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Culture - Rencontres

« Où es-tu, nez ? » se demandent Sabyl Ghoussoub, Roda Fawaz et Sam Touzani

Les trois artistes se sont retrouvés à la Tricoterie de Bruxelles pour détricoter avec humour leurs identités mixtes et plurielles.

« Où es-tu, nez ? » se demandent Sabyl Ghoussoub, Roda Fawaz et Sam Touzani

Sabyl Ghoussoub, Roda Fawaz et Sam Touzani, nez d’ici et d’ailleurs. Photos DR

La Tricoterie est un espace de rencontre bruxellois qui favorise les échanges culturels et artistiques, au cœur du quartier Saint-Gilles. « Nous avons fondé la Tricoterie avec mon compagnon, Xavier Campion, il y a 8 ans, avec la volonté de créer une fabrique de liens sociaux, dans un quartier multiculturel qui comporte environ 135 nationalités. Nous avons souhaité lutter contre l’isolement social, en proposant un espace de partage, pour créer des liens entre les gens à travers des expériences artistiques », explique Joëlle Yana.

Où es-tu, nez ? est l’intitulé sylleptique de l’exposition qui a été proposée au public entre le 15 et le 18 octobre. « Depuis vingt mois, nous sommes sous les masques et n’avons plus accès aux sourires des uns et des autres, d’où la réalisation de portraits, essentiellement par Houssein el-Boubsi, un de nos collègues de la Tricoterie. C’est touchant de voir ces nez qui racontent nos identités », poursuit la jeune entrepreneuse à qui le collectif « D’accord de ne pas être d’accord » a proposé d’inviter Sabyl Ghoussoub, Roda Fawaz et Sam Touzani autour du motif de l’identité. « Notre collectif a été créé en 2014 à la suite des événements de Gaza et leurs conséquences face à l’exportation du conflit chez nous, en Europe. Nous avons voulu écouter les dissonances et les altérités en proposant des dialogues ouverts à la différence et des rencontres constructives », explique Danielle Perez, qui a souhaité organiser, avec Agnès Bensimon, Rachid Barghouti et Michel Gheude, la rencontre entre les trois artistes. « À travers le rire et la comédie, nos invités ont partagé leurs réflexions autour d’une question sérieuse, celle de l’identité qui n’existe finalement pas, et ce n’est pas grave », ajoute l’organisatrice avec humour.

« Et en plus, tu ressembles à un juif »

« T’es moche, j’espère que tu te referas le nez quand tu grandiras. Et en plus, tu ressembles à un juif. » Pour évoquer ce que raconte, ou ne raconte pas, le corps sur nos identités, le roman à la fois transgressif et jubilatoire de Sabyl Ghoussoub, Le Nez juif (éditions de L’Antilope, 2017), semblait inévitable. C’est d’ailleurs ce récit qui a inspiré l’événement. L’écrivain franco-libanais, qui est en train de préparer la parution de son prochain ouvrage aux éditions Stock, a donné la réplique à Sam Touzani. Auteur, comédien, chorégraphe et metteur en scène, cet artiste belge est issu d’une famille musulmane pratiquante, et il évoque régulièrement les tiraillements qu’il peut connaître du fait de son engagement militant en faveur de la laïcité. Le titre de son dernier ouvrage, Dis, c’est quoi l’identité ? (La Renaissance du livre, 2021) s’inscrit dans la thématique de cette discussion à bâtons rompus, dont les fils conducteurs sont le rire et l’art.

Peu de Libanais ont échappé à la vidéo de Roda Fawaz au lendemain du 4 août, intitulée Être libanais. Cette séquence, rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, a été suivie de Beyrouth, un an après. Réalisateur, comédien aux styles différents (seul en scène, conte, théâtre classique, capsules humoristiques télévisuelles ou séries d’espionnage), Roda Fawaz a exploré le thème de l’identité dans plusieurs compositions. Dans On the Road... A, il s’inspire de son enfance au Maroc, en Guinée puis en Belgique au sein d’une famille libanaise. « J’ai été bercé par Les identités meurtrières d’Amin Maalouf. Pour moi, l’identité ne se limite pas à la religion ou l’origine, elle implique tout un conditionnement, imbriquant notre éducation, nos rencontres, notre métier... Tous mes projets artistiques tournent autour de la notion d’identité. Dans le spectacle Dieu le père, je relate le parcours de ma mère qui s’est peu à peu rapprochée de l’islam, dont elle s’était éloignée pendant plusieurs années. Finalement, on quitte un conditionnement pour en trouver un autre, tout parcours de vie est identitaire sur un plan intime et personnel, et il doit être respecté », affirme le comédien qui vient de terminer le tournage d’une série, 1985, qui va bientôt sortir en Belgique. « Ce qui m’intéresse dans mon travail d’artiste, au-delà des rôles que j’interprète, c’est d’entrer dans la pensée des gens et comprendre d’où elle vient. C’est une façon de lutter contre le conditionnement. L’islam est par exemple souvent mal perçu en Occident ; même si je me suis écarté de la religion, j’ai gardé certaines valeurs qui m’ont été enseignées dans ce cadre. Mes spectacles reflètent toute cette complexité », confie le réalisateur qui est en train de travailler sur un long-métrage intitulé La Salle des pas perdus. Sa vidéo sur l’identité libanaise a su toucher un public très large. « Beaucoup de gens se sont reconnus, j’ai reçu des messages de personnes de tous les continents qui reconnaissaient ce qu’ils vivaient. J’y évoquais pourtant un lien intime avec le Liban fait d’amour, de déception et d’incompréhension, mais jamais de haine. Cette identité est comme une cicatrice qu’on porte en soi dès la naissance, et quand on dit qu’on est libanais, on provoque de la tristesse ou une joie un peu irréelle, mais on ne laisse jamais indifférent. Pendant longtemps, je n’ai pas osé aller au Liban à cause du service militaire puis j’y suis allé plus régulièrement ; la dernière fois, c’était il y a 3 ans, et j’y ai tourné un court-métrage, Bruxelles-Beyrouth  », précise l’artiste, qui insiste sur sa tendance à privilégier la nuance dans les problématiques sociales. Sam Touzani est un artiste engagé, un fervent défenseur de la laïcité. « J’ai du mal avec les phrases du type “Je suis Paris”, “Je suis Palestine” ou autres ; je préfère en rester à “Je suis”... » affirme l’artiste et présentateur de télévision belge d’origine marocaine.

« Nous vivons dans des sociétés où nous devons nous définir clairement et prendre position. Pour ma part, je tends à valoriser la complexité, surtout pour les questions identitaires », conclut Roda Fawaz qui proposera son nouveau spectacle le 24 mars au cours du festival « Namur Is a Joke ».Quant aux portraits de nez, ils s’exposeront ensuite dans différents lieux bruxellois, dont Interpôle ASBL et la résidence Les Fuchsias.

La Tricoterie est un espace de rencontre bruxellois qui favorise les échanges culturels et artistiques, au cœur du quartier Saint-Gilles. « Nous avons fondé la Tricoterie avec mon compagnon, Xavier Campion, il y a 8 ans, avec la volonté de créer une fabrique de liens sociaux, dans un quartier multiculturel qui comporte environ 135 nationalités. Nous avons souhaité lutter contre...

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