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Moyen-Orient - Syrie

À Raqqa, la place des exécutions est devenue le lieu de rendez-vous des amoureux

À Raqqa, la place des exécutions est devenue le lieu de rendez-vous des amoureux

La place du Paradis, à Raqqa, le 6 novembre 2021. Delil Souleiman/AFP

Nader el-Hussein attend avec impatience sa petite amie au rond-point du « Paradis » à Raqqa, là même où les jihadistes du groupe État islamique (EI) exécutaient en public leurs victimes du temps où ils faisaient régner la terreur dans cette ville de Syrie.

« Avant, on évitait même de passer par là pour ne pas voir le sang et être terrorisés », raconte le jeune homme de 25 ans, assis sur un banc près d’un bassin dans le square décoré d’arches en pierre. « Maintenant, c’est le lieu idéal pour se retrouver en amoureux, en famille, ou avec des amis. »

Après avoir connu de larges revers au début de la guerre déclenchée en 2011 par la répression de manifestation prodémocratie, le régime syrien a repris à partir de 2015 une grande partie du territoire.

Les habitants de Raqqa, située dans le nord de la Syrie, avaient rebaptisé le rond-point al-Naïm (« le paradis », en arabe) en « rond-point de l’enfer » en raison des horribles exécutions qui y étaient menées par les jihadistes : les têtes décapitées ou les corps crucifiés y étaient exposés pendant des jours, pour servir d’exemple.

« Je n’osais pas retrouver mon amie, on se contentait de se parler au téléphone, pour ne pas risquer d’être lapidés », confie Nader.

L’EI, qui avait fait de Raqqa la « capitale » de son califat en Syrie, y imposait une stricte ségrégation des sexes. Sa terrible police des mœurs y pourchassait ainsi les couples non mariés, leur faisant subir les pires sévices.

Les femmes ne pouvaient sortir qu’intégralement voilées et accompagnées par un tuteur. L’EI avait même interdit à la population de fumer ou d’écouter de la musique.

Après que les jihadistes eurent été chassés en octobre 2017 par les forces kurdes de la ville, le rond-point, témoin de leurs exactions, a été envahi par les herbes folles.

Aujourd’hui, les enfants jouent en riant dans le square, hommes et femmes devisent sur les bancs publics et se prennent en photo, et il fait bon y passer la soirée, lorsque des lumières multicolores illuminent les arches.

Les têtes accrochées

« Le rond-point de l’enfer est devenu celui du paradis », se réjouit Manaf, 24 ans, installé sur l’herbe avec ses amis pour un pique-nique, pendant que des vendeurs ambulants proposent des ballons multicolores. « On évitait de passer par ici avec les enfants pour ne pas qu’ils voient les têtes accrochées (...) aujourd’hui, c’est le lieu où on les amène pour jouer », dit Mohammad Ali, 37 ans, surveillant avec sa femme leurs trois enfants qui courent autour des bassins.

Le rond-point se trouve dans le centre de la ville, partiellement détruite mais où les cafés et les commerces sont à nouveau ouverts. La vie reprend, même si les habitants ont du mal à oublier les années de cauchemar.

Ahmad el-Hamad, qui traverse le rond-point de l’Horloge en chaise roulante pour acheter des légumes dans un marché proche, ne peut réprimer un frisson quand il passe près de cette place également employée par les jihadistes pour les exécutions publiques. « Ce lieu me rappelle le drame que nous avons vécu (...) il nous rappelle la mort. On voyait ici les décapitations au sabre et les amputations de mains », se souvient Ahmad, qui affirme que certains de ses proches ont été exécutés par l’EI.

Prisonniers en cages

Les jihadistes avaient instauré une stricte interprétation de la loi islamique, appliquant le code de sanctions prévues par la charia, comme l’amputation de la main d’un voleur, ou la lapidation des femmes adultères.

Les personnes homosexuelles étaient précipitées du haut des immeubles, et les prisonnières de la minorité yézidie, considérées comme hérétiques, vendues comme esclaves dans les marchés de la ville.

Au rond-point Dalla, tout proche, orné en son centre d’une énorme cafetière en pierre, des ouvriers attendent d’être employés à la journée. Parmi eux, Abdel Majid Abdallah, 35 ans, n’a pas non plus oublié que les jihadistes exposaient leurs prisonniers « dans des cages » sur cette place, pour terroriser la population.

« Aujourd’hui, c’est un lieu où nous nous retrouvons pour gagner notre vie », dit-il, soulagé.

La guerre en Syrie a fait environ un demi-million de morts selon

l’OSDH et provoqué le déplacement de la moitié de la population d’avant-guerre. Malgré sa défaite territoriale en mars 2019, le groupe État islamique continue de perpétrer des attaques meurtrières.

Delil SOULEIMAN/AFP

Nader el-Hussein attend avec impatience sa petite amie au rond-point du « Paradis » à Raqqa, là même où les jihadistes du groupe État islamique (EI) exécutaient en public leurs victimes du temps où ils faisaient régner la terreur dans cette ville de Syrie.« Avant, on évitait même de passer par là pour ne pas voir le sang et être terrorisés », raconte le jeune...
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