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Société - Enquête exclusive Congo Hold-up

Comment la nébuleuse Tajeddine contourne les sanctions américaines contre le Hezbollah

L’enquête « Congo Hold-up », à laquelle « L’Orient-Le Jour » a participé, révèle comment la banque BGFI RDC a servi de plateforme à l’expansion et au renouvellement d’une nébuleuse d’entreprises associées à Congo Futur, un conglomérat industriel, sous sanctions américaines pour financement du Hezbollah.

Comment la nébuleuse Tajeddine contourne les sanctions américaines contre le Hezbollah

Kassem Tajeddine. Photo ANI

Les Tajeddine, une famille chiite libanaise ayant fait fortune en Afrique, sont au cœur d’un scandale financier dévoilé par l’enquête « Congo Hold-up », à laquelle L’Orient-Le Jour a participé. Celle-ci a pu être menée à la suite de la fuite de plus de 3,5 millions de documents et de détails sur des millions de transactions issues de la BGFIBank, obtenue par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte d’Afrique (PPLAAF) et le site français Mediapart, et partagée avec le réseau European Investigative Collaborations (EIC) et ses partenaires, dont L’Orient-Le Jour. Alors que trois membres de la fratrie sont actuellement sous sanctions américaines pour financement du Hezbollah, les entreprises de la nébuleuse Tajeddine figurent parmi les plus grosses clientes de la filiale congolaise de la banque BGFI. Cette dernière a servi au détournement de plus de 138 millions de fonds publics de la République démocratique du Congo (RDC), selon les révélations de « Congo Hold-up », principalement au profit du clan de Joseph Kabila, l’ancien président de la RDC.

– L’enquête montre comment la BGFI RDC a servi de plateforme à l’expansion et au renouvellement d’une nébuleuse d’entreprises associées à Congo Futur. Ce conglomérat industriel, sous sanctions américaines pour financement du Hezbollah, est détenu par un des membres de la fratrie, Ahmad Tajeddine, par ailleurs condamné pour crimes financiers par la justice belge. Un système rendu possible grâce à l’élite financière de la RDC, le 6e pays le plus pauvre du monde.

– La banque a en effet permis à ces entreprises d’accéder au système bancaire international pendant des années, malgré les sanctions américaines et les avertissements des banques correspondantes. Plusieurs dizaines de millions de dollars ont, entre autres, ainsi été transférés de la BGFI vers des comptes à l’étranger détenus par Kassem Tajeddine, un des frères placés sur la liste noire des États-Unis.

– Au Liban, le Trésor américain accuse l’empire Tajeddine de servir à « des achats et développements de terrains au nom du Hezbollah », via Tajco SARL. Kassem Tajeddine a cependant affirmé n’avoir plus aucun lien avec Tajco ou Congo Futur. Les enquêtes de « Congo Hold-up » ont cependant mis en exergue la persistance de liens entre des investissements immobiliers impliquant Tajco, ainsi que des actionnaires de Congo Futur et une compagnie contrôlée par Kassem Tajeddine.

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« C’est lui qui a payé l’opération du cœur de mon mari  », affirme, la voix emprunte de gratitude, une habitante de Hanaouay, près de Tyr, au journaliste d’al-Jadeed venu l’interroger en ce mois de mars 2017 sur la personnalité du village : Kassem Tajeddine. « Il a employé 500 personnes, originaires de tout le Liban-Sud pour travailler en Afrique », renchérit, face à la caméra, un autre habitant du village natal de l’homme d’affaires belgo-libanais. Le bienfaiteur ainsi loué de toutes parts a pourtant été arrêté, quelques jours plus tôt, au Maroc pour être extradé vers les États-Unis où la justice, qui le considère comme l’un des principaux bailleurs de fonds du Hezbollah, l’accuse d’avoir restructuré son empire commercial afin de contourner les sanctions à son égard.

Son nom est désormais étroitement lié au scandale financier « Congo Hold-up ». Cette enquête coordonnée par le consortium européen de journalistes EIC en collaboration avec une vingtaine d’autres partenaires, ONG et médias, dont L’Orient-Le Jour, se base sur une fuite de plus de 3,5 millions de documents et de détails sur des millions de transactions issues de la BGFIBank. L’enquête révèle que les entreprises liées à la famille font partie des plus gros clients de la filiale locale de la BGFIBank, affiliée au clan de l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila.

C’est surtout par le biais de Congo Futur, un conglomérat industriel spécialisé dans l’agroalimentaire, l’industrie du diamant et la construction, que la famille s’est fait connaître. L’entreprise, à la réputation controversée, est sous sanctions américaines depuis 2010 pour «  financement du Hezbollah ». Kassem Tajeddine a, pour sa part, été placé sur la liste des « ressortissants spécialement désignés » du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) en 2009, notamment pour son implication dans l’entreprise Tajco SARL, accusée d’agir comme promoteur immobilier pour le compte du Hezbollah. Un certain nombre d’indices concordants recueillis dans le cadre de l’enquête « Congo Hold-up » permettent de penser que la BFGI RDC a servi de plateforme à un réseau de personnes et d’entreprises accusées d’être affiliées à la milice chiite pour qu’elles accèdent au système bancaire international.

Dans un mémorandum envoyé à la justice américaine en juillet 2019, les avocats de Kassem Tajeddine qualifient son parcours d’« exceptionnel », l’histoire d’une ascension sociale impressionnante, d’une enfance passée dans « une maison d’une pièce sans plomberie, ni toilettes ou électricité » jusqu’au succès entrepreneurial en Afrique. Une réussite qu’il ne doit qu’à son « dur labeur ».

Cette « success story » débute véritablement avec son départ pour la Sierra Leone, en 1976, un an après le début de la guerre civile libanaise. Il a alors 21 ans. Il commence par donner un coup de main dans le magasin d’alimentation d’une parente, avant d’ouvrir son propre commerce deux ans plus tard. Au milieu des années 1980, il déménage en Côte d’Ivoire puis met le cap sur la Belgique en 1989, où il installe le siège de ses entreprises, tandis que ses activités africaines se développent et prennent leur envol au cours de la décennie suivante.

Future Tower, à Kinshasa. Photo RFI / Sonia Rollet

Le conglomérat familial Congo Futur, créé en 1997 et dirigé par son frère Ahmad, sera le symbole de cette réussite. Domiciliée dans la très moderne Future Tower, dans le quartier des affaires de Kinshasa, l’entreprise devient incontournable. Ses magasins sont disséminés dans tout le pays : le long des boulevards animés du centre-ville de la capitale aussi bien qu’au bord des chemins traversant les petits villages, où ils ont souvent le monopole sur l’importation des produits de première nécessité. Grâce à ses liens avec le clan Kabila, le groupe compte parmi les sous-traitants officiels de l’État et a la mainmise sur de nombreux marchés publics.

Ahmad Tajeddine, frère de Kassem et patron de Congo Futur. Photo tirée de sa page Facebook

« Tout le monde aime le Hezbollah »

Mais les choses se gâtent en 2003 : la police belge effectue une descente dans les bureaux de Soafrimex, une compagnie de négoce alimentaire gérée par Kassem Tajeddine et basée à Anvers. L’enquête initiale se base sur une note envoyée au procureur d’Anvers en 2002 par la Sûreté de l’État (VSSE), le service civil de renseignements et de sécurité belge. La note fait part de suspicions au sujet de Soafrimex. Sont évoqués une potentielle contrebande de «  diamants de conflit  » ainsi que des soupçons de financements du Hezbollah.

Pendant plusieurs mois, les enquêteurs belges déploient d’importants moyens et se rendent même au Liban afin de comprendre la finalité des transferts, sans trouver les preuves nécessaires pour maintenir les accusations de financement du terrorisme ou de contrebande de diamants. Leurs investigations révèlent cependant un système de double facturation ayant permis de dissimuler l’origine de plus de 50 millions d’euros. Les factures destinées aux clients, dont le plus gros était Congo Futur, étaient ainsi systématiquement inférieures à celles enregistrées auprès de Soafrimex. Fin 2009, la cour d’appel d’Anvers livre son verdict final et condamne Kassem Tajeddine et sa femme, ainsi que Ahmad et Jafaar Tajeddine, deux de ses frères, pour «  fraude et blanchiment d’argent  », leur infligeant des peines allant jusqu’à deux ans de prison avec sursis.

Un mois après le verdict belge, c’est au tour de la justice américaine de poursuivre la fratrie. En 2009, le Trésor américain place Kassem Tajeddine sur la liste des « ressortissants spécialement désignés » (SDN) de l’OFAC, l’accusant d’avoir contribué au financement du Hezbollah à hauteur de « dizaines de millions de dollars » via son frère Ali. La nouvelle tombe comme un coup de massue, le placement sur cette liste valant interdiction – sauf dérogation spéciale – d’effectuer des transactions en dollars. Autrement dit, une véritable mise au ban du système financier mondial pour l’homme d’affaires et les entreprises auxquelles il est lié. Les États-Unis imposeront, l’année suivante, des sanctions contre Ali Tajeddine, qu’ils présentent comme un ancien commandant de la milice chiite à Hanaouay. « J’aime le Hezbollah, tout le monde aime le Hezbollah, mais je n’ai aucune relation avec eux », martèle l’intéressé au Wall Street Journal en 2016.

Mais ses accusateurs ne l’entendent pas ainsi. « Depuis au moins décembre 2007, Ali Tajeddine (sic) a utilisé Tajco SARL, opérant sous le nom de Tajco Company LLC, comme principale entité pour acheter et développer des propriétés au Liban pour le compte du Hezbollah », note le Trésor américain. « Tajco faisait partie à l’époque des quatre sociétés privées proches du Hezbollah spécialisées dans la construction », confirme Joseph Daher, politologue à l’université de Lausanne. L’entreprise Tajco a été créée en 1995 par Ali, Mahmoud, Youssef, Ibrahim et Kassem Tajeddine. Les cinq frères possèdent alors chacun 20 % de la compagnie, selon le registre du commerce libanais.

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Ces millions de l’UE qui alimentent les comptes du réseau Tajeddine

En ligne de mire de la justice américaine : des achats massifs de terrains entre Jezzine et la vallée de la Békaa. « À la fin du conflit avec Israël, le Hezbollah a été contraint de se déplacer vers le nord de la rivière Litani, dans les collines près du petit village chrétien de al-Qatraneh et du village druze d’al-Sreiri. À l’époque, j’ai discuté avec des habitants chrétiens et druzes qui m’ont fait part d’investissements immobiliers massifs dans leur région : Ali Tajeddine payait en argent comptant les propriétaires afin d’acquérir leurs terrains. L’objectif semblait alors de créer une ceinture chiite entre Nabatiyé et le sud-ouest de la Békaa, afin d’offrir au Hezbollah un territoire uniforme sur le plan confessionnel », affirme Nicholas Blanford, chercheur au Atlantic Council basé à Beyrouth. Lors de son enquête sur le sujet, le chercheur assure avoir rencontré Ali Tajeddine en 2007. « Il n’a pas nié les faits, mais il m’a dit qu’il s’agissait d’un investissement commercial destiné à des employés de toutes confessions travaillant dans des carrières », dit-il. Hassan Tajeddine, le fils de Ali et actuel PDG de Tajco, affirme à « Congo Hold-up » que sa société – actuellement en liquidation – n’a eu « aucun rôle » dans les achats effectués par son père. Il assure également n’avoir jamais effectué de transactions pour le compte du Hezbollah, avec lequel il entretient de « bonnes relations comme [avec] les autres parties (politiques, NDLR) ».

Pour Kassem Tajeddine, les liens complexes unissant respectivement les différents membres de la fratrie au parti chiite auraient surtout conduit les enquêteurs américains à aller vite en besogne. Dans un article publié en mai 2016 par le magazine en ligne Tehran Bureau, son avocat de l’époque, Chibli Mallat, évoque notamment une confusion entre les investissements immobiliers de son frère Ali et les siens. Une version qu’il réitère dans une lettre transmise par ses avocats à « Congo Hold-up ». « J’ai beaucoup souffert de la confusion des faits et des personnes au cours de mes combats judiciaires aux États-Unis et je continue à en souffrir ici », écrit-il. Et d’insister : « J’ai toujours dit que mon inscription sur la liste des ressortissants spécialement désignés était inappropriée, et que je n’ai jamais fourni de financement ou tout autre soutien à une organisation terroriste ou au Hezbollah. » Le gouvernement américain reste cependant toujours convaincu du contraire, sans avoir néanmoins rendu publiques les preuves en sa possession lui permettant de justifier accusation. Faute de pouvoir accéder à ces documents toujours classifiés – comme l’a confirmé un porte-parole du Trésor américain à « Congo Hold-up » –, l’enquête menée par le consortium n’a pas permis de les vérifier de manière indépendante.

« Stratégie d’appropriation du territoire »

Il reste que les efforts considérables que l’homme d’affaires a déployés depuis afin d’être rayé de la liste noire américaine n’ont pas été couronnés de succès. Kassem Tajeddine « a cessé toute relation commerciale et financière avec Tajco Ltd, Congo Futur et toute autre société détenue ou contrôlée par ses frères ou d’autres personnes sur la liste (SDN) », expliquaient par exemple, en 2016, ses avocats dans une lettre adressée à l’OFAC. Quant à sa participation initiale dans Tajco, de laquelle il affirme s’être retiré en 2010, elle aurait été limitée « aux formalités de l’entreprise », poursuit la lettre. Des informations contradictoires viennent cependant jeter le trouble en ce qui concerne cette ligne de défense : Hassan Tajeddine, le PDG de Tajco, nous a ainsi affirmé avoir acheté les parts sociales de son oncle en avril 2006, et non en 2010, comme l’indique un document que s’est procuré « Congo Hold-up ». Or, si ce dernier est bien tamponné par le notaire en 2006, l’enregistrement auprès du registre du commerce, nécessaire pour l’officialisation de la cession des parts sociales et son opposabilité au tiers, est daté de 2014. « Il peut être courant qu’un certain délai sépare les deux étapes, notamment du fait de lenteurs administratives. Mais huit ans, c’est difficilement explicable, surtout pour un homme d’affaires chiite aussi influent… » commente un avocat interrogé pour les besoins de l’enquête. « Cela étant, il arrive que certains parviennent à convaincre des notaires trop complaisants d’antidater de tels documents », ajoute-t-il.

Les investigations de « Congo Hold-up » tendent par ailleurs à mettre en lumière des investissements immobiliers dans la banlieue de Beyrouth, dans lesquels seraient impliqués Tajco ainsi que des personnalités affiliées à Congo Futur et à entités contrôlées par Kassem Tajeddine. Le lien se ferait via Garden City, un projet de développement résidentiel et commercial situé à Bir Hassan. Le quartier « a fait l’objet d’une stratégie d’appropriation du territoire mise en place par divers promoteurs chiites proches du Hezbollah et d’Amal », explique Yasmine Hassan Farhat, qui a effectué des recherches en 2019 sur le processus de territorialisation confessionnelle à Bir Hassan. « Ils ont pu le faire notamment en confiant exclusivement le mode de production urbain à des “promoteurs agréés”, une élite chiite très bien connectée avec le pouvoir, à l’image des Tajeddine », poursuit la chercheuse. « La société “Garden City” a acheté le terrain sur lequel elle a été construite en 2007 et, en 2010, Tajco a été chargée de mettre en œuvre le projet résidentiel », dit encore Yasmine Hassan Farhat.

Selon le registre du commerce libanais, consulté par « Congo Hold-up », il existe bien une entreprise au nom de Garden City SNC, fondée en 2008, située à l’époque au siège de Tajco à Bir Hassan, à quelques pas du projet immobilier en question. Les noms de certains fondateurs et actionnaires de Garden City sont aussi liés à Congo Futur ainsi qu’à Ovlas Trading SA, une société offshore libanaise contrôlée par Kassem Tajeddine. Contactés par « Congo Hold-up », aucun de ces actionnaires n’a répondu à nos questions.

Hassan Tajeddine, le directeur de Tajco, écrit que sa société s’est associée à Garden City SNC pour des travaux de conseil et a ensuite agi « comme un courtier pour vendre des propriétés ». Il assure cependant qu’il n’a aucun lien commercial avec Congo Futur ou Kassem Tajeddine.

Garden City est un projet de développement résidentiel et commercial à Bir Hassan. Photo NMA

De Congo Futur à Glory Group

Si l’étau des sanctions américaines aura fini par entraîner la disparition officielle de Congo Futur, la nébuleuse Tajeddine a trouvé d’ingénieux moyens pour se réinventer et continuer de prospérer après l’imposition des sanctions américaines, avec l’aide de la BGFI RDC. Un nouveau conglomérat baptisé Glory Group est ainsi constitué pour gérer plusieurs compagnies actives dans des domaines qui étaient autrefois le cœur de métier de Congo Futur : la société immobilière Simmokin, la Société congolaise de construction moderne (SCCM), l’entreprise d’exploitation forestière Cotrefor, ou encore Union Invest.

Toutes sont contrôlées, dans les faits, par le Libanais Youssef Sleiman, par ailleurs coactionnaire d’une autre compagnie avec la femme de Ahmad Tajeddine, et son associé Abed Hassan Farhat, un actionnaire de Congo Futur, selon le Journal officiel congolais de 2012. Leurs comptes, qui sont tous décrits par la BGFI RDC comme appartenant à Glory Group, reçoivent d’importants dépôts en espèces. Des centaines de milliers de dollars – apparaissant souvent sous la forme de chiffres ronds et par virements uniques – circulent aussi entre ces comptes sans aucune référence à des marchandises échangées. Ce nouveau réseau d’entreprises réussit aussi à effectuer des virements à l’international avec l’aide de la banque congolaise. Les documents fuités montrent en effet que Abed Hassan Farhat et le directeur de la conformité de la BGFI RDC, Moreau Kaghoma, aurait ainsi mis au point un processus qui aurait permis de dissimuler les expéditeurs réels de virements réalisés par une des filiales de Glory Group afin d’échapper au contrôle des banques correspondantes.

La banque du clan Kabila n’est pas la seule à abriter une multitude de comptes de sociétés liées à Congo Futur, c’est aussi le cas d’un autre établissement basé en RDC, la filiale locale de la banque nigérienne Access Bank. « Trois personnes géraient tous les comptes, dont Abed Hassan Farhat et Youssef Sleiman. Ils établissaient une nouvelle société presque chaque mois. On n’a jamais vu les actionnaires officiels, qui étaient des employés de Congo Futur », raconte Israël Kaseya, lanceur d’alerte à la Access Bank, à « Congo Hold-up ». Contactée, Access Bank n’a pas pu commenter ces affirmations dans les temps impartis. « Et lorsque nous avons dû geler le compte de la SCCM suite à un signalement de notre banque correspondante, ils sont allés jusqu’à ouvrir des comptes fictifs, pour lesquels ils n’ont fourni aucune documentation légale sur leur nature ou l’identité des titulaires », poursuit le lanceur d’alerte. Des propos fermement niés par la SCCM, qui indique notamment, dans un courrier à « Congo Hold-up », avoir « trouvé d’autres moyens pour recouvrer (ses) droits (et rester) en conformité avec la législation congolaise ».

Virements suspects

Le traitement de faveur de la BGFI envers son client s’explique par leur relation privilégiée, soulignée dans un document de 2015 de la banque, qui note que les sociétés du conglomérat font partie de ses « principaux pourvoyeurs de cash ». Les rapports avec le groupe « se passent très bien », lit-on dans un autre e-mail adressé au chargé de relation clientèle au sein de la banque. Un constat qui contraste avec les nombreuses inquiétudes soulevées dès 2011 par les banques correspondantes dans leurs échanges avec la BGFI RDC quant aux liens potentiels entre ses clients et Congo Futur.

Certains transferts suspects ne sont peut-être pas étrangers à l’indulgence de la banque envers Glory Group. La fuite massive de données a ainsi permis de découvrir un virement bancaire d’un million de dollars en mars 2016 vers l’entreprise Sud Oil. Cette société-écran, impliquée par ailleurs dans un autre scandale de détournement majeur de fonds publics révélé par « Congo Hold-up », est en effet sous le contrôle effectif de Francis Selemani, le frère adoptif de Joseph Kabila et président de la BGFI RDC jusqu’en 2018. Un mois plus tôt, un dépôt en espèces de 705 500 dollars avait aussi été comptabilisé sur le compte de Glory Group, puis crédité sur celui de Sud Oil. Les libellés de ces opérations n’indiquent aucun motif spécifique.

Virement d'un million de dollars de Glory Group à Sud Oil. Document PPLAAF/Mediapart

La fuite issue de la BGFI montre aussi que, contrairement à ce qu’il a affirmé à l’OFAC, Kassem Tajeddine a continué à entretenir des relations commerciales avec des entreprises affiliées à Congo Futur. Glory Group a en effet réalisé des virements en devises à l’étranger depuis ses comptes à la BGFI vers des entités contrôlées par Kassem Tajeddine, en dépit des interdictions. Epsilon Trading FZE, une société boîte aux lettres, sans site internet ni courriel officiel, enregistrée aux Émirats arabes unis, a ainsi reçu plus de 88 millions de dollars entre 2013 et 2017 venant de ces compagnies affiliées à Glory Group pour l’achat de marchandises allant de produits alimentaires divers à des moteurs diesel. Kassem Tajeddine a reconnu en 2018 devant la justice américaine avoir utilisé cette même compagnie pour blanchir de l’argent et contourner les sanctions américaines à son encontre.


virement de Glory Group à Epsilon Trading, une société boîte aux lettres contrôlée par Kassem Tajeddine. Document PPLAAF/Mediapart

S’il refuse désormais, dans sa réponse à « Congo Hold-up », de « parler des transactions concernant ces entreprises et ces personnes », il tient à dénoncer une « confusion » dans le fait de mentionner des opérations de sociétés « reliées les unes aux autres de manière désordonnée et, à leur tour, présentées comme une seule et même entité qui serait responsable de certaines actions ». Et d’ajouter : « Je trouve étonnant qu’il n’y ait eu aucune tentative pour examiner la légitimité de ces transactions. »

Retournement de situation

Après son extradition aux États-Unis, Kassem Tajeddine y est accusé par la justice d’avoir restructuré son empire commercial, en créant de nouvelles entités, notamment aux Émirats arabes unis, et d’avoir dissimulé son identité, afin de contourner les sanctions à son encontre. Un système qui lui a permis, selon l’acte d’accusation, de réaliser pour plus de 27 millions de dollars de transactions illégales avec des entités américaines. Il plaide coupable en 2018 de « conspiration en vue de blanchir de l’argent ». Il est condamné au paiement d’une amende de 50 millions de dollars et à une peine de cinq ans de prison.

Explication

Qu’est-ce que « Congo Hold-up », la plus grosse fuite de données financières d’Afrique?

Mais, en juillet 2020, un retournement de situation intervient avec sa libération anticipée de deux ans, officiellement pour raisons de santé. Alors que plusieurs médias lient le sort de Kassem Tajeddine à un accord d’échange de prisonniers entre Washington et Téhéran – dont le Libano-Américain et ex-milicien de l’Armée du Liban-Sud Amer Fakhoury, libéré quelques mois plus tôt par Beyrouth –, Kassem Tajeddine dément catégoriquement tout lien de ce type. « Comme le prouvent les documents judiciaires américains, ma libération relevait exclusivement d’un acte de compassion, et non d’un accord plus large ou d’un échange de prisonniers », lit-on dans le courrier qu’il a adressé au consortium. L’homme d’affaires vit depuis au Liban.

Son retour à son village natal à Hanaouay, en juillet 2020, donne lieu à des scènes de liesse spectaculaires, tandis qu’il défile dans les ruelles, saluant les habitants depuis sa décapotable entourée d’un cortège de voitures et de scooters. L’aîné de la fratrie est accueilli chez lui au son des youyous des femmes qui lui lancent des pétales de fleurs.

Cette enquête a été soutenue financièrement par le fonds Investigative Journalism for Europe (IJ4EU).


NB: Cet article a été modifié le 26/11/2021 pour rectifier une erreur de calculs sur le montants total des virements vers les comptes bancaires de Epsilon.

Vous avez des questions sur cette enquête, ses conclusions, sa réalisation ? Posez-les à notre journaliste Nada Maucourant Atallah, en envoyant un email à redaction@lorientlejour.com, elle vous répondra demain jeudi sur www.lorientlejour.com à 17h (heure Beyrouth).

Les Tajeddine, une famille chiite libanaise ayant fait fortune en Afrique, sont au cœur d’un scandale financier dévoilé par l’enquête « Congo Hold-up », à laquelle L’Orient-Le Jour a participé. Celle-ci a pu être menée à la suite de la fuite de plus de 3,5 millions de documents et de détails sur des millions de transactions issues de la BGFIBank, obtenue par la Plateforme de...

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LA MAFIS IRANO/HEZBOLLAHI DANS TOUTE SON OPULENCE. QUE NAINS SONT AL CAPONE ET TOUS LES AUTRES MAFIEUX DU MONDE. ET CETTE MAFIA NOUS GOUVERNE VIA DES TRAITRES CHRETIENS ET SUNNITES.

MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

20 h 11, le 24 novembre 2021

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Commentaires (8)

  • LA MAFIS IRANO/HEZBOLLAHI DANS TOUTE SON OPULENCE. QUE NAINS SONT AL CAPONE ET TOUS LES AUTRES MAFIEUX DU MONDE. ET CETTE MAFIA NOUS GOUVERNE VIA DES TRAITRES CHRETIENS ET SUNNITES.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    20 h 11, le 24 novembre 2021

  • Quand je vois comment des chrétiens et Druzes ont accepté de vendre leurs terres et maisons à des traîtres mafieux, je ne peux m’empêcher de penser à la méthode israélienne en 1948 ainsi qu’à la cupidité aveugle de ceux qui ont cédés leurs biens.

    Wow

    12 h 30, le 24 novembre 2021

  • Et on se demande comment tous ces mafieux continuent à mener une vie tranquille et en liberté en s’affichant partout malgré les sanctions et les soupçons qui pèsent sur eux. Bizarre et étrange car pour beaucoup moins que ça certains individus croupissent en prison pour des sommes insignifiantes. Le monde est gangrené de corrompus et ils sont tous solidaires entre eux. Il n’y a qu’à voir l’exemple de notre pays où tous les politiciens ont placé l’argent volé du peuple dans les banques les plus prestigieuses et soit disant les mieux cotées sans être inquiétés alors que si un citoyen lambdas tente d’ouvrier un compte dans ces mêmes banques avec le peu d’argent qu’il a économisé on lui cherche des poux et il se voit refusé en fin de compte pour manque de preuve ou de justificatif. Plus c’est gros et mieux ça passe il faut être un gros bonnet pour acheter le silence des banques qui sont toujours à l’affût des transactions juteuses aussi sales et douteuses soient elles pourvu qu’elle dépassent les centaines de millions. Il faut arrêter avec l’hypocrisie des nations qui se veulent exemplaires. Les banques devraient être poursuivies au même titre que ces mafieux, sans eux l’argent ne peut pas circuler.

    Sissi zayyat

    11 h 42, le 24 novembre 2021

  • Ils n'ont fait que copier le processus que les sionistes occidentaux ont mis au point, en achetant les propriétés des autochtones palestiniens, avec la complicité de la sublime porte corrompue, et ériger ensuite l'état d'Israël.

    DAMMOUS Hanna

    11 h 24, le 24 novembre 2021

  • Chers responsables Il y'a probablement une pénurie d'éditoriaux qui sont le coeur d'un journal j'aimerais en savoir les raisons . Merci

    Hitti arlette

    11 h 18, le 24 novembre 2021

  • Ca nous fait penser à toutes ces constructions sauvages d’immeubles depuis plus de 20 ans autour de la DAHIYÉ ( hadeth/ furn el chebback…) avec sans doute, des implantations de nombreuses familles proches des partis de la dahiyé, acquérant des appartements dans ces regions , dans un but à long terme, de changer la démographie de ces régions…. Question qui se posaient à l’époque dans ces quartiers. et dans certains articles de presse ( de mémoire). Cet article fait penser à ce sujet d’époque… bizarre…

    LE FRANCOPHONE

    09 h 49, le 24 novembre 2021

  • La peste noire.

    Christine KHALIL

    08 h 41, le 24 novembre 2021

  • L’OLJ devrait plus enquêter sur les affaires mafieuses des politiciens libanais qui ont volé le peuple au lieu de perdre du temps sur des affaires qui ne nous concernent pas.

    Achkar Carlos

    05 h 56, le 24 novembre 2021

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