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Économie - Entretien

Hekmat Abou Zeid : La décentralisation peut être un « accélérateur de croissance »

Au cours de l’été dernier, le juriste et numéro deux de la société de transfert d’argent OMT publiait « La révolution institutionnelle au Liban ». Un ouvrage qu’il a présenté en octobre à Paris et dans lequel il insiste également sur l’impact positif de la décentralisation administrative telle que conçue par la Commission sur l’environnement des affaires et l’optimisation de la gestion des fonds publics, dirigée par l’ancien ministre et avocat Ziyad Baroud.

Hekmat Abou Zeid : La décentralisation peut être un « accélérateur de croissance »

Hekmat Abou Zeid, auteur de « La révolution institutionnelle au Liban ». Photo DR

La structure institutionnelle du Liban, construite autour du confessionnalisme, a plus que jamais montré ses limites lors de ces deux dernières années de crise, ce qui a naturellement donné du grain à moudre aux voix comme la vôtre, appelant à réformer les institutions pour éviter que le pays implose, mais aussi pour qu’il soit mieux géré. Sur cette base, dans quelle démarche s’inscrit la publication de votre ouvrage ?

J’ai voulu, de manière très didactique, de façon à pouvoir être suivi par ceux qui ne sont pas forcément familiers avec la culture juridique, définir l’identité institutionnelle du Liban depuis l’émirat du Mont-Liban (de la fin du XVIe au XIXe) jusqu’à aujourd’hui, en passant par Taëf (depuis 1990). Ce afin de mettre en exergue les raisons pour lesquelles ce système administratif a conduit au désastre actuel. Un échec qui a notamment mené à faire exploser la dette publique, atteignant près de 100 milliards de dollars et ralentissant, dénaturant, voire paralysant tous les projets de développement viable qui auraient pu être lancés depuis les années 1990.

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas au sein du modèle libanais ?

La perpétuation du féodalisme est au cœur de cet échec, vu que ce phénomène a permis à une poignée de personnes de concentrer entre leurs mains l’essentiel des richesses du pays. Cela s’est vu avec la crise bancaire : 75 % des plus de 170 milliards de dollars de dépôts que détenaient les banques au moment où la crise a démarré en 2019 étaient détenus par 2 % de la population, ce qui a donc indirectement confisqué l’argent des autres.

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Je n’attaque cependant pas Taëf en tant qu’accord politique qui a scellé la fin de la guerre civile libanaise, ni les partis qui y ont souscrit, mais sa pratique qui ne ressemble finalement en rien à son contenu, notamment au niveau de la décentralisation administrative qui devrait être mise en œuvre. Avant de parler de fédéralisme et d’autres questions existentielles, revenons à ce qui avait été prévu : donner aux régions plus d’indépendance et de ressources pour qu’elles puissent directement gérer leur circonscription, pour plus d’équité sociale, moins de clientélisme et de corruption et plus d’efficience. Le clientélisme prospère lorsque les droits fondamentaux et le principe de citoyenneté ne sont pas respectés et que les pouvoirs publics sont absents.

À noter que l’autonomie financière acquise par les unités décentralisées ne se fait pas au détriment du pouvoir central, mais sert plutôt de base à une nouvelle répartition des ressources pour renforcer la gouvernance de proximité – plus productive et plus saine sur le plan financier. Le système jouera alors le rôle d’accélérateur de croissance au lieu d’entraver l’activité du pays.

Si les enjeux sont si bien identifiés, pourquoi cette question ne dépasse-t-elle pas le stade du débat ?

Plusieurs projets proposant de mettre la décentralisation en application ont été préparés sans jamais même atteindre le cap du Parlement. À mon sens, c’est celui préparé à partir de 2012 par la commission dirigée par l’ancien ministre de l’Intérieur et des Municipalités, l’avocat et ancien ministre Ziyad Baroud (également auteur de la préface de l’ouvrage), qui reste le plus crédible et complet.

C’était d’ailleurs un gouvernement dirigé à l’époque par Nagib Mikati qui avait missionné Ziyad Baroud, mais dont le projet est resté depuis lors bloqué dans les tiroirs du Parlement.

La résistance de la classe politique s’explique en particulier par le fait que la décentralisation réduira de facto le contrôle sur les richesses du pays dont elle dispose actuellement au niveau des institutions centrales, via par exemple le droit de veto au Conseil des ministres. D’autant plus que la finalité de la décentralisation sera de forger puis garantir l’autonomie financière des organes décentralisés – avec un contrôle qui reste central et exercé notamment par la Cour des comptes. Ce sera plus efficace que ce que nous vivons dans le système actuel, où l’unité déconcentrée est la municipalité qui dépend du ministère de l’Intérieur et de celui des Finances.

La décentralisation est d’ailleurs recommandée par le Fonds monétaire international avec qui le Liban doit en principe bientôt renouer le dialogue.

La décentralisation ne risque-t-elle pas de devenir un obstacle de plus à l’environnement des affaires ?

Non, parce qu’elle reste un processus où le pouvoir central va conserver un certain nombre de prérogatives normatives qui ne vont pas être concurrencées par les unités décentralisées. Si une banque décide d’ouvrir une agence dans une région, sa licence sera toujours octroyée par la banque centrale, les règles qu’elle devra suivre seront toujours celles dictées par la réglementation nationale, la monnaie qu’elle utilisera sera la même, etc.

C’est, en revanche, au niveau des prélèvements obligatoires qu’il y aura des changements, vu qu’une partie sera reversée directement vers la collectivité. Les grandes infrastructures – port, aéroport, autoroutes, direction de la TVA, etc. – restent dans le domaine de compétence du pouvoir central, qui en redistribue les revenus, pour éviter toute distorsion pour les entreprises privées. La répartition de l’argent issu des grandes institutions publiques et infrastructures se fera en fonction d’indicateurs-clefs afin d’en garantir le caractère équitable.

Le renforcement de l’Administration centrale de la statistique est l’une des clefs du succès, tout comme la réforme de la justice qui est un élément indissociable de la mise en place d’un processus de décentralisation sain pour ne pas faire retomber le pays dans les mêmes travers que ceux qui l’ont mené à la crise qu’il traverse aujourd’hui.

La structure institutionnelle du Liban, construite autour du confessionnalisme, a plus que jamais montré ses limites lors de ces deux dernières années de crise, ce qui a naturellement donné du grain à moudre aux voix comme la vôtre, appelant à réformer les institutions pour éviter que le pays implose, mais aussi pour qu’il soit mieux géré. Sur cette base, dans quelle démarche...

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