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Nos Lecteurs ont la Parole

Au pays du pin qui flambe

Au pays du pin qui flambe

Photo Marc Fayad

Les arbres de Beit Méry brûlent ; toute la forêt de pins, tant de pins… là, persévérants, présents, verts, élevés, droits, parfois dansants, protecteurs, tutoyant le ciel… Dans la vallée, sur le flanc de la montagne. Partout le vert et cet horizon qui se déroule ondoyant, vaste, généreux. À l’exact opposé de cette vie étriquée que l’on nous impose en ce moment. Toute la générosité, la beauté, brûlées, attaquées : des jours et des jours que des criminels s’emploient à calciner nos espaces, les espaces de nos cœurs. Car oui, il y a des résonances entre les paysages et l’identité comme le disait l’immense poétesse qui vécut là-haut sur la colline, la grande Nadia Tuéni : « Je vous salue, vous qui êtes, dans la simplicité d’une racine (…). Je vous connais, vous qui êtes, hospitaliers comme mémoire ; vous portez le deuil des vivants, car l’envers du temps, c’est le temps. » (Jardinier de ma mémoire, Nadia Tuéni, Cèdres).

Beit Méry, arpenté de haut en bas, de bas en haut, tous les jours ou presque en 2021, en 2020, quand l’essence n’était pas cher ; depuis le confinement, depuis avant le confinement, depuis toujours. Depuis l’Église Mar Sassine jusqu’au club de Deir el-Kalaa pour pousser plus loin, vers le manège et ses beaux équidés – comment ont-ils réagi au feu ? Ruines romaines, byzantines, pierres anciennes, arbres et branchages, que je n’ai eu de cesse de fréquenter, pour m’ancrer, me retrouver au-delà des vicissitudes des choses. Beit Méry, avec ses pierres millénaires, ses mosaïques et son silence, symboliques de l’histoire et du patrimoine, des générations et de la régénération. On m’annonce qu’un incendie ravage la forêt au moment où j’arrive sur la place pour entamer ma rituelle promenade. Ma gorge se dessèche. Encore un attentat, encore un crime ; un énième attentat… Y compris contre les végétaux. Attentat contre ces symboles du vivant, du Liban : les pins.

Ils attaqueront donc tout indifféremment, « el akhdar wel yabess » (le vert et le desséché) à l’instar de ces sauterelles de 1915 qui avaient tout décimé, aidées en cela par les hommes, qu’ils soient ottomans ou autres politiques. Hommes sauterelles, hommes vautours… Que nul n’arrête ni n’empêche. Impunité et répétition.

Des motards font les zouaves. D’où viennent-ils ? Où vont-ils par là ? Il faut avoir le cœur à faire les zouaves dans un instant comme celui-ci. Ils ne sont pas du coin, clairement et on les a laissés passer. Comme on a tout laissé passer, comme on a laissé passer un massacre de plus de deux cents personnes et six mille blessés, qui souffrent encore dans leur chair... Saccagés : le port, les pins, la douce lumière de novembre, les humains.

Ghassan Tuéni, qui habitait à côté avec la poétesse, disait qu’« un pays ne trahit pas ceux qui l’aiment ». Quel est donc cet amour pyromane ? Ceux qui brûlent le pays l’aiment-ils ? Le pays se consume par la main des hommes – des Libanais ? – un jour, deux jours, Akkar, le Chouf, Beit Méry, et ainsi de suite... Nos lieux les plus verts, les plus porteurs d’espérance, les lieux sylvestres. Qui incendie le pays une première fois, l’incendie une deuxième quand il se sait impuni. « Après moi le déluge », « 3alayyi wa 3ala a3dai ya rabb ». C’est un peu cela maintenant le Liban, « 3alayyi wa 3ala a3dai »... Il y a quelque chose qui fume au pays du Cèdre, quelque chose de fumé, de surréel. Quand un diplomate britannique écrivait il y a quelques mois, paraphrasant Shakespeare, qu’il y a « quelque chose de pourri au pays du Cèdre », on trouvait la formule peu diplomatique. Faut-il encore faire dans la diplomatie, au point où nous en sommes ? Nombre de pays occidentaux ont relevé, révélé au grand jour les forfaits du gouverneur de la banque centrale du Liban. Et il est encore à la tête de cette institution essentielle, appauvrissant la population tous les jours un peu plus ! Il y a vraiment quelque chose de surréel au pays du pin qui flambe.

Nous sommes le pays de la flambe : Beyrouth a flambé, le Akkar a flambé, la montagne flambe, le dollar flambe, les ego n’en parlons pas. Tout flambe sauf les esprits ; eux, sombrent. Dans la mythologie védique, le feu (« agni ») est purificateur. Chez nous, les feux n’entretiennent rien hormis des colères et possiblement des espérances de courte durée. Feux maléfiques et, de temps à autre, feux d’artifice qui réveillent nos ardeurs endormies pour aussitôt s’éteindre.

L’herbe repoussera-t-elle à Beit Méry ? Les pins s’élèveront-ils à nouveau ? Sans doute car ils sont bien au-dessus des hommes. Mais quand? Quand la vie reviendra-t-elle ? Car nous sommes là pour vivre, non pas pour mourir. Il ne nous appartient pas de creuser nos tombes par nos propres mains.

« Dis-moi le nom de la maison

celle dont la forme est dans ma forme,

et l’ombre dans mon ombre.

Dis-moi l’arbre qui correspond

à la terre où je vais m’asseoir,

quand lumière et nuit se confondent »

(Jardinier de ma mémoire, Nadia Tuéni, Juillet de ma mémoire).

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Les arbres de Beit Méry brûlent ; toute la forêt de pins, tant de pins… là, persévérants, présents, verts, élevés, droits, parfois dansants, protecteurs, tutoyant le ciel… Dans la vallée, sur le flanc de la montagne. Partout le vert et cet horizon qui se déroule ondoyant, vaste, généreux. À l’exact opposé de cette vie étriquée que l’on nous impose en ce moment. Toute la...

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