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Culture - Exposition

Que disent de nous, peuple et pays, ces constructions inachevées ?

Poursuivant avec passion sa « mission » de défricheuse de talents, Nadine Begdache consacre cette fois l’intégralité de ses cimaises aux œuvres de Ghada Zoghbi. Une artiste émergente qui révèle, à travers une série de toiles représentant de mystérieux chantiers abandonnés, une indéniable maîtrise du pinceau. Et des atmosphères.

Que disent de nous, peuple et pays, ces constructions inachevées ?

Une acrylique sur toile (190 x 155 cm, 2021) d’un expressionnisme puissant, signée Ghada Zoghbi. Photo DR

C’est une exposition qui déploie un véritable univers que présente la galerie Janine Rubeiz jusqu’au 17 novembre*. Celui de Ghada Zoghbi d’un expressionnisme dramatique et architectural intense. Un univers qui emporte le visiteur dans des espaces construits/déconstruits abandonnés : chantiers inachevés, bâtiments mort-nés, piliers de soutènement à peine érigés dans des paysages dévastés ou encore dédales de béton, de parpaing et de fer vides de toute trace humaine…

Un univers de désolation, d’abandon et de renoncements, porté par une palette de couleurs terreuses et sombres, et qui résonne à l’évidence fortement avec la situation actuelle du pays du Cèdre.

« Up » (acrylique sur toile; 50x95cm; 2020) de Ghada Zoghbi : un univers de désolation, d’abandon et de renoncements, porté par une palette de couleurs terreuses et sombres... DR

Esthétique des ruines…

Si, de prime abord, cette exposition d’une quinzaine de moyennes et grandes peintures à l’acrylique réalisées au cours des deux dernières années, et rassemblées sous l’intitulé évocateur de Pretty abandoned, délivre aux regards une claire esthétique des ruines… contemporaines, l’artiste signale qu’elle a également glissé dans ses toiles des fragments d’un discours social et parfois même féministe sous-jacent qui lui est très personnel.

Cette notion du personnel confronté au collectif constitue d’ailleurs la matrice du travail de cette peintre à l’âme d’insurgée sous des apparences calmes. Et au pinceau animé par des questionnements rebelles enfouis sous une harmonieuse construction de traits, de perspectives et de couleurs. Des questionnements qui remettent notamment en cause les récits patriarcaux, le machisme ambiant et les ego surdimensionnés de ces bâtisseurs velléitaires qui remplissent la ville de ces carcasses de constructions nées de leurs rêves avortés et de leurs ambitions démesurées…

Des dédales de béton, de parpaing et de fer vides de toute trace humaine dans une acrylique sur toile (100 x 110cm, 2020) de Ghada Zoghbi. Photo DR

… et ego des hommes

Une critique de la nature humaine, en particulier libanaise, semble ainsi se dégager de ces toiles sérielles représentant inlassablement des immeubles à l’édification aussitôt rattrapée par la désintégration.

Que disent de nous, peuple et pays, ces constructions inachevées ? Pourquoi construire pour laisser en ruine ? En quoi l’abandon et la destruction se rejoignent-ils dans nos vies ? Sommes-nous une société condamnée au fiasco, symbolisé par ces édifications avortées qui ponctuent son territoire ?

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Impossible de ne pas se poser ces questions en parcourant l’exposition de Ghada Zoghbi. En contemplant ces bâtisses le plus souvent minutieusement « portraiturées » en clair-obscur et en contre-plongée. Et dont l’atmosphère puissante qui s’en dégage s’inscrit dans la lignée de celle, troublante, d’une autre série de peintures présentées lors d’un précédent solo de l’artiste en 2016 à la galerie Artspace. Il s’agissait de Regimes of the personal, où à travers 13 huiles sur toiles représentant chacune une armoire aux battants largement ouverts, elle révélait une part d’intimité de treize personnes de son entourage. Un travail par lequel elle entamait déjà son questionnement sur le rapport entre personnel et commun, entre intime et collectif, lequel aboutit dans la présente exposition à une tentative de représentation expressionniste de l’impact des êtres humains sur leurs espaces environnants et vice-versa.

Normal pour cette artiste native de la Békaa, qui se dit « influencée par l’expressionnisme de Lucian Freud et la passion de Rembrandt pour la lumière ». Et dans la peinture de laquelle on décèle l’empreinte d’une formation acquise auprès de Abdel Halim Baalbacki, dans le cadre de son diplôme des beaux-arts de l’Université libanaise de Beyrouth en 2010. Une certaine empreinte qui n’est pas sans évoquer celle que l’on retrouve aussi, dans des registres différents, chez Ayman Baalbacki, Omar Fakhoury ou encore Taghrid Dargouth qui sont, en quelque sorte, les hussards de la nouvelle peinture libanaise… auxquels Ghada Zoghbi, à l’indéniable maîtrise du pinceau, peut parfaitement s’assimiler. Un talent à découvrir.

* « Pretty abandoned » de Ghada Zoghbi à la galerie Janine Rubeiz, Raouché. Jusqu’au 17 novembre.

C’est une exposition qui déploie un véritable univers que présente la galerie Janine Rubeiz jusqu’au 17 novembre*. Celui de Ghada Zoghbi d’un expressionnisme dramatique et architectural intense. Un univers qui emporte le visiteur dans des espaces construits/déconstruits abandonnés : chantiers inachevés, bâtiments mort-nés, piliers de soutènement à peine érigés dans des...

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