Au moins le souvenir de Sylvie Yvert, Héloïse d’Ormesson, 2021, 366 p.
Chargée de mission au Quai d’Orsay puis au ministère de l’Intérieur, auteur de Mousseline la sérieuse (Prix littéraire des Princes et prix Histoire du Cercle de l’Union) et d’Une année folle (prix Napoléon Ier), Sylvie Yvert consacre Au moins le souvenir au « plus méconnu » des hommes illustres.
Ce qu’elle y révèle sur Lamartine, nous le devons principalement à son épouse anglaise, Mary-Ann (Marianne), qui a rédigé un manuscrit posthume dans lequel elle relate leur histoire d’amour, la mort de leurs deux enfants, leurs séjours en Orient, leurs difficultés financières mais surtout le parcours politique de son époux.
Lamartine disait « se sentir chez lui » dans les montagnes libanaises et « songeait à vieillir, et même mourir sous les cèdres ». Il a écrit : « Je suis né oriental et je mourrai tel. (…) Il faut qu’il y ait, je ne sais comment, quelques gouttes de sang oriental dans mes veines. » Son pèlerinage à Jérusalem lui a inspiré ces vers :
« C’est ainsi que Sion contemple/ Le cèdre du Liban, taillé pour le saint lieu/ Qui soutient la charpente et parfume le temple/ Incorruptible appui de la maison de Dieu »
Élevé en bon chrétien, il a cherché Dieu « de toute son âme, mais aussi avec toute sa tête ». « Si Dieu n’est pas au terme du chemin, à quoi bon marcher ? » Arrivé au terme de son chemin, il fit graver cette épitaphe : « Speravit anima mea » (mon âme a espéré).
Lamartine laisse une œuvre littéraire véritablement colossale (en vers et en prose) qui est ici scrupuleusement décrite et inventoriée. Il s’est inspiré des amours, des bonheurs et des malheurs de sa vie pour écrire des vers, du plus exalté au plus déchirant :
« Peut-être l’avenir me gardait-il encore/ Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu !/ Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore/ Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ! »
Mais aussi : « Frappe encore, ô Douleur, si tu trouves la place./ Quoique mes yeux n’aient plus de larmes à te donner./ Il est peut-être en moi quelque fibre sonore/ Qui peut sous ton regard se torturer encore. »
Pour autant, ce « galérien de plume » n’a pas passé sa vie à « aligner des rimes ». Homme d’action et homme de son temps, il avait « plus de politique que de poésie en tête ».
Royaliste, il fit le choix de défendre la République après la chute de la monarchie de Juillet en 1848 et reçut à la Bastille « un triomphe populaire et même romain ». Ministre des Affaires étrangères, surnommé le « Lafayette de l’opinion », il préféra se déclarer « ministre sans portefeuille d’une immense opinion ».
On lui doit l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort ainsi que l’adoption du drapeau tricolore. On lui doit aussi ce discours fondateur : « Vous allez accomplir le plus grand acte de la vie d’un peuple : élire les représentants du pays ! (…) Tout citoyen est électeur. Tout électeur est souverain (…) Contemplez votre puissance, préparez-vous à l’exercer et soyez dignes d’entrer en possession de votre règne ! » On lui doit enfin l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct ; il estimait que le chef de l’État ne devait pas être élu par les parlementaires afin de ne pas « évincer le peuple de ce système de vote tout juste établi ».
Avec Hugo, il a été l’un des premiers à aborder les questions sociales et à défendre le droit au travail. Ensemble, ils ont combattu « Napoléon le Petit » et ont tout entrepris pour éviter les barricades de juin. Lamartine a même « manqué d’être transpercé d’une balle pour raisonner les insurgés sur les barricades ». Il n’en fut pas moins « accusé de tous les maux et victime de toutes les calomnies ».
Lamartine se savait condamné à avaler le « poison de l’ingratitude publique ». De fait, ce « nouveau Moïse qui avait ouvert la mer de la Démocratie fut englouti par ceux qu’il avait élevés à la dignité de citoyens ». « Malheureux les hommes qui devancent leur temps, leur temps les écrase. »
Dans cet ouvrage exceptionnel, Sylvie Yvert rend enfin justice à l’homme de lettres dont l’ensemble de l’œuvre est remarquable et à l’homme politique qui a su guider et accompagner les pas de la France postrévolutionnaire dans son long cheminement vers la démocratie ; cet homme que la postérité a si injustement oublié pour ne retenir que le poète du Lac.