
La démarche du Hezbollah à l’encontre de Farès Souhaid intervient à quelques mois des législatives, un scrutin durant lequel les deux parties pourraient s’affronter dans le caza de Jbeil où elles devront se disputer un siège chiite. S’il est conscient qu’il constitue un important adversaire du parti chiite dans le jurd de Jbeil, Farès Souhaid estime que les poursuites en justice à son encontre n’ont rien à voir avec les prochaines élections. Mais elles sont liées à la défaite qu’il avait infligée, lors du scrutin de 2018, au candidat du Hezbollah, Hussein Zaaïter, dans le caza de Jbeil. C’est en effet Moustapha Husseini, qui faisait partie de la liste appuyée par M. Souhaid, les Kataëb et Farid el-Khazen (actuel député du Kesrouan), qui avait remporté la bataille. « En 2018, j’ai réussi à arracher au Hezb un partenaire chrétien de taille. Aujourd’hui, il cherche absolument à en avoir un », souligne le président du Rassemblement de Saydet el-Jabal. « Je leur tiens tête aussi dans la question du port et dans l’affaire des terrains indivis de Akoura et Lassa (deux villages du jurd de Jbeil, le deuxième étant à majorité chiite écrasante) », ajoute l’ex-député, en référence au conflit opposant le Hezbollah à l’Église maronite autour de la propriété de certains terrains de la région.
commentaires (16)
Les fausses accusations visant d'abord M. SAMIR Geagea, à présent M. Fares Soued, c'est quand même un peu désespéré et très paradoxal le cas de ces accusateurs qui refusent de respecter la loi, la constitution et le système judiciaire mais ont le culot de recourir à cette même justice pour essayer d'intimidé leur opposants politiques ! Qui n'ont d'ailleurs rien à craindre puisque ils ne font que lutter pour la souveraineté de l'état des droits et des libertés.
Sarkis Dina
00 h 09, le 15 décembre 2021