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Économie - Réforme

La loi sur les marchés publics a passé le dernier obstacle juridictionnel

Jean Élliyé, pressenti pour être nommé responsable de l’instance chargée de superviser les achats publics, pourrait finalement n’occuper cette fonction qu’à titre provisoire.

La loi sur les marchés publics a passé le dernier obstacle juridictionnel

Le barrage de Msaylha (Batroun), qui s’était inexplicablement vidé en quelques semaines dans le sillage de son remplissage en 2020, est un des symboles de la défaillance de la commande publique que la nouvelle loi ambitionne de corriger. Photo M.A.

C’était une des informations principales de ce mois de septembre riche en actualité. Le nouveau code des marchés publics, dont le Conseil constitutionnel devait estimer la conformité avec la norme suprême, a finalement passé ce cap sans y laisser trop de plumes.

Dans une décision rendue le 16 septembre, la juridiction a en effet rejeté l’essentiel des griefs soulevés par dix députés du Courant patriotique libre (Gebran Bassil, César Abi Khalil, Edgar Maalouf, Mario Aoun, Edgar Traboulsi, Nicolas Sehnaoui, Hikmat Dib, Assaad Dargham, Alexandre Matossian et Salim Khoury), dans le cadre d’un recours visant la loi n° 244/2021 instituant le nouveau code.

Cette validation représente une étape particulièrement importante pour un Liban en crise dans la mesure où ce texte, initié en 2018 par l’Institut des finances Basil Fuleihan et adopté par le Parlement le 19 juillet dernier, figure parmi les principales réformes demandées par les partenaires internationaux du Liban, auxquelles ils ont conditionné le versement de leur aide financière.

Le recours demandait l’annulation des articles 72, 78, 88, 89, 91 et tous ceux qui suivent (jusqu’à l’article 116). Or, si la juridiction suprême l’a accepté sur la forme, elle l’a cependant rejeté sur le fond, à l’exception de deux légères modifications qui ont été retenues.

Des motifs politiques

Selon la première modification apportée au dixième alinéa de l’article 78, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il revenait au Premier ministre de « transmettre tous les noms des candidats (à la nouvelle Autorité des marchés publics, NDLR) retenus et de suggérer ceux qui seraient les plus adéquats en fonction de leurs notes ». Une liste comportant les noms de ces derniers serait envoyée à l’exécutif par les responsables de la Commission nationale de lutte contre la corruption (toujours pas formée), de l’Inspection centrale, du Conseil de la fonction publique et de la Cour des comptes, suite à un concours qu’ils auraient organisé.

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La seconde modification, qui a été source de polémique dans le débat public, a consisté à supprimer le mot « membres » dans le deuxième alinéa de l’article 88, qui définit les modalités de désignation de la personne responsable de la nouvelle Autorité des marchés publics, supposée remplacer la Direction des adjudications (DDA). Or, bien qu’en apparence mineur, cet amendement a eu pour conséquence indirecte de modifier le statut, dans la nouvelle instance, de l’actuel directeur de la DDA, Jean Elliyé.

Une conclusion à laquelle ce dernier affirme être arrivé en lisant en détail l’argumentaire du Conseil. « À première vue, la modification est minime. Mais en réalité, elle écarte le poste de directeur de la DDA du processus de transition des membres de cette administration qui doit être absorbée par la nouvelle autorité pour en devenir des membres permanents. Le directeur de la DDA deviendra donc celui de l’Autorité des marchés publics, mais seulement à titre temporaire, et sera donc mis à la disposition du Conseil des ministres le 29 juillet 2022, date à laquelle la nouveau code de marchés publics sera intégralement mis en œuvre », explique-t-il.Pour lui, cette modification est le fruit d’un « jeu politique qui consistait à l’éloigner » de la nouvelle Autorité. « Ce qu’un certain parti politique a échoué à réaliser à plusieurs reprises, que ce soit via le Parlement ou le gouvernement, c’est finalement le Conseil constitutionnel qui le lui a accordé », ajoute-t-il, dans une allusion au CPL. Une référence à des tensions qui remontent selon lui à 2017, lorsque sa direction s’était interposée pour dénoncer des « pratiques douteuses » suspectées de chercher à favoriser l’opérateur turc Karadeniz dans l’adjudication d’un nouveau contrat pour augmenter la production d’Électricité au Liban via des navires-centrales. Depuis 2013, l’État loue à cet opérateur deux navires-centrales, dont le contrat arrive à échéance à la fin du mois courant, d’une capacité combinée d’environ 370 MW.

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Mais au-delà de cette polémique, et alors qu’il souligne son refus de se « laisser faire aussi facilement », le directeur de la DDA salue le fait que le Conseil constitutionnel ait rejeté en grande partie ce recours, considérant qu’il a ainsi préservé « l’esprit de la loi ».

Le chemin est encore long

Un avis partagé par l’ONG Lebanese Transparency Agency (LTA), qui estime de son côté que la décision de la juridiction « a mis fin à une tentative de vider la loi de son contenu » en modifiant les « termes de mise en place d’une Autorité des marchés publics qui jouisse de l’indépendance nécessaire ». Car, comme le répète Lamia Moubayyed, présidente de l’Institut des finances Basil Fuleihan, ce nouveau code des marchés « comprend de nombreux garde-fous pour faire en sorte que les nominations des membres de la Commission des achats publics soient faites indépendamment des considérations politiques au sein du Conseil des ministres et qu’ils soient protégés de toute ingérence politique ». D’ailleurs, ce cadre « institue les nominations méritocratiques qui se basent sur les compétences des candidats », ajoute celle qui avait activement participé à son processus d’élaboration.

Cependant, malgré cette victoire, le chemin reste encore long, prévient encore Lamia Moubayyed. Car si le texte est bel et bien opposable en tant que tel, plusieurs composantes permettant d’en assurer l’implémentation doivent encore être mises en place avant la fin de la période de transition.

Un de ces chantiers englobe notamment le processus de formation de l’ensemble des fonctionnaires et des acteurs de la société civile et du secteur privé, qui seront directement ou indirectement impliqués (responsables des achats dans différentes institutions, responsables financiers, etc.). Un effectif qui compterait plus de 1 500 personnes, selon l’Institut des finances Basil Fuleihan. Dans un deuxième temps, c’est la plateforme électronique qui servira à centraliser et diffuser les informations relatives aux différents appels d’offres lancés (e-procurement) qui devra être conçue et déployée. Un autre gros morceau concerne la publication de tous les documents standard : contrats types, cahiers des charges, annonces, formats de lettre de garantie, etc. Une documentation qui devrait s’inspirer des expériences des autres pays et appliquer les leçons tirées, précise Lamia Moubayyed. Il faudra ensuite mettre en place une vaste campagne d’information et de sensibilisation du personnel, à travers notamment la rédaction et la publication de manuels de formation dédiés aux fonctionnaires et aux acteurs du secteur privé. Enfin, la dernière étape, et non des moindres, consistera à publier tous les décrets nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de l’Autorité des marchés publics et de celle chargée de la gestion des plaintes.

500 millions de dollars par an

La façon dont sont actuellement confiés les marchés publics au Liban est très défaillante par rapport aux standards internationaux. Le diagnostic du pays effectué en 2020 via l’outil MAPS II (Methodology for Assessing Procurement Systems) est, à ce titre, sans équivoque : le Liban n’est conforme qu’à 11 des 210 standards d’évaluation définis par l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale. Des défaillances qui inhibent la concurrence et ouvrent la voie à la corruption, engendrant des pertes énormes pour les caisses de l’État, estimées à environ 500 millions de dollars par an, selon les chiffres avancés au Commerce du Levant par Michel Samaha, économiste et responsable du portefeuille « gouvernance et réformes » au sein de l’Agence française pour le développement (AFD) à Beyrouth. Cette enveloppe suffirait presque à elle seule à financer l’intégralité du mécanisme des cartes d’approvisionnement supposé assurer la survie de plus de 500 000 ménages vivant sous le seuil de pauvreté....


C’était une des informations principales de ce mois de septembre riche en actualité. Le nouveau code des marchés publics, dont le Conseil constitutionnel devait estimer la conformité avec la norme suprême, a finalement passé ce cap sans y laisser trop de plumes. Dans une décision rendue le 16 septembre, la juridiction a en effet rejeté l’essentiel des griefs soulevés par...

commentaires (3)

C'est pour le mieux. Espérons!

Massabki Alice

15 h 47, le 27 septembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • C'est pour le mieux. Espérons!

    Massabki Alice

    15 h 47, le 27 septembre 2021

  • trois pti tours et puis.... reviendront ! encore plus forts, encore plus rassures.

    Gaby SIOUFI

    13 h 24, le 27 septembre 2021

  • TOUT EST DIT PAR CETTE PHRASE (LA LISTE COMPORTANT LES NOMS SERAIT ENVOYÉE À L'EXÉCUTIF PAR LES RESPONSABLE DE LA COMMISSION NATIONALE DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION) MAIS TOUJOURS PAS FORMÉE. DONC OÙ EST LE PROBLÈME ? ON VA LA FORMER DANS QUELQUES MOIS CETTE COMMISSION TOUT EN RESPECTANT L'ÉQUILIBRE DU PARTAGE ENTRE LES MAFIEUX. SES MEMBRES SERONT FORMÉS , UN PROCHE DE SLEIMAN FRANGIÉ 2, UN AUTRE PROCHE DE JOUMBLATT, DEUX AUTRE DE BERRI, DEUX DU BASSIL ET AOUN, DEUX DE MIKATI ET HARIRI ET LE RESTE DU HEZBOLLAH. CETTE COMMISSION AURA LA TACHE DIFFICILE À CONTROLER LA CORRUPTION .

    Gebran Eid

    07 h 28, le 27 septembre 2021

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