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Campus - CRISE

Poursuivre ses études dans un Liban qui s’effondre : le parcours du combattant de Chadi

« Je paie entre 800 000 et 900 000 LL par mois juste pour faire la navette entre la maison, le travail et l’université », raconte Chadi Abdallah, jeune mastérant en médecine dentaire.

Poursuivre ses études dans un Liban qui s’effondre : le parcours du combattant de Chadi

Outre les frais de scolarité et autres dépenses liées aux études, les étudiants libanais sont confrontés à la flambée du coût du transport. Photo AFP

Chadi Abdullah, étudiant en master de médecine dentaire, se souvient souvent de ses années de licence. En ces jours pas si lointains – avant le début de la crise économique libanaise en 2019 –, il pouvait se consacrer à ses études et passer son temps libre à profiter de la vie sur le campus. Quelques années plus tard, Chadi, comme de nombreux autres étudiants dans son cas, en est réduit à jongler, non seulement avec les préoccupations des jeunes diplômés du monde entier – la charge de travail, les frais de scolarité, l’anxiété liée à la recherche d’emploi – mais aussi avec la difficulté de poursuivre ses études dans un Liban en plein effondrement économique, à l’ombre d’une crise qualifiée par la Banque mondiale comme étant l’une des pires au monde depuis plus d’un siècle. « Je suis confronté à la hausse des prix du transport, des livres et du matériel de laboratoire, ainsi qu’à l’augmentation des frais de scolarité », explique l’étudiant de 22 ans qui poursuit ses études à l’Université Antonine. Au cours des deux dernières années, la livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur, les salaires ont stagné et l’inflation a grimpé en flèche. Un rapport publié au mois d’août passé estime que plus des trois quarts de la population vivent aujourd’hui dans la pauvreté. L’inflation et l’incapacité d’y faire face affectent les études supérieures de Chadi à tous les niveaux. Les frais de scolarité ? Ils ont plus que doublé – ce qui lui coûte maintenant quelque 18,3 millions de LL – après que l’université a annoncé qu’elle les indexerait au taux de 3 900 LL pour un dollar au lieu du taux officiel d’environ 1 500 LL pour le billet vert. Le coût des livres qu’il a dû acheter pour ses cours ce semestre ? 300 000 LL. « Dans notre spécialisation, nous devons également acheter une boîte à outils pour le laboratoire qui coûte à elle seule 700 $ en dollars “frais” », dit-il, soit plus de 14 millions de LL sur le marché de change parallèle où la livre s’affichait ce mercredi à près de 20 500 LL pour un billet vert. Et les dépenses ne cessent de s’accumuler. Chadi confie que pour payer les frais de scolarité, il travaille à temps plein dans un laboratoire dentaire. « Bien sûr, mon salaire ne me permet pas de tenir un mois entier », précise-t-il.Outre les frais de scolarité et autres dépenses liées aux études, Chadi doit gérer la flambée des coûts du transport pour se rendre de son domicile dans la banlieue sud de Beyrouth à son bureau dans la ville de Zalka, au nord de la ville. En effet, le gouvernement a mis fin, presque entièrement, au mécanisme de subvention pratiqué par la Banque du Liban qui maintenait depuis l’automne 2019 les prix du carburant à un bas niveau, provoquant par effet ricochet la hausse des coûts des transport privé comme public. Le jeune homme confie qu’il dépense désormais entre 800 000 et 900 000 LL par mois juste pour faire la navette entre la maison, le travail et l’université. Le coût d’un taxi partagé – autrefois le moyen de transport prédominant dans et autour de la capitale en raison de l’échec de l’État à mettre en place un réseau de transports en commun global – a au moins quintuplé. Aujourd’hui, Chadi se voit obligé d’emprunter des camionnettes informelles pour circuler, « mais même cette solution n’est plus abordable », dit-il. « J’ai une voiture, mais si je devais l’utiliser, je devrais payer plus que ce que je débourse pour les transports en commun », explique-t-il. « Faire le plein d’essence me coûterait entre 900 000 et 1 million de LL. » Avec les récentes hausses des prix du carburant, 20 litres d’essence 95 octane coûtent désormais 242 800 LL, soit plus du tiers du salaire minimum mensuel de 675 000 LL. Malgré ces coûts devenus exorbitants, l’apprentissage à distance n’est pas possible pour Chadi en raison des coupures prolongées d’électricité dans tout le pays, qui laissent les habitants dans le noir plusieurs heures par jour. Les pénuries et la hausse des prix du mazout entraînent aussi un rationnement drastique de la part des propriétaires de générateur privé, qui ne sont plus à même d’assurer de l’électricité durant de longues périodes, entraînant des pannes complètes dans certaines zones résidentielles de Beyrouth et ses environs pendant six heures par jour ou plus. Un problème qui a eu chez Chadi pour conséquence de lui faire souvent rater ses cours. Quand, par chance, il parvenait à y assister, la crise a eu raison de l’apprentissage. « Les professeurs sont très compréhensifs et sont ouverts pour répondre par courrier électronique à nos questions, mais parfois, nous en avons beaucoup et nous hésitons à les poser toutes, surtout lorsque le professeur nous accorde du temps en dehors des cours », dit-il. Quand il n’a pas d’autre choix que d’étudier à la maison, l’étudiant préfère imprimer ses manuels en ligne.

Difficile pour lui de voir son avenir au Liban

Sur le campus, la situation peut aussi sembler sombre. Entre les heures qu’il passe à travailler à temps plein et ses déplacements fastidieux pour se rendre à l’université, Chadi manque souvent de temps pour préparer de bons repas. Désormais, il emporte son déjeuner avec lui parce qu’il ne peut plus se permettre de se nourrir près du campus. « Les sandwichs qui calent à peine la faim, comme les petits sandwichs aux frites, sont aujourd’hui facturés à environ 30 000 LL », dit-il. Une somme dérisoire pour ceux qui ont un accès illimité aux dollars frais, mais un véritable fardeau financier pour la plupart des Libanais, dont les salaires et les économies sont restés en monnaie locale. S’il devait commander son repas à la sandwicherie locale tous les jours, Chadi devrait payer environ 750 000 LL par mois – plus que le salaire minimum. « Même la cafétéria de l’université est fermée », précise-t-il, en partie parce que la crise a fait monter en flèche les prix des denrées, mais aussi en raison de la pandémie de Covid-19.Même si ses frères et sœurs, établis à l’étranger, l’aident à financer ses études, le stress envahit la vie de l’étudiant. Il se voit contraint à une routine déprimante : travailler, étudier, essayer de trouver des moyens de vivre abordables. Plus aucun loisir en extra, comme au début de ses années universitaires. « Depuis la crise économique, mes amis et moi avons cessé de sortir aussi souvent, car le coût de la vie et des loisirs est au-delà de nos moyens », explique-t-il. La situation est telle que le jeune homme peine à entrevoir son avenir au Liban une fois ses études de master terminées. Son diplôme, dit-il, « augmentera mes chances de postuler à des offres d’emploi à l’étranger », ce qui est désormais son objectif ultime.

Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today »le 5 octobre 2021.



Chadi Abdullah, étudiant en master de médecine dentaire, se souvient souvent de ses années de licence. En ces jours pas si lointains – avant le début de la crise économique libanaise en 2019 –, il pouvait se consacrer à ses études et passer son temps libre à profiter de la vie sur le campus. Quelques années plus tard, Chadi, comme de nombreux autres étudiants dans son cas, en est...

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