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Nos Lecteurs ont la Parole

Les cieux et l’enfer

Tu viens d’où ?

Banale question à laquelle je n’arrivais pas à répondre. Pas lorsque je suis entourée par tant de monde à qui la misère de cet endroit n’est pas familière.

Je viens d’où ? Mes lèvres tremblent, mes poings se serrent et je tente de réfléchir à ma réponse. Je viens d’un tout petit bout de terre minablement coincé entre les griffes de ces autres petits bouts de terre. Je viens d’un endroit ridiculement petit pour toute la haine qu’il abrite et toutes les catastrophes qu’on y vit.

Je viens d’un endroit où nous ne savons pas faire de deuil, nous ne savons pas accepter le passé afin d’aller de l’avant. Nous honorons nos martyrs en héritant de la même cruauté qui les a tués, et c’est un honneur de vivre avec cette rancœur qui n’est pas à nous et que nous ne comprenons pas. Parce que c’est laid, le futur, la lueur d’espoir de l’avenir et l’idée du progrès.

Je viens d’où ?

Maintenant que j’y pense, là d’où je viens, il faisait bon de vivre quand on ne nous demandait pas d’être citoyens et quand je disais aimer ce pays pour toutes ces choses inutiles qui ne veulent rien dire. Je l’aimais quand les rires grondaient fort, que les étés étaient doux et les verres bien remplis. Non pas quand il fallait consoler les orphelins, que la chaleur était devenue aride et l’alcool trop cher. Je l’aimais lorsqu’il fallait chanter sa gloire perdue aux rythmes des chansons révolutionnaires. Non pas quand il fallait se décider à le faire et à vraiment se révolter.

Ce n’est pas comme ça qu’on aime son pays, et je n’ai jamais appris à aimer le mien.

J’avais envie de hurler à travers les larmes que je ne sais plus d’où je viens !

Je viens d’où ?

Je ne sais plus d’où je viens. Et à partir de là, comment je fais pour avancer ? Si je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas non plus qui je suis.

Et je continue de l’aimer, cet endroit, et je l’aime mal.

D’où je viens ?

Je voulais hurler ma rage et cracher toutes ces choses auxquelles j’ai pensé et leur dire que je viens d’un endroit où se joignent les cieux et l’enfer, et que cet endroit, c’est moi qui l’ai créé. Endoctrinée, naïve, rancunière sans raison et faible, je me rends compte que l’on ne récolte que ce que l’on a semé.

À la place, j’ai desserré les poings et j’ai avalé la vérité. Elle était amère, mais je l’ai quand même fait. Et c’est le regard vitreux, le sourire défait et la voix fatiguée que j’ai lâchement répondu : « Du Liban. Je viens du Liban. »

May EL-HACHEM

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Tu viens d’où ? Banale question à laquelle je n’arrivais pas à répondre. Pas lorsque je suis entourée par tant de monde à qui la misère de cet endroit n’est pas familière. Je viens d’où ? Mes lèvres tremblent, mes poings se serrent et je tente de réfléchir à ma réponse. Je viens d’un tout petit bout de terre minablement coincé entre les griffes de ces autres petits bouts...

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