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Économie - Transparence

Transferts de fonds à l’étranger : le secteur bancaire rechigne à coopérer avec la justice

Selon des informations obtenues par « L’Orient-Le Jour », le procureur général a demandé à l’ABL via la Commission spéciale d’investigation contre le blanchiment d’argent les noms des personnes ayant effectué des virements à l’étranger depuis 2019. Une demande à laquelle l’ABL n’a pas donné suite, estimant qu’elle était déjà en conformité avec la loi.

Transferts de fonds à l’étranger : le secteur bancaire rechigne à coopérer avec la justice

Les virements à l’étranger réalisés depuis 2019 peuvent constituer un délit, cela même en l’absence d’officialisation de la loi sur le contrôle des capitaux. Photo João Sousa

D’après des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a adressé le 24 juin une requête à la Commission spéciale d’investigation contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (CSI) demandant « les noms de toutes les personnes qui ont précédemment ou actuellement eu la qualification de fonctionnaire public », selon la définition de la loi 189 du 16 octobre 2020 sur l’enrichissement illicite, ainsi que « la totalité des sommes qu’elles ont transférées à l’étranger, dans toutes les devises et vers tous les pays en 2019, 2020 et 2021 ». Le ministère public n’ayant pas répondu aux sollicitations de L’Orient-le Jour, il n’est pas possible de savoir précisément dans quel cadre s’inscrit cette démarche.

Sa demande intervient en tout cas alors que les accusations pesant sur certaines personnalités politiquement exposées (PEP) qui auraient transféré leurs dépôts à l’étranger se multiplient et tandis que l’écrasante majorité des déposants en devises ne peuvent retirer leur argent qu’en livres libanaises à un taux très inférieur à celui du marché. En juillet 2020 déjà, le directeur général démissionnaire du ministère des Finances, Alain Bifani, avait sonné l’alarme en affirmant que « plus de 5,5 milliards de dollars avaient quitté le Liban depuis le 17 octobre 2019 ». Or ces virements à l’étranger réalisés depuis 2019 peuvent constituer un délit, cela même en l’absence d’officialisation de la loi sur le contrôle des capitaux : « Les PEP ont pu avoir accès à des informations privilégiées et procéder à des transferts de fonds illicites en collusion avec certains financiers et banquiers ou par le biais de trafic d’influence ou d’abus de poste, pendant toute la période suspecte, 18 mois avant la cessation de paiement selon les lois bancaires en vigueur. Cela pourrait tomber sous le coup du délit d’initié et des autres délits de corruption visés par le code pénal », explique Karim Daher, président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des déposants (Aldic) et avocat fiscaliste.La requête du procureur a ensuite été transmise par la CSI à l’ABL le 2 septembre 2021. Dans la lettre que L’Orient-le Jour a pu consulter, la CSI précise que la demande se fait « conformément aux lois en vigueur », et « spécialement la loi 44/2015 », relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Une loi que le procureur général ne mentionne pourtant pas, selon le paragraphe cité par la CIS. Sa demande se base en effet sur la loi 189 sur l’enrichissement illicite. « Une différence de taille », explique Karim Daher. « En effet, dans le cadre de la loi sur l’enrichissement illicite, le secret bancaire est levé, en vertu de l’exception prévue à l’article 7 de la loi toujours en vigueur du 3/9/1956. Le fardeau de la preuve est aussi inversé, c’est-à-dire que c’est aux PEP de justifier leur richesse. Tandis que dans le cadre de la loi 44/2015 sur le blanchiment d’argent, le secret bancaire est maintenu tant que la banque estime qu’il n’y a pas, au préalable, d’éléments de preuves suffisants pour suspecter un compte ou une transaction. C’est la CSI qui peut le lever dans le cadre d’enquêtes menées sur base d’informations ou de suspicions qui lui sont communiquées », continue-t-il.

« Vidée de son efficacité »

« Avec la loi sur le blanchiment d’argent, le pouvoir d’appréciation quant à de potentielles infractions est laissé aux banques, sous la surveillance de la CSI, tandis qu’avec l’enrichissement illicite, c’est le procureur qui décide si les soupçons sont suffisants ou non. De fait, la demande du ministère public a été vidée de son efficacité », dit Nizar Saghiyé, le directeur de Legal Agenda.

Suite au courrier de la CSI, l’ABL a estimé que les banques étaient déjà en conformité avec la loi 44/2015 et que, par conséquent, elles n’avaient pas besoin de communiquer davantage d’informations. Elle a ainsi proposé un modèle-type aux banques qui souhaitent tout de même répondre. « Chaque banque, si elle veut assurer à la CSI son engagement, peut envoyer le message suivant : les banques opérant au Liban se sont toujours engagées à respecter complètement la loi 44/2015 et ont toujours déclaré à la commission (…) tous les détails des opérations et tous les faits suspects concernant le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme, ce qui inclut les noms des suspects qu’ils soient fonctionnaires ou non », lit-on dans la circulaire datée du 22 septembre, que L’Orient-Le Jour a pu consulter.

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Autre anomalie : le simple rôle d’intermédiaire endossé par la CSI, l’organe d’investigation des crimes financiers, dirigé par le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, qui a pourtant des prérogatives spécifiques. « La CSI se contente de faire passer le message à l’ABL alors qu’elle est habilitée à enquêter et à prospecter auprès des banques et dispose du droit de lever le secret bancaire en cas de suspicions de crimes financiers », décrypte Nizar Saghiyé. Pour Karim Daher, « c’est un cas qui soulève beaucoup d’interrogations et de suspicions sur le risque d’éventuelles collusions entre les différents acteurs afin d’annihiler toute possibilité de faire remonter l’information en amont et de divulguer des informations sensibles sur les PEP et leurs acolytes, et ce en se basant sur des arguments juridiques propres à bloquer les investigations ». L’ABL et la CSI n’ont pas donné suite à nos demandes de commentaires.

D’après des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a adressé le 24 juin une requête à la Commission spéciale d’investigation contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (CSI) demandant « les noms de toutes les personnes qui ont précédemment ou actuellement eu la qualification de...

commentaires (5)

Si je comprends bien, les banques décident si elles ont oui ou non participé à des opérations impliquant du blanchiment d'argent et des transferts illégaux. Sympa non? De toute façon, tout l'argent viré à l'étranger c'est un mythe, un mythe je vous le dis!

Georges Olivier

16 h 26, le 14 octobre 2021

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Commentaires (5)

  • Si je comprends bien, les banques décident si elles ont oui ou non participé à des opérations impliquant du blanchiment d'argent et des transferts illégaux. Sympa non? De toute façon, tout l'argent viré à l'étranger c'est un mythe, un mythe je vous le dis!

    Georges Olivier

    16 h 26, le 14 octobre 2021

  • ceci dit, a t on jamais ete temoins d'un etat- meme un vrai- avoir le dernier mot lors d'un conflit avec les banques ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 40, le 14 octobre 2021

  • 1er HIC mais de taille : pourquoi seulement a partir de 2019 ? et ces crapules elles memes et d'autres ayant commis le meme "crime" avant cette date alors ? C'est comme le fait de limiter la 158 aux comptes existants fin oct 019, la definition du montant de petits comptes vs ceux plus importants etc.... RIEN QUI AUGURE DE BONNES INTENTIONS !

    Gaby SIOUFI

    11 h 03, le 14 octobre 2021

  • Tous les mandataires sociaux des banques non coopératives doivent immédiatement être mis en garde à vue. Pour information, les banques françaises considèrent le Liban en zone rouge et refusent tout transfert venant du Liban sauf s’il est fortement étayé. Les banques françaises ont compris que le dit fresh money déposé dans les banques libanaises pour être transféré à l’étranger n’est que du blanchissement d’argent douteux. D’ailleurs la majorité des banques françaises ferment les comptes liés au Liban qu’ils appartiennent à des libanais, des français ou des binationaux.

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 51, le 14 octobre 2021

  • CES PREDATEURS BANQUIERS SONT LES COMPLUCES ET LES PAERTENAIRES DES MAFIEUX FAISANT PARTIE INTEGRALE DES CLIQUES DE VOLEURS QUI ONT DEVALISE LES ECONOMIES D,UNE VIE DES GENS.. ILS DOIVENT ETRE POURSUIVIS EN JUSTICE ET OBLIGES A REMBOURSER LES DEPOSANTS INTEGRALEMENT. SINON IL N,Y A PAS DE JUSTICE DANS CE PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 07, le 14 octobre 2021

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