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Nos Lecteurs ont la Parole

Le condamné

Le couloir était sombre. L. marchait en traînant des pieds. À vrai dire, ses jambes tremblaient. Il percevait à peine le mouvement de ses claquettes, dans lesquelles se faufilaient des chaussettes trouées, au contact du sol. Il titubait. Est-ce l’effet du tranquillisant qu’on venait de le lui administrer ? Il faut dire que le fait d’avoir les deux mains ligotées derrière le dos ne facilite pas l’équilibre. Les deux gardes qui l’épaulaient de chaque côté le tenaient fermement par les bras. Ils lui forçaient le pas.

De temps à autre, il serrait les yeux, croyant ainsi pouvoir les aider dans leur accommodation, pour mieux voir dans la pénombre. Il essayait d’apercevoir la fin du couloir. Le couloir était long. Très long. Il savait que la fin du couloir signifie la cour d’exécution où la corde l’attend. Ses yeux ne l’aidaient pas beaucoup, ils étaient fatigués. En fait, quand on le réveilla violemment? une demi-heure auparavant, pour lui annoncer la nouvelle, il avait à peine dormi. Le grand jour est arrivé. Enfin. Cela fait deux ans qu’il attend son exécution. Il se souvient du jour où le verdict est tombé. C’était un beau jour d’automne. À l’époque, il croyait encore pouvoir faire appel. Mais depuis ce jour, le cours des événements n’arrêta pas de poignarder le peu d’espoir qui lui restait.

Réveillé en sursaut, c’est dans un seau d’eau, que l’un des deux gardes avait poussé par le bout de la botte, dans sa cellule, que L. a dû se laver le visage. Ensuite, c’est le religieux qui lui rendit visite. Rien de mieux que la morale pour abaisser encore plus le moral, jusqu’à ses chaussettes trouées. Puis il a dû signer quelques papiers. Des formalités pour céder, avant son exécution, le peu d’argent qui lui restait. Puis au tour de l’infirmier de lui demander de bien tendre le bras. Une petite injection pour l’aider à tenir le coup, à supporter ce qui l’attend. Ensuite, les deux gardes se sont entraidés pour bien lui ligoter les mains. Ils le poussèrent à se lever de son lit, à sortir de sa cellule et prendre le couloir.

Le couloir était calme. Très calme. Le silence y régnait sur une odeur rance de moisi, de pourriture, d’excréments de rongeurs, de mauvais vinaigre périmé. « C’est donc cela, l’odeur de la mort qui m’attend au bout ? » se demandait L. lorsque le gardien, qui le tenait par le bras droit, lui donna un petit coup de coude pour attirer son attention. Le gardien qui le tenait par son bras droit était svelte, habillé aux couleurs sombres du couloir. « Écoute-moi, dit-il à L. tout en continuant de marcher. Tu sais, petit, tu n’es pas obligé d’aller au bout du couloir. Je peux te faire sortir par une porte à droite. Il suffit de te prosterner devant moi. Un petit acte de génuflexion fera l’affaire. Tu vois le petit verre d’eau que je t’ai offert, tout à l’heure, dans ta cellule et auquel tu carbures ? T’en auras autant que tu veux. Allez, “bend the knee”, petit, “bend the knee” devant moi et tu seras libre ! »

« Ne l’écoute pas », dit alors le gardien de gauche à L., interrompant ainsi son rival de droite. « Il n’a rien d’autre à t’offrir qu’un peu d’eau pour t’hydrater à peine. Comment peux-tu être libre en te prosternant devant lui ? Ce n’est pas de la liberté qu’il te propose, mais de la vassalité, de l’esclavage. Puis je te signale que c’est un bagarreur. Tout ce qui l’intéresse, c’est de t’inclure dans sa bande pour qu’ils vous emmènent ensuite vous bagarrer avec d’autres et les obliger, à leur tour, à se prosterner devant lui. Avec lui, tu ne feras que donner des coups et en encaisser d’autres. Viens plutôt avec moi. Je te ferai sortir par une porte à gauche avant même d’arriver au bout du couloir. Chez moi, tu trouveras du pain et des jeux à gogo, gratuitement ! Dans la vie, qu’a-t-on besoin d’autre que du panem e circenses ? N’est- ce pas ? Allez, viens avec moi. Pour cela, il suffit de te défaire de l’autre, de le renier, de lui dire que tu ne veux pas de lui, que tu le hais, de lui cracher à la gueule. »

« Je veux bien venir avec toi, lui répondit L., même si mon but dans la vie n’est pas que du pain et des jeux. Mais l’autre geôlier, comme tu peux le voir, me tient aussi par le bras. De plus, il a, lui, une matraque. Peux-tu m’aider à m’en défaire ? Me protègeras-tu si, en essayant de lui échapper, il me tabasse dans la pénombre du couloir, s’il m’ouvre le crâne à coups de matraque ? Probablement que je serais alors mort avant même d’arriver au bout du couloir où, de toute façon, c’est la corde qui m’attend dans la cour. »

« Non ! répondit le gardien de gauche, il n’en est pas question ! Ce ne sont pas mes oignons ! Débrouille-toi pour te défaire de lui. Tant que tu ne t’es pas défait de lui, je n’ai rien à faire de toi ! »

Cela faisait un bon moment que L. marchait ainsi, dans sa solitude, coincé entre ses deux compagnons de fortune. Le couloir était toujours long. Très long devant lui.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le couloir était sombre. L. marchait en traînant des pieds. À vrai dire, ses jambes tremblaient. Il percevait à peine le mouvement de ses claquettes, dans lesquelles se faufilaient des chaussettes trouées, au contact du sol. Il titubait. Est-ce l’effet du tranquillisant qu’on venait de le lui administrer ? Il faut dire que le fait d’avoir les deux mains ligotées derrière le dos ne...

commentaires (1)

Génial, très bien imaginé et écrit, merci.

MIRAPRA

17 h 48, le 12 octobre 2021

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Commentaires (1)

  • Génial, très bien imaginé et écrit, merci.

    MIRAPRA

    17 h 48, le 12 octobre 2021

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