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Société - Débat

En mode survie, l’éducation au Liban déjà invitée à envisager l’après-crise

Une table ronde a été organisée mardi à l’ESA par l’ambassade de France en partenariat avec le ministère libanais de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.

En mode survie, l’éducation au Liban déjà invitée à envisager l’après-crise

Vue du débat lors de l’intervention de l’ambassadrice de France Anne Grillo. Photo fournie par l’ambassade de France.

La baisse généralisée du niveau de l’enseignement au Liban n’est plus un secret pour personne, qu’il s’agisse de l’éducation privée, publique ou informelle, à quelques exceptions près. Après avoir été décortiquée par la Banque mondiale dans ses derniers rapports, elle a été confirmée par les résultats catastrophiques des élèves du Liban aux tests internationaux d’apprentissage et d’acquisition des compétences entre 2015 et 2019, Timss et PISA en tête. Une descente aux enfers qui remonte aux années 2007, bien avant l’adoption en août 2017 de la loi 46 sur la grille des salaires qui a accordé aux enseignants du public et du privé d’importants réajustements salariaux sans en assurer le financement préalable. La crise actuelle politique, économique, financière et sociale, plombée par la pandémie de Covid-19 et par la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, est venue apporter le coup fatal à un secteur qui ne doit plus sa survie qu’aux aides internationales. Car l’État n’a jamais pris le problème à bras-le-corps, il n’a jamais engagé les réformes structurelles nécessaires qui auraient permis à l’enseignement, autrefois si vanté, de retrouver sa splendeur d’antan. Résultat, les professeurs dont les salaires ne valent plus rien démissionnent. Les scolarités impayées sont en hausse dans le privé vu la paupérisation de la population. Les taux de décrochage scolaire explosent. Quant aux plus nantis, ils partent à l’étranger où les conditions de vie et d’enseignement sont nettement meilleures.

Un enjeu stratégique et politique

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la table ronde sur l’avenir de l’éducation au Liban. Une table ronde organisée mardi à l’École supérieure des affaires (ESA) par l’ambassade de France en partenariat avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, et modérée par le directeur exécutif de L’Orient-Le Jour, Michel Hélou. D’emblée, l’ambassadrice de France, Anne Grillo, pose le problème. L’éducation est un « enjeu stratégique, voire politique ». Et si elle fonctionne en « mode survie » en cette rentrée d’octobre 2021, il est impératif, « surtout en temps de crise, de dialoguer et de construire des solutions sur l’orientation à adopter ». Car la priorité est de « sauver le système éducatif », de redonner au Liban « la place de choix » qu’il occupait dans le secteur. Pour ce faire, il lui faut relever les défis, d’abord dans l’urgence, mais aussi « anticiper au-delà de la survie », préparer le système de l’après-crise sur des bases stables en posant une vision globale d’ensemble. « L’urgence ne doit pas nous faire oublier de penser à l’avenir dès à présent », martèle Mme Grillo. La France, rappelons-le, est l’un des gros bailleurs de fonds de l’enseignement français et en français au Liban. Elle offre aussi son expertise au système éducatif libanais. Un rôle que ne manque pas de saluer le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Abbas Halabi, alors qu’il évoque le plan quinquennal pour l’éducation dans l’attente d’une application. « Votre soutien à l’enseignement scolaire est déterminant », souligne-t-il.

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Penser à l’avenir, c’est se pencher sur les deux piliers du secteur, la qualité de l’enseignement et le plurilinguisme, tant à l’école privée qui scolarise environ 68 % des élèves qu’à l’école publique qui scolarise les 32 % restants. Or, ces deux piliers sont ébranlés par le manque de volonté politique d’engager les réformes, la mauvaise gouvernance, les inégalités qui empêchent les plus vulnérables de mener leur scolarité à terme, l’incapacité d’un système à préparer les jeunes au marché de l’emploi, le manque de qualité d’un apprentissage inadapté, les programmes scolaires vieillissants qui remontent à l’année 1997 (leur refonte est en cours, NDLR)… Autant de failles mises en relief par divers intervenants, depuis les bailleurs de fonds et experts internationaux jusqu’aux acteurs libanais de l’éducation. « Ce système est le plus inéquitable qui soit. Il pousse au décrochage les élèves les plus vulnérables, ceux issus des familles les plus pauvres », analyse la représentante de la Banque mondiale, Nathalie Lahire.

« Collectivement, ce système n’est pas configuré pour s’adapter aux besoins du pays », constate aussi Jean-Noël Baléo, directeur régional de l’Agence universitaire de la francophone au Moyen-Orient, évoquant « le chômage des jeunes diplômés et d’une main-d’œuvre peu ou pas qualifiée ».

Pas d’éducation à la citoyenneté

Même les élèves ont à redire sur les programmes, les cours, les enseignants. « Le système libanais manque d’actualisation. Dans les manuels scolaires, le conflit armé libanais du XXe siècle n’est pas mentionné », relève Nour, une élève de terminale. « Vu le manque de personnel qualifié, aucune éducation à la citoyenneté, ni même de développement de l’esprit critique », se désole Reine, une autre élève de terminale. La représentante d’une école de Zahlé, sœur Salwa, relève l’un des plus gros défis des établissements privés : « joindre l’humain au financier » face à des parents épuisés par l’effondrement de la monnaie nationale, auxquels il est souvent nécessaire d’assurer des paniers alimentaires. Dans un tel contexte, « les déficits des institutions scolaires sont particulièrement élevés », note Fayçal el-Darwiche, responsable du cabinet de consultation Euromena Consulting, révélant quelques résultats d’une étude sur le modèle économique des écoles privées. « Seules des scolarités multipliées par trois seraient à même de rééquilibrer la situation économique des écoles privées, ce qui n’est pas envisageable vu la crise », précise-t-il. Même le réseau des écoles homologuées par la France souffre. Fort de 55 établissements et 60 000 élèves, « il a perdu avec la crise quelque 4 000 élèves et nombre d’enseignants », concède Olivier Brochet, directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).

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Quelles solutions concrètes dans ce cadre ? « Il est indispensable d’engager rapidement une restructuration massive du secteur éducatif. Car cette période de crise est une année pivot », insiste le directeur de programme de l’Union européenne, Maxence Daublain. « Il est urgent de réfléchir à un système inclusif, de ne laisser aucun enfant derrière par souci d’équité », observe de son côté l’experte en éducation de l’Unesco, Maysoon Chéhab. « L’uniformisation et la standardisation d’un système éducatif à deux vitesses sont impérative, au même titre que la gouvernance et la transparence », souligne pour sa part le chef du secteur éducation de l’Unicef, Atif Rafique. « Mais encore faut-il la volonté politique », temporise le directeur général de l’Éducation, Fadi Yarak. « Sans oublier que la qualité a un coût », renchérit le secrétaire général des écoles catholiques, le père Youssef Nasr, invitant la communauté internationale à soutenir le secteur éducatif au Liban.

Une chose est sûre. Sans réformes, le secteur éducatif ne peut espérer évoluer. Il ne peut pas non plus compter indéfiniment sur la générosité internationale. Cette volonté de réformes était malheureusement la grande absente du débat. De même que la feuille de route pour engager ces réformes.

La baisse généralisée du niveau de l’enseignement au Liban n’est plus un secret pour personne, qu’il s’agisse de l’éducation privée, publique ou informelle, à quelques exceptions près. Après avoir été décortiquée par la Banque mondiale dans ses derniers rapports, elle a été confirmée par les résultats catastrophiques des élèves du Liban aux tests internationaux...

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