Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Présidentielle en Libye : beaucoup d’interrogations, très peu de certitudes

Alors que le scrutin législatif a été retardé à janvier, seul le premier tour de la présidentielle devrait avoir lieu le 24 décembre, si les deux chambres de Tobrouk et de Tripoli parviennent à trouver un compromis en vue de l’adoption d’une loi électorale.

Présidentielle en Libye : beaucoup d’interrogations, très peu de certitudes

Des Libyennes manifestent contre la partition du pays. « Ni Est ni Ouest, unité nationale pour la Libye. » Mahmud Turkia/AFP

Khalifa Haftar sera-t-il autorisé à se présenter à la présidentielle ? Aguila Saleh, porte-parole du Parlement libyen, acceptera-t-il le compromis en vue de l’adoption d’une loi électorale? Saïf el-Islam Kadhafi réussira-t-il son come-back politique, alors même que le fils cadet de l’ancien dictateur fait l’objet d’un double mandat d’arrêt, suite à la violence de la répression des manifestations en février 2011 ? Surtout, quel sera le contour exact des prérogatives de ce nouveau président, et selon quelles modalités sera-t-il élu ?

Moins de deux mois avant la tenue du scrutin présidentiel prévu le 24 décembre, la confusion la plus totale règne en Libye. Tout avait pourtant commencé de manière prometteuse. Dès l’entrée en fonction du gouvernement d’Abdulhamid Dbeibah en mars dernier, la tenue d’élections « libres et transparentes » était devenue l’objectif central des différentes forces en présence – du nouvel exécutif, de la communauté internationale qui parraine le processus de réconciliation nationale, mais aussi des factions de l’Est qui regardent la séquence comme une opportunité en or pour se hisser au sommet de l’État.

Mais face aux incertitudes qui persistent, en premier lieu dues à l’absence de cadre légal, le scrutin semble de plus en plus compromis. « Il y a aujourd’hui deux tiers de chances que l’élection présidentielle n’ait pas lieu le 24 décembre », remarque Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye et chercheur au Global Initiative. À la menace d’annulation s’ajoute une seconde, beaucoup plus dangereuse pour l’unité du pays. « Un autre risque encore plus grand est que l’élection ait lieu, mais sur des bases fragiles la rendant d’emblée illégitime », estime Emadeddin Badi, analyste politique affilié à l’Atlantic Council. D’autant que le souvenir des élections législatives de 2014 – lorsque l’exécutif rompt avec le Parlement élu après avoir rejeté les résultats du scrutin– est toujours frais, faisant craindre l’émergence de violences.

Lire aussi

Mouammar Kadhafi : les quatre décennies qui ont façonné la Libye

Malgré tout, certains continuent de se montrer rassurants. La haute commission électorale, dirigée par Emad el-Sayah, a par exemple annoncé la semaine dernière l’ouverture de l’enregistrement des candidatures à partir de la mi-novembre. Mais, alors que le scrutin législatif a été retardé à janvier, seul le premier tour de la présidentielle devrait avoir lieu, comme prévu, le 24 décembre – si elle a lieu. Les autres rendez-vous électoraux – le second tour de la présidentielle et les législatives – pourraient se tenir bien plus tard. « La tenue simultanée des élections présidentielle et législatives n’étant aujourd’hui pas garantie, c’est tout le processus électoral qui est menacé », estime Emadeddin Badi.

Bras de fer

Derrière ces problèmes d’apparence logistique se trouve un complexe bras de fer politique entre, d’un côté, la chambre des représentants de Tobrouk, dans l’Est du pays et, de l’autre, le Haut Conseil d’État libyen (l’équivalent du Sénat) basé à Tripoli et dirigé par Khaled el-Michri, du parti de la « Construction et de la Justice », affilié aux Frères musulmans. En tentant de garder le contrôle sur la date des législatives, le Parlement de l’Est semblerait vouloir s’assurer une marge de manœuvre en cas de défaite à la présidentielle. « Le président du Parlement (Aguila Saleh) a des vues sur la présidence et, en observant les résultats du second tour, il peut décider s’il dissout le Parlement pour lui permettre de se rafraîchir à la faveur d’élections législatives ou bien si, après avoir perdu la présidentielle et ne voulant pas se retrouver les mains vides, il a intérêt à bloquer les législatives », observe Jalel Harchaoui.

Mais l’accord politique de 2015, qui prévoit que Tobrouk et Tripoli conviennent ensemble du cadre juridique, empêche Aguila Saleh d’agir seul, et explique pourquoi aucune loi électorale n’a jusqu’ici été adoptée, faute de consensus. Depuis plusieurs mois, les deux chambres s’opposent sur les projets de loi successifs. Aguila Saleh tente, depuis septembre, de faire adopter des dispositions lui étant favorables. Il signe le 9 septembre une première loi à laquelle la chambre de Tripoli, qui accuse un vice de procédure, fait barrage, avant de retirer sa confiance au gouvernement Dbeibah, le 21 septembre. Même scénario début octobre : le 4, Tobrouk vote un second texte, également invalidé par Tripoli dès le lendemain. « On est face à une situation paradoxale, où le principal obstacle est posé par les factions (de l’Est) qui se présentent comme les plus favorables aux élections, notamment parce qu’elles sont antiturques et souhaitent le départ du Premier ministre actuel, très proche du président Recep Tayyip Erdogan », poursuit Jalel Harchaoui.

Lire aussi

Bani Walid, la ville nostalgique du « guide » libyen

Autre sujet de discorde : la candidature de Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) et l’homme fort de l’Est qui avait entrepris une offensive militaire contre Tripoli au printemps 2019. Tandis qu’Aguila Saleh s’évertue à rendre légalement possible sa participation à la présidentielle, notamment en conditionnant la candidature d’un officiel en exercice à une démission trois mois avant le scrutin, Tripoli fait là aussi barrage.

C’est pourtant précisément à ces divisions ayant mené le pays au bord de l’implosion que le Forum du dialogue politique libyen (FDPL), initié à Tunis en novembre 2020, entendait répondre. Le soulèvement populaire de 2011 avait mis fin à quatre décennies de règne autoritaire de Mouammar Kadhafi, « guide » autoproclamé de la « révolution populaire ». Mais la transition démocratique déraille lorsque, en 2014, le gouvernement de Tripoli refuse de reconnaître le Parlement issu des urnes. Depuis, deux autorités rivales se font face par milices interposées. Aujourd’hui, sept années après la scission entre le gouvernement de Tripoli, reconnu par la communauté internationale, et le Parlement élu de Tobrouk, l’unité des institutions nationales semble être le véritable enjeu du scrutin à venir. Mais, pour l’heure, les Libyens n’ont aucune garantie de la tenue effective d’un rendez-vous qui était pour beaucoup considéré comme le scrutin de la dernière chance afin d’espérer un retour à la stabilité après une décennie de chaos politique.

Khalifa Haftar sera-t-il autorisé à se présenter à la présidentielle ? Aguila Saleh, porte-parole du Parlement libyen, acceptera-t-il le compromis en vue de l’adoption d’une loi électorale? Saïf el-Islam Kadhafi réussira-t-il son come-back politique, alors même que le fils cadet de l’ancien dictateur fait l’objet d’un double mandat d’arrêt, suite à la violence de la...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut