Dans un discours adressé à la nation, le 3 août, à la veille de la première commémoration de la double explosion au port de Beyrouth, le président de la République, Michel Aoun, affirmait qu’il respectait le principe de séparation des pouvoirs en ce qui concerne l’enquête sur la tragédie. Il avait également affirmé qu’il « ne voyait pas de raison pour que le juge Tarek Bitar soit empêché d’interroger toute personne qu’il juge utile pour l’enquête », appelant à laisser celle-ci « prendre son cours, loin de toute pression, quelle qu’en soit la source ». Une prise de position qu’il a réitérée à plusieurs reprises, notamment après les affrontements du 14 octobre dernier à Tayouné (des accrochages avaient opposé des miliciens affiliés au tandem Amal-Hezbollah à des éléments chrétiens présumés proches des Forces libanaises). Une prise de position qui l’a mis en porte-à-faux avec son principal allié, le Hezbollah, qui veut déboulonner Tarek Bitar coûte que coûte et qui, tant qu’il n’aura pas obtenu satisfaction, paralyse toute l’action gouvernementale.
Mais le temps presse et rien ne bouge. Aussi les calculs effectués par le président il y a quelques mois ne semblent plus valables aujourd’hui. Le sexennat touche à sa fin (octobre 2022), et à dix mois de l’échéance, Michel Aoun a un besoin urgent de sauver la face. Il veut donc à tout prix que le cabinet Mikati redonne signe de vie. Quitte à lâcher Tarek Bitar ? Les derniers propos du président sèment sérieusement le doute. « Le Parlement peut trancher » la problématique liée aux compétences du juge Bitar, a estimé le président dans un entretien avec le quotidien qatari al-Charq. « La majorité (parlementaire) décidera. Et il faudra se conformer à sa décision », a-t-il ajouté. « Soit la majorité décidera que le juge d’instruction a le droit de mener des procédures » contre les responsables politiques poursuivis, soit « les prérogatives concernant la poursuite des ministres, députés et responsables politiques seront limitées à la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres », a encore expliqué Michel Aoun.
« La bataille de la présidentielle est ouverte »
Ce changement radical de position intervient à la veille d’une séance parlementaire qui se tiendra ce matin au palais de l’Unesco. Officiellement, les députés devront voter une série de projets et propositions de loi. Mais au vu du timing, la question de l’enquête du port pourrait bien s’inviter de facto dans les débats. Partant, un proche de la présidence explique à L’Orient-Le Jour que M. Aoun a voulu dire qu’il y a des procédures à suivre si le Parlement venait à se saisir de l’affaire. « Mais nous n’en sommes pas encore là », nuance-t-il. Ces explications restent peu convaincantes pour certains. Des informations de presse faisaient état récemment d’un package deal qui serait en gestation, loin des feux de la rampe. Dans ses grandes lignes, cet accord stipule que le Courant patriotique libre de Gebran Bassil assurerait le quorum requis pour la tenue d’une réunion parlementaire durant laquelle devrait être discutée la possibilité de déférer les responsables politiques devant la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres, en échange de quoi le recours en invalidation des amendements apportés à la loi électorale, présenté au Conseil constitutionnel par les parlementaires aounistes, serait accepté. Une façon pour le camp présidentiel d’obtenir plusieurs victoires tout en se « lavant les mains » d’une éventuelle mise à l’écart de Tarek Bitar, dont il rendrait responsables le Parlement et son chef.
« Nous sommes en plein dans le bazar politique libanais, et pour arriver à son but, Michel Aoun est prêt à faire toutes les concessions et à jouer toutes les cartes face au Hezbollah », commente Karim Mufti, analyste politique. Selon lui, c’est l’avenir de Gebran Bassil qui se joue ici. Un enjeu d’autant plus crucial que la démission de Georges Cordahi de son poste à la tête du ministère de l’Information, auquel il a été nommé par le leader zghortiote Sleiman Frangié, pourrait renforcer les chances de voir ce dernier bénéficier de l’appui du Hezbollah aux dépens de M. Bassil. « Michel Aoun est conscient de la difficulté de la situation. Anticipant une telle démarche, il fait des clins d’œil au Hezbollah », décrypte Karim Mufti, qui estime que le chef de l’État a fait une fleur au parti de Hassan Nasrallah pour tenter de faire barrage à un éventuel soutien chiite à la candidature de Sleiman Frangié. « Surtout que le chef des Marada a accepté d’abandonner Georges Cordahi et de ne pas nommer son successeur », ajoute-t-il. « La bataille de la présidentielle est ouverte. Et Michel Aoun a ouvert le bal des concessions dans la perspective de la présidentielle à venir », rebondit Karim Bitar, analyste politique. Le package deal n’a pas encore abouti. Mais le Hezbollah serait en train de mener des négociations entre le CPL et le mouvement Amal pour débloquer la situation. En proposant au courant aouniste l’acceptation du recours en invalidation et des alliances électorales avec la formation berryiste dans plusieurs circonscriptions, notamment à Baabda et Jezzine, deux grands fiefs du tandem chiite où le CPL bénéficie d’une présence non négligeable, rapporte notre chroniqueur Mounir Rabih.
commentaires (17)
Oublions le juge Bitar. Aoun s'en fout, si le hezb. lui promet un soutien "total' à Gebran, il lachera Bitar sans broncher mais bien entendu en y mettant les (mauvaises) formes.
DJACK
22 h 07, le 07 décembre 2021