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Culture - Livres

Quand le roman arabe revendique le droit de vivre en paix, justice et dignité

Du génocide du peuple de la terre de saint Vartan vu par les rescapés de la diaspora arménienne en Égypte jusqu’à l’islamophobie et le racisme aux États-Unis, l’écriture d’Ahmad Majdi Hammam et de Samira Ahmad s’empare, en toute audace et lucidité, des phénomènes sociétaux hors normes.

Quand le roman arabe revendique le droit de vivre en paix, justice et dignité

L’Égyptien Ahmad Majdi Hammam et l’Indo-Américaine Samira Ahmad se sont saisis respectivement de leurs plumes pour défendre et témoigner de deux causes à débats. Photo DR

Pour dénoncer les travers d’une humanité qui ne connaît pas de limites quant à sa soif de pouvoir nocif et toxique, de domination, de destruction, d’individualisme et de cruauté, deux écrivains relativement jeunes, de nationalités différentes, l’égyptien Ahmad Majdi Hammam et l’Indo-Américaine Samira Ahmad, se sont saisis respectivement de leurs plumes pour défendre et témoigner de deux causes à débats. Au nom des valeurs humaines et du sens de l’équité, la littérature a encore son mot à dire…

Une mort organisée : le génocide arménien…

Avec son dernier roman Maout mounazzam (Mort organisée, 189 pages, Naufal-Hachette-Antoine), l’écrivain Ahmad Majdi Hammam, voix grave et mélancolique qui vient de l’Égypte profonde, use d’un titre certes choquant mais qui en dit long sur son récit. Un récit annonciateur des revers, des attentes et du tragique des humains devant une société injuste, tortionnaire, cupide, et aux remous sanglants et imprévisibles…Égyptien de souche mais né aux Émirats arabes unis en 1983, Ahmad Majdi Hammam s’est installé au Caire en l’an 2000 et a entamé une carrière de romancier et de journaliste culturel (il a collaboré à al-Ahram, Akhbar el-Yom, ad-Doustour, entre autres).

Plusieurs œuvres fictionnelles de facture contestataire lui ont valu des prix (dont le Sawiris Cultural Award), ainsi que la reconnaissance de la critique et d’une large tranche du lectorat en langue arabe. Depuis 2008, plus de huit opus en librairie ont fait sa réputation de dynamique auteur de trente huit ans. La vente de ses livres monte tellement en flèche qu’il ne tarde pas à rentrer dans la cour des auteurs des rives du Nil les plus influents, aux côtés de Ala’ el-Asouany, Gamal Ghitany ou Édouard el-Kharrat. Parmi ses textes à succès, on cite volontiers Taqarir ila Sarah (Rapports à Sarah), Ayyach, al-Wasfa raqm 7 (La recette numéro 7) et Masnaa el-hikayayat (La manufacture d’histoires).

Aujourd’hui, avec son dernier roman, Maout mounazzam, l’écrivain égyptien, qui n’aborde jamais de thèmes innocents, dénonce le génocide arménien perpétré en 1915 par l’Empire ottoman. Même si le temps a passé et le droit imprescriptible de demander réparation (de l’irréparable !) est enfoui sous les strates des années, la diaspora des survivants est toujours là pour rappeler les horreurs de l’innommable déchirure.

Et c’est l’enjeu du livre d’Ahmad Majdi Hammam qui plante son décor en terre des pharaons où une partie des rescapés arméniens a fini par échouer. Un journaliste local croise le chemin de Magida Simonian qui ne maîtrise même pas la langue arabe tant les souvenirs de sa famille sont douloureux et son intégration demeure une tâche ardue. Une histoire d’amour et de sentiments troubles et troublants lient les deux jeunes gens qui tentent de sauver, tant bien que mal, une relation difficile à décrypter tant le sombre passé de la jeune femme domine un présent lui aussi peu rassurant…

Roman choral donnant la voix à plusieurs personnages où le malaise de vivre est perceptible dans toute son acuité et toute son intensité, Maout mounazzam est construit en quatre chapitres comme les quatre saisons d’une vie. Une œuvre attachante non seulement par ses descriptions d’un monde partagé entre insécurité, hantise d’une mémoire blessée, besoin d’identité et vision d’avenir, mais aussi par la beauté d’une langue arabe riche, aux sonorités touchant plus d’une couche sociale. Une langue à multiple facettes et reflets pour unifier et habiller plus d’un horizon entre exilés du Caucase et felouques de Port-Saïd ou du Nil…

Samira Ahmad : La révolution a pour base l’espoir…

Autant le dire d’emblée. Samira Ahmad est une femme de lettres à la fois absolument moderne et farouchement ancrée dans son identité musulmane. Moderne non seulement dans ses écrits, mais aussi son comportement contestataire, sa manière de s’habiller – cheveux au vent et tee-shirt au col échancré montrant des bras nus –, ses revendications féminines et son ton véhément de pasionaria d’un islam éclairé. Et, pour défendre la cause musulmane, Samira Ahmad écrit dans la langue de Philip Roth, et non dans celle de Mahmoud Darwish.

Née à Bombay mais de nationalité américaine, diplômée de l’Université de Chicago, citoyenne de la ville de New York dont elle admire les parcs, les mouvements culturels et la richesse intellectuelle, professeure d’anglais dans un lycée, Ahmad a vite grimpé les échelons de la gloire et de la notoriété. Après un parcours jalonné de nouvelles, de récits ou de recueils de poésie, son premier roman Love, Hate and Other Filters (2018), est devenu un best-seller. Paru l’année suivante, en 2019, Internment (devenu Résistance pour sa version française quand la traduction littérale serait L’enfermement), son second opus est aujourd’hui en librairie en langue arabe sous le titre al-Mou3taqal (traduction Adonis Salem-Naufal-Hachette-Antoine, 372 pages).Ouvrage parfaitement dans le sillage de son premier écrit où une adolescente musulmane indo-américaine découvre les troubles de l’amour et l’attirance vers un jeune Américain alors que la tradition familiale verrait d’un meilleur œil sa relation avec un musulman pour un mariage arrangé. L’ouverture d’esprit et les conventions archaïques se trouvent ainsi en lutte dans ces pages qui illustrent finalement la quête d’une identité nouvelle sans renoncer pour autant aux origines et à l’appartenance religieuse.Samira Ahmad prend, en filigrane mais âprement, la défense de l’islam comme religion monothéiste porteuse de valeurs humaines, civilisatrice et civilisée, parfaitement compatible avec les autres sociétés et croyances, tout aussi bien que d’autres communautés humaines, aussi bien chrétienne que juive, bouddhiste, hindoue, brahmane, etc. Et qui aurait droit de cité aussi bien à New York qu’aux coins les plus éloignés du Nouveau Monde ou de la Vieille Europe. Droit de cité dans les limites mutuelles avec les autres, du respect, de la dignité et de la reconnaissance.

Les mots de l’auteure sont virulents et sa rage immense quand elle dénonce « l’enfermement » de petites filles à cause de leur appartenance religieuse, surtout dans une Amérique qui se dit pourtant la terre de la liberté. Mais comment oublier les tours jumelles de Manhattan effondrées sous l’assaut d’avions islamistes suicides ?

Sans nommer le sang versé à cause du fanatisme par tant d’actes de tuerie aux mitraillettes ou à l’arme blanche dans la rue, les lieux publics, les écoles, les boîtes de nuit au pays d’Abraham Lincoln ?

Dans ce récit fictionnel, romancé, quand même à gros traits, Samira Ahmad déploie sa verve de poétesse et d’avocate pour affirmer la liberté d’être soi-même partout. Sans contraintes extérieures ni oppression ni murs de séparation. Un Noir, un juif ou un musulman sont-ils cantonnés à vivre dans des ghettos ? C’est l’histoire de Leila Amine et sa famille pour s’affranchir de tout rejet, emprisonnement à peine voilé ou catégorisation, que narre la romancière dans une trame de thriller haletant. À travers une Amérique imaginaire où, hélas, toutes les dérives peuvent arriver…

N’en demeure pas moins que ce roman, à travers le souhait d’une meilleure tolérance et empathie, prône la volonté de se reconstruire et s’intégrer dans tout pays d’accueil sans se renier pour autant. Un modus vivendi à réinventer, à formuler. De part et d’autre. Cela relève-t-il de la candeur, de la naïveté ou de l’utopie ?

« Mawt mounazzam » de Ahmad Majdi Hammam (189 pages) et « al-Mou3taqal », de Samira Ahmad (372 pages), sont édités par Naufal-Hachette-Antoine et disponibles en librairie.

Pour dénoncer les travers d’une humanité qui ne connaît pas de limites quant à sa soif de pouvoir nocif et toxique, de domination, de destruction, d’individualisme et de cruauté, deux écrivains relativement jeunes, de nationalités différentes, l’égyptien Ahmad Majdi Hammam et l’Indo-Américaine Samira Ahmad, se sont saisis respectivement de leurs plumes pour défendre et...

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