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Moyen-Orient - Reportage

Bani Walid, la ville nostalgique du « guide » libyen

Fief de la puissante tribu des Werfalla, restée fidèle au dirigeant libyen Mouammar Kadhafi déchu en 2011, cette ville de 100 000 habitants a opposé une farouche résistance aux rebelles qui l’ont finalement conquise en octobre 2012.

Bani Walid, la ville nostalgique du « guide » libyen

Un panneau à l’effigie du « guide » libyen, Mouammar Kadhafi, et les étendards verts qu’il avait instaurés, symboles de sa « révolution verte », dans la ville de Bani Walid, le 14 octobre 2021. Mahmud Turkia/AFP

Un portrait de l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi entouré de deux drapeaux verts de sa « Jamahiriya », ou « État des masses », accueille le visiteur à Bani Walid, dans l’ouest de la Libye. Dans cette ville située aux portes du désert, les habitants cultivent encore la nostalgie du « guide », dix ans après sa mort. Des constructions cubiques inachevées se succèdent dans un paysage lunaire, dominé au loin par des collines rocailleuses. D’innombrables bâtiments sont couverts d’impacts de balles et d’obus. Partout, la ville porte les stigmates de la guerre.

Bani Walid, qui abrite quelque 100 000 habitants, est un fief de la puissante tribu des Werfalla, restée fidèle au dirigeant déchu en 2011, opposant une farouche résistance aux rebelles qui l’ont finalement conquise en octobre 2012. Sur une place publique balayée par le vent et la poussière, une fontaine asséchée se dresse face à un vieux char rouillé. Des restes d’obus et des tubes de mortiers s’amoncellent dans un amas de ferrailles. Un grand panneau constellé des portraits des « martyrs » de la ville domine ce mémorial.

« Mouammar restera à jamais dans nos cœurs ! » lance un badaud en voyant les journalistes. Et il n’est pas le seul à éprouver de la nostalgie pour l’ancien dirigeant, capturé il y a dix ans par des combattants révolutionnaires avant d’être exécuté. « Mouammar Kadhafi est un symbole. Nous serons toujours ses partisans », clame le quinquagénaire Mohammad Daïri, chemise blanche sous un gilet traditionnel brodé.

« Conspiration »

Le temps semble figé à Bani Walid, vaste oasis au relief accidenté à 170 km au sud-est de Tripoli, comme si la révolte de 2011 n’avait jamais eu lieu. Le drapeau rouge, noir et vert de l’ancien royaume de Libye, repris après la révolte, ne flotte nulle part. C’est l’étendard vert instauré par Kadhafi, symbole de sa « révolution verte », qui est hissé çà et là. « Avant 2011, les Libyens étaient souverains et maîtres de leur destin. Ces dix dernières années, ils n’ont connu que bombardements, injustices, meurtres et enlèvements », lâche Mohammad Abi Hamra, la mine grave, une montre à l’effigie de Kadhafi au poignet. « La révolution est par définition un changement pour le mieux. Ce qui s’est passé en 2011 n’était pas une révolution, mais une conspiration contre la Libye », juge-t-il. Pourquoi cet attachement au passé ? « Il suffit de comparer 42 ans (de règne de Kadhafi) aux dix dernières années », élude l’indéfectible partisan du dirigeant déchu.

Si la Libye s’est enlisée dans le chaos après le soulèvement de 2011, elle pourrait clore ce chapitre mouvementé à la faveur d’un processus politique initié en novembre sous l’égide de l’ONU et dont l’aboutissement doit être l’élection présidentielle du 24 décembre. Mais Bani Walid ne semble pas prête à tourner la page, elle qui ne s’est rendue aux forces rebelles progouvernementales qu’après une résistance acharnée. « C’était une première dans l’histoire : un État avait décidé d’attaquer une de ses villes, ses propres habitants », se souvient avec amertume Mohammad Daïri.

« Fidèles »

L’ingénieur Fathi al-Ahmar partage les mêmes rancœurs : « Si nous sommes restés attachés à l’ancien régime, c’est que les événements de février 2011 (date du début de la révolte) n’ont apporté que guerres, désolations, divisions et atteintes à la souveraineté de notre pays. » Le régime Kadhafi « nous garantissait la sécurité, qui manque aujourd’hui cruellement en Libye », estime-t-il.

Mouammar Kadhafi fut, des décennies durant, taxé par l’Occident d’être à la tête d’un État « terroriste ». En interne, son règne fut marqué par de multiples exactions. Pour Ahmad Abouhriba, un journaliste de 30 ans à Bani Walid, le colonel « n’était pas un dictateur, mais le garant de l’unité (...) il veillait sur les Libyens comme le ferait un père ». Cet inconditionnel de Kadhafi vante la stabilité, la prospérité économique et les chantiers lancés sous l’ancien régime, comme pour comparer avec le quotidien actuel des Libyens, rythmé par l’insécurité, les pénuries et l’inflation. « Tous les projets se sont arrêtés après 2011. Comment suivre les nouveaux courants politiques alors qu’ils n’ont rien construit depuis ? » interroge-t-il. Si l’ex-dictateur n’est plus, son fils Seif al-Islam Kadhafi, dont le portrait se dresse aussi à Bani Walid, a laissé entendre qu’il pourrait se présenter à l’élection de décembre. « Nous sommes restés fidèles à notre guide Mouammar Kadhafi, nous le serons pour Seif al-Islam », promet M. Abouhriba.

Hamza MEKOUAR/AFP

Un portrait de l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi entouré de deux drapeaux verts de sa « Jamahiriya », ou « État des masses », accueille le visiteur à Bani Walid, dans l’ouest de la Libye. Dans cette ville située aux portes du désert, les habitants cultivent encore la nostalgie du « guide », dix ans après sa mort. Des constructions cubiques inachevées...

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