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Nos Lecteurs ont la Parole

Passage au froid

« Une rafale de vent pulse un courant glacial sous la porte. Isolé l’ermite ? Mais de quoi ? L’air se glisse à travers les poutres, le soleil inonde la table, l’eau s’étend à un jet de pierre, l’humus est là sous le plancher de bois, l’odeur des bois s’immisce par les fentes, la neige s’infiltre par les pores de la cabane, un insecte s’invite sur le parquet. En ville, une couche de goudron prémunit le pied de tout contact avec la terre, et entre les hommes se dressent des murs de pierre. » Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011.

Samira enseignante et Albert médecin quittent le Liban pour l’Alaska. Elle se confie à une amie journaliste qui s’informe au sujet de leur passage au grand froid : « On a choisi de nous éloigner de notre cher pays car je n’arrivais plus à respirer l’air propre et la santé émotionnelle. Des poubelles entassées à la cohabitation avec des “normes” hallucinantes, le sens le plus élémentaire de survivre au présent est devenu inacceptable. Il en reste de bons souvenirs autour d’un café. Néanmoins, les gens parlent de ce qui est dit et le commentent selon le parti pris des uns et des autres. La raison principale pour laquelle j’ai quitté est de redécouvrir le dialogue sans être reçue par des préjugés. Chez nous le faire face a été remplacé par le terrible fait accompli qui consacre des avis indiscutables. Je n’ai trouvé autour de moi que de rares contextes interactifs disposés à la communication ouverte et évolutive. Ici je suis prête à rencontrer ce froid glacial pour que la nature ranime mes élans. Je vais me débarrasser des ententes tacites dans ma relation avec toi Albert. Désormais je me moque de te séduire avec mes formes esthétiques et la mise en silence de ma vie intérieure. Je veux te rencontrer à nouveau pour dégager ce qu’on a gardé en nous afin de ne plus prévaloir le socialement correct. Je te propose de redécouvrir nos rapports sans autre tutelle que notre amour et l’exploration de nos mondes. »

La réponse d’Albert se résume en ce qui suit : « J’en ai eu assez de suspendre de vrais échanges pour ménager tes susceptibilités et celles des autres membres de ta famille. Eux ne défendent pas leurs propres convictions mais des traditions indiscutables. Je suis épuisé de n’avoir pu engager ma singularité humaine sans devoir subir les reproches de n’être qu’un esprit libre et non pas l’homme de quelqu’un ou un partisan. Maintenant bien loin de tout ça, je n’ai plus à me poser des questions légitimes mais à exercer ma citoyenneté. Je vais dans les forêts apprendre l’histoire des arbres et des animaux en les observant. Dans mon pays, les mêmes mots et les phrases bien articulées ne m’ont mené qu’aux frustrations et aux attentes stériles. Ici je ne veux plus appartenir qu’à l’exercice de la paix par la cohérence. Adieu aux tensions qui composaient mes attentes. J’ai hâte de découvrir d’autres espèces, une nature propre, de réels représentants, des répondants avec une logique sensée et les actes ordinaires civilisés. Après avoir survécu par miracle à tant de drames ne portons plus de gants chère Samira pour nous connaître. Prenons la vie à bras ouverts dans un pays où personne ne nous connaît ! Elle nous a tant manqué ! »

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Une rafale de vent pulse un courant glacial sous la porte. Isolé l’ermite ? Mais de quoi ? L’air se glisse à travers les poutres, le soleil inonde la table, l’eau s’étend à un jet de pierre, l’humus est là sous le plancher de bois, l’odeur des bois s’immisce par les fentes, la neige s’infiltre par les pores de la cabane, un insecte s’invite sur le parquet. En ville,...

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