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Culture - Initiative

Valoriser les artisans du Liban pour préserver et sauver sa culture

« The Ready Hand », ouvrage déjà entamé depuis février par Zeina Raphaël et Pascale Habis pour être une référence documentée sur tous les métiers d’art et d’artisanat pratiqués sur le territoire libanais, a pris une dimension plurielle.

Valoriser les artisans du Liban pour préserver et sauver sa culture

L’art de la poterie, un pilier de l’artisanat libanais. Photo Tarek Moukaddem

Il y a urgence. Urgence à documenter, à informer, à raconter. Sur l’artisanat du Liban, sur le savoir-faire qui est en train de disparaître à grands pas. Et surtout, cet héritage culturel que nous ont laissé nos ancêtres, nos sages. Et ceci, Zeina Raphaël et Pascale Habis l’ont très bien compris et perçu. La première, sociologue de formation et actuellement agent de designers de meubles et d’objets design au sein d’Almaz Collectible Design, est rentrée s’installer au Liban en 2015. En 2019, elle a cocuraté à Londres l’exposition Beyond à l’initiative de l’association libanaise LIFE chez la maison d’enchères britannique Phillips. Quant à Pascale Habis, graphiste de formation, diplômée en Communication Arts, directrice artistique et entrepreneuse, elle a travaillé dans la publicité, avant de multiplier les projets dans divers domaines comme celui de créer la première boutique muséale du Beirut Art Center (BAC) ou de publier un livre de recettes intitulé Beirut Cooks. Leurs chemins se croisent en février 2021 mais elles percevront ce projet d’ouvrage comme une évidence après la terrible double explosion au port de Beyrouth en 2020.


Maîtriser des outils pour sauvegarder les traditions et le patrimoine. Photo Tarek Moukaddem

Et le projet prend forme

Contre la suppression, elles vont opposer l’existence, et contre l’oubli, la mémoire. « Après la date fatidique du 4 août, il nous semblait nécessaire, voire vital, de tout documenter, affirment-elles. Surtout que les secteurs les plus endommagés, Mar Mikhael et Gemmayzé, constituaient le hub des artisans. Par ailleurs, en voulant restaurer nos maisons, nous nous sommes rendu compte combien les artisans étaient essentiels à notre vie. » Et Pascale de citer un petit exemple : « Lorsque, dans ma maison, le baghdadi (les lattes de bois soutenant les toitures des anciennes demeures) a été démoli, je compris alors ce qu’était un baghdadi et j’ai réalisé qu’il n’y avait plus qu’un seul spécialiste pour le réparer à l’ancienne. » Si toutes deux perçoivent le besoin urgent d’artisans pour la reconstruction des demeures traditionnelles, elles se rendent aussi compte que les petites échoppes tendent peu à peu à disparaître. Zeina Raphaël commence à réfléchir à la constitution d’une base de données pour orienter le public sur la piste de tous ces artisans aujourd’hui éparpillés et travaillant toujours sans aucune visibilité. Elles vont mettre leurs idées, leurs désirs et leur énergie en commun afin de publier un ouvrage sur les artisans oubliés du Liban.

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« Le projet était sur les rails dès février 2021, en plein confinement, avoue Zeina Raphaël. Nous étions en relation avec 180 acteurs (architectes, designers…) qui collaborent avec des artisans et qui ont partagé avec nous leurs contacts. Après le confinement et après avoir constitué un bon carnet d’adresses, nous avons pu nous rendre chez les artistes et artisans. »


Ces artisans qui perpétuent des gestes ancestraux... Photo Tarek Moukaddem

De ces visites qui les emmènent aux quatre coins du pays, elles commencent par retenir des photos prises sur les téléphones portables et qu’elles s’empressent de partager sur les réseaux sociaux. Les photos amateur qu’elles publient suscitent de multiples encouragements enthousiastes, si bien qu’elles s’empressent de soigner les visuels et de partager de belles photos artistiques.

Ces pérégrinations, nullement touristiques, ont pour objectif d’explorer le pays, d’en ratisser les coins et recoins pour dresser un état des lieux compréhensif des différents métiers d’artisanat exercés. Cela fait donc plus de 9 mois que Zeina Raphaël et Pascale Habis recherchent « non pas les hommes, mais les corps de métier artistiques sur tout le territoire libanais », qu’elles découvrent un potentiel humain énorme et une richesse jusque-là non valorisée et qui tend à disparaître à cause d’abord du Covid, mais aussi de la crise économique et financière du pays.

Elles s’attellent alors à rassembler ces informations, sous forme de textes compréhensifs illustrés de photos, dans un ouvrage intitulé The Ready Hand. « Nous allons aussi inviter des plumes d’anthropologues, de sociologues, d’historiens… »

L’ouvrage comprendra également des histoires racontées de manière ludique, « comme la naissance de la couleur pourpre à Tyr et des anecdotes qui font notre identité », indiquent les deux jeunes femmes qui souhaitent s’adresser autant aux professionnels qu’à un lecteur lambda. L’objectif n’étant pas de « constituer une encyclopédie ou un coffee table book, mais un livre qu’on aimerait souvent consulter », précisent-elles.L’ouvrage sera divisé en chapitres portant sur les différentes matières premières (bois, métal, verre, pierre, textile, papier…)

et dans chacun, les métiers correspondants. « Nous nous sommes référées à la liste des arts et métiers en France, car ils ont une classification déjà établie et nous l’avons adaptée au Liban », indique Zeina Raphaël.

Certains chapitres, cependant, ne porteront pas sur les matières premières, à l’instar de ceux relatifs à la confection des instruments de musique qui seront jumelés dans une section consacrée aux loisirs. « Chaque visite, ou “road trip”, enrichit notre ouvrage, poursuit Raphaël avec passion. Nous avons découvert des métiers insoupçonnables. »

En cours de route, les deux jeunes femmes se sont heurtées à une évidence : la plus récente base de données concernant les artisans du Liban a été constituée en 2000 par le ministère des Affaires sociales. Raphaël et Habis ont alors procédé à sa mise à jour en appelant un par un les numéros existants et procédant ainsi par élimination, « car cette liste était devenue obsolète, disent-elles. Nous sommes donc en train de bâtir une nouvelle base de données en nous appuyant souvent sur le ouï-dire. Nous collectons le nom des artisans, leurs coordonnées, mais aussi leur emplacement, car plus tard, après avoir achevé le site web, nous aimerions bâtir une application pour géolocaliser tous ces artisans ».


Les frères Assaf, tailleurs de pierre et sculpteurs. Photo Tarek Moukaddem

Et le projet grandit…

« Aujourd’hui, ce n’est plus un simple ouvrage livresque comme l’imaginait Pascale ou une simple base de données comme je l’entrevoyais, affirme Raphaël. C’est un projet beaucoup plus grand qui prend une dimension à l’échelle nationale. Ce projet prend de l’ampleur de jour en jour et l’équipe s’étoffe. » « Ainsi, un documentaire filmé, réalisé par Danielle Rizkallah, verra le jour en parallèle au projet du livre. « Nous avons engagé une équipe professionnelle qui filme avec nous, l’état des lieux. Le documentaire durera 50 à 60 minutes. Nous y dénonçons la situation tragique et précaire de ces talents, et nous y donnons la voix à ces artisans. Il fallait documenter par le visuel et l’écrit car nous le sentons bien : à chaque visite, ça va de mal en pis. Ainsi, les artisans de Bourj Hammoud, par exemple, après le 4 août, n’ont reçu aucune aide, et depuis la première fois que nous les avons contactés, nous en voyons beaucoup qui ont fermé boutique. Nous sommes donc dans une espèce d’urgence parce que nous avons peur de les perdre les uns après les autres. » Aujourd’hui, Pascale Habis et Zeina Raphaël continuent leur découverte des trésors cachés du Liban.« C’est à présent une question qui dépasse l’artisanat pour atteindre la culture, l’héritage, le patrimoine. La route est très longue mais avec l’aide de deux fondations, celles de Robert Matta et Philippe Jabre, qui nous sont venues en aide jusqu’à présent, nous construisons des fondations pour un projet encore plus grand. Montrer comment ces gens-là ont survécu à tous ces temps durs, informer, éveiller les consciences... » Pour les initiatrices du projet, il ne s’agit plus d’un livre de références mais d’un combat social pour revaloriser ces métiers qui tendent à disparaître, et qui rassemblent diverses cultures et savoir-faire, « puisqu’il y a des artisans arméniens, palestiniens, syriens ou égyptiens sur le territoire libanais », rappellent-elles.

L’objectif ultime, le rêve de Zeina Raphaël et de Pascale Habis serait de redonner à l’artisanat du (et au) Liban sa valeur d’antan. « Dans la création artistique, tout le monde est uni, et comme travailler de ses mains s’apparente à une forme de méditation, ce serait aussi une promesse de paix pour tous ces gens issus de communautés différentes et qui laisseront leurs rivalités de côté devant l’œuvre artistique », assurent celles qui croient de tout cœur en un Liban uni et reconnaissant envers sa culture. Ses cultures.

Pour suivre le cheminement du projet sur Instagram :

@thereadyhand

Il y a urgence. Urgence à documenter, à informer, à raconter. Sur l’artisanat du Liban, sur le savoir-faire qui est en train de disparaître à grands pas. Et surtout, cet héritage culturel que nous ont laissé nos ancêtres, nos sages. Et ceci, Zeina Raphaël et Pascale Habis l’ont très bien compris et perçu. La première, sociologue de formation et actuellement agent de designers de...

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