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Politique - Éclairage

L’accord Macron-MBS sur le Liban : une brèche dans un rideau de fer

Les deux responsables ont réussi à opérer un rééquilibrage géopolitique, mais le scepticisme domine sur la capacité du Liban à mettre en œuvre les conditions à observer.

L’accord Macron-MBS sur le Liban : une brèche dans un rideau de fer

Le président français, Emmanuel Macron, et le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, le 4 décembre 2021 à Djeddah. Bandar al-Jaloud/Courtesy of Saudi Royal Court/Handout via Reuters

On n’y croyait presque plus. Que l’Arabie saoudite puisse s’intéresser de nouveau au Liban et démontrer une volonté d’aider sous certaines conditions ce pays qui s’effondre est en soi une brèche non négligeable ouverte dans les relations entre les deux pays. En parvenant à remettre le Liban en selle ne serait-ce qu’en rhétorique pour le moment, le président français, Emmanuel Macron, qui a pris l’initiative de plaider une fois de plus la cause de Beyrouth, a vraisemblablement réussi son coup. De son côté, le prince héritier et homme fort du royaume saoudien, Mohammad ben Salmane (MBS) – que l’Occident boycotte dans une certaine mesure depuis l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi (2018) – y a également trouvé son compte en accueillant chez lui un des principaux dirigeants occidentaux.

Si les deux hommes ont su exploiter à leur profit cette visite historique, le Liban, qui a été l’un des principaux dossiers de cette rencontre, peut-il pour autant prétendre à son tour à un succès quelconque ? La réponse n’est pas aussi certaine ni évidente, aucun résultat tangible n’étant pour l’heure perceptible.

C’est probablement la formule employée par l’ancien secrétaire général du 14 Mars Farès Souhaid qui résume le mieux cette double victoire diplomatique franco-saoudienne, en attendant que le Liban puisse saisir la perche qui vient de lui être à nouveau tendue. « Le sommet de Riyad est la rencontre de deux ambitions : celle d’un jeune leader arabe qui s’est positionné comme une personnalité incontournable de la région et un candidat présidentiel à la recherche d’un succès diplomatique », commente M. Souhaid en spécialiste des relations libano-saoudiennes.

L'éditorial de Issa GORAIEB

Mission, démission

Samedi, à l’issue de leur rencontre, le président français et le prince héritier se sont engagés pleinement en vue d’une restauration des relations entre Beyrouth et le royaume. Un objectif d’autant plus ambitieux qu’il était ponctué de conditions quasi rédhibitoires pour un pays déclaré sous emprise iranienne et dont la prise de décision est pour le moins confisquée.

Les deux hommes ont appelé la classe politique au respect de la Constitution de Taëf, établie avec le parrainage de l’Arabie saoudite et qui, selon un communiqué conjoint, « permet de préserver l’unité nationale et la paix civile au Liban ». Un rappel à l’ordre suivi d’un autre requis, celui de « la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État » et d’un renforcement concomitant du rôle de l’armée également souhaité pour rétablir le fonctionnement et la souveraineté de l’État.

Cette convergence entre Riyad et Paris sur certains fondamentaux souverainistes illustre la confirmation d’un rapprochement certain entre les deux parties. C’est également la preuve que les reproches adressés par certaines parties à la France d’avoir été trop loin auparavant dans la complaisance avec l’Iran sur le dossier libanais n’étaient pas fondées. Il est vrai que le gouvernement Mikati tardait à naître après des mois de tergiversations, ce qui avait poussé Paris à intervenir de manière plus résolue auprès de l’Iran pour débloquer la situation.

« En s’accordant avec son interlocuteur saoudien sur la nécessité de rétablir la souveraineté et de s’assurer du respect des résolutions internationales, le président français est parvenu à rétablir un certain équilibre, tout en démontrant que Paris est plus proche de Riyad que de Téhéran sur le fond du problème », commente un analyste politique.

Un point de vue que l’on admet même dans les milieux du Hezbollah. Intéressés par la garantie de la stabilité du Liban, les Français « ne veulent surtout pas que le Liban devienne une zone d’influence iranienne ou turque, mais souhaitent son retour dans le giron arabe », reconnaît un analyste proche du parti chiite.

L’humanitaire d’abord
Pour MBS et M. Macron, ce sont deux victoires qui ont été réalisées et deux objectifs atteints. Pour le Liban, le risque de pêcher par excès d’optimisme est grand si l’on doit voir, pour l’instant du moins, plus qu’un succès minime et une réhabilitation temporaire de l’image du Premier ministre, Nagib Mikati, que MBS et Macron ont appelé depuis Riyad.

Une chose semble pour l’heure acquise, à savoir la création d’un « mécanisme de soutien humanitaire franco-saoudien » en faveur du Liban qui serait financé par l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe.

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« L’initiative franco-saoudienne comprend effectivement le pourvoi d’aides humanitaires au Liban qui seront accordées sous certaines conditions de transparence », confie Khaled Batarfi, universitaire et analyste saoudien. Mais les aides ne dépasseront vraisemblablement pas le cadre humanitaire. « On peut s’attendre à la levée des restrictions actuelles, mais je ne suis pas convaincu que l’Arabie fournira une assistance financière s’il n’y a pas d’éléments nouveaux » du côté libanais, confie pour sa part un diplomate français, connaisseur de la politique saoudienne.

Dans les médias saoudiens, la tendance est plutôt à minimiser la portée des engagements faits de part et d’autre tant que le principe selon lequel le problème de fond entre Riyad et Beyrouth n’est pas réglé est toujours de mise. Le royaume estime en effet que le Liban, ou plutôt la majorité politique en place, a renoncé à son ancrage arabe depuis un certain temps et laissé libre court à l’emprise du Hezbollah, accusé entre autres de soutenir les houthis dans la guerre du Yémen et de mener des actes de subversion à l’encontre de l’Arabie saoudite, menaçant sa sécurité nationale et celle de la région.

Bien qu’Emmanuel Macron et MBS aient évoqué la nécessité de la réhabilitation des relations diplomatiques entre le Liban et le royaume, ce qui suppose le retour de l’ambassadeur de l’Arabie saoudite à Beyrouth et celui du Liban à Riyad, cette concession serait pour l’heure loin d’être acquise. « La possibilité d’un retour à une diplomatie normale dépend étroitement de la capacité de la classe politique libanaise à se plier aux conditions énumérées dans le communiqué franco-saoudien conjoint », estime Khaled Batarfi.

Si les conditions politiques placées par Riyad et Paris sont pour l’heure difficilement réalisables, les requis en matière de réformes conditionnant toute aide potentielle au Liban le sont presque tout autant. Il a été donc question des réformes qui doivent englober les secteurs financier et énergétique, la lutte contre la corruption, mais aussi d’un gouvernement qui puisse travailler de manière normale et se réunir le plus vite possible. Cette dernière condition est déjà difficilement réalisable tant que le Hezbollah continuera à paralyser les réunions du Conseil des ministres sur fond de campagne de dénigrement du juge d’instruction chargé de l’enquête sur l’explosion du port, Tarek Bitar, qu’il veut mettre à l’écart coûte que coûte. « Lundi, retour à la case départ et au conflit sur l’affaire Bitar », résume M. Souhaid. Un cercle vicieux que craint également le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. Saluant le courage de la France qui vient de démontrer qu’elle tient absolument à sortir le Liban de sa détresse, il se demande comment cela va se faire dans la pratique, en l’absence d’un gouvernement paralysé et de réformes qui peinent à se mettre en place.

« Dans cette traversée du désert avec les risques de chute dans les abîmes de l’inconnu, l’initiative de Macron visant à sauver le Liban est remarquablement courageuse, mais il ne faut pas oublier les forces de l’ombre et leur rôle traditionnel consistant à tout saborder et à tout tuer », a tweeté le leader druze, dans une claire allusion au Hezbollah.

On n’y croyait presque plus. Que l’Arabie saoudite puisse s’intéresser de nouveau au Liban et démontrer une volonté d’aider sous certaines conditions ce pays qui s’effondre est en soi une brèche non négligeable ouverte dans les relations entre les deux pays. En parvenant à remettre le Liban en selle ne serait-ce qu’en rhétorique pour le moment, le président français, Emmanuel...

commentaires (9)

Il a raison Walid Joumblat…

Eleni Caridopoulou

17 h 32, le 06 décembre 2021

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Commentaires (9)

  • Il a raison Walid Joumblat…

    Eleni Caridopoulou

    17 h 32, le 06 décembre 2021

  • Je vois personnellement trois points importants concernant le Liban. Passons en effet sur l'intérêt d'un succès diplomatique concernant le président français, et l'intérêt d'un succès diplomatique pour un prince héritier à qui l'on impute pour le moins un ignoble assassinat. En 1/ Un coup d'arrêt sur la corruption. En 2/ Un coup d'arrêt sur les milices armées. En 3/ Un renforcement des moyens des forces armées et de sécurité du Liban. Ceci n'est pas nouveau. Je l'écrivais moi-même il y a six mois ( https://www.cdr.tf/post/le-liban-politique ) et je ne suis en rien conseiller de l’Élysée. Le Hezbollah, et au-delà l'Iran, font peser un risque majeur sur l'existence même du Liban qu'ils prétendent "protéger" d'Israël. Israël a une lourde part de responsabilité. Ce rôle ne peut pas être celui d'une milice ou d'un pays voisin. Il ne peut être que celui des forces armées du Liban. La corruption fait peser un risque majeur sur toutes les aides humanitaires à destination du Liban. Je ne parlerai pas de la classe politique libanaise ou de l'absence de classe de certains politiciens libanais; je ne m'en reconnais pas le droit. Mais quand on associe à des négociations internationales la "rédemption" d'un gendre notoirement connu aux USA pour être impliqué dans ces pratiques... Il est difficile de croire que cela va changer demain. Après les élections, avec le vote des émigrés? Peut-être... En attendant, que Dieu et Saint Charbel Makhlouf gardent le Liban. Bon Avent à toutes et tous

    CODANI Didier

    12 h 54, le 06 décembre 2021

  • franchement voyez vous une difference quelconque quant aux conditions posees par l'arabie Saoudite-pareilles a celles emises par l'occident- ? sinon que cette fois-ci elles ont ete dictees en langue francaise ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 23, le 06 décembre 2021

  • Merci au président Macron et à MBS pour leurs efforts. Hormis l’humanitaire, la prochaine étape devrait être semblable à celle qu’avait effectué MBS en mettant sous séquestre tous ceux qui ont volé le royaume et ne les a libérés qu’après avoir rendu les milliards volés. Faisons la même chose avec nos corrompus de politiciens et au moins 50% de la dette sera couverte

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 46, le 06 décembre 2021

  • « la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État ». Principale condition pour le rétablissement ds relations libano-saoudennes, le désarmement du Hezbollah est aussi la condition sine qua non de la remise en ordre du pays par la l'instauration d'un Etat. Malheureusement on en est loin, avec un président qui - un comble pour un chef de l'Etat - continue imperturbablement à proclamer la légitimité des armes de la milice iranienne.

    Yves Prevost

    07 h 14, le 06 décembre 2021

  • Finalement c'est MBS qui a force son point de vue a Macron,et non le contraire,et c'est tant mieux! La seule "victoire"du Liban officiel ,c'est le coup de téléphone a Mikati,aussi pourquoi pas au président de la République? Un coup de pub pour omacron et MBS!

    Nassar Jamal

    06 h 58, le 06 décembre 2021

  • "De son côté, le principe héritier et homme fort du royaume saoudien"...c'est très probablement le prince héritier plutôt que le principe..

    Wlek Sanferlou

    03 h 10, le 06 décembre 2021

    • Bonjour, Merci pour votre commentaire, l'erreur a bien été corrigée. Bien cordialement,

      L'Orient-Le Jour

      08 h 35, le 06 décembre 2021

  • Why did the Antonin priests lease this land for the construction of a gas station in the first place? This project should be banned.

    Mireille Kang

    02 h 09, le 06 décembre 2021

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