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La Consolidation de la paix au Liban - Septembre 2021

Les prisonniers de Roumié, ces oubliés de l'État libanais

Les prisonniers de Roumié, ces oubliés de l'État libanais

« Je souffre d’une insuffisance rénale. Si je ne fais pas de dialyse deux fois par semaine, je meurs immédiatement. Mon admission à l'hôpital ne posait pas de problème dans le passé, mais depuis que la crise dans le secteur médical s’est aggravée, je peine à obtenir mon traitement. Je risque de mourir à tout moment… », se confie Ayman (un pseudonyme), un des prisonniers du bloc « B » de la prison de Roumié au Liban.

Ayman fait partie des centaines de détenus atteints de maladies chroniques et dont la santé est aujourd’hui menacée à cause de la crise qui affecte gravement le secteur médical. Celle-ci est devenue la plus grande source d’inquiétude au Liban, avec l’effondrement de l’État et de ses institutions qui se retrouvent incapables d'assumer leurs responsabilités.

Les détenus du centre carcéral de Roumié – qui accueille 3 000 des quelque 6 000 prisonniers du Liban, selon les chiffres de la direction des prisons (1), alors qu'il est censé en accueillir seulement 1 500 – racontent leurs souffrances quotidiennes, qui vont du manque de quantités suffisantes de nourriture jusqu’à la difficulté d'avoir accès aux soins médicaux.

La pharmacie de la prison est presque vide. Même les produits de premiers secours manquent. Les prisonniers n’arrivent pas ainsi à bénéficier des soins médicaux appropriés dont ils ont besoin ni à se faire opérer dans les hôpitaux, sauf à leurs propres frais, d'autant plus que le ministère de l'Intérieur, l’autorité responsable de leur prise en charge médicale, n'est plus en mesure d’en assumer les frais.

Les appels lancés par les détenus de Roumié se multiplient, alors que le secteur de la santé s'effondre. Les syndicats et les hôpitaux avaient tiré la sonnette d’alarme en faisant état d’importantes pénuries de réactifs de laboratoire, de divers matériels médicaux et de médicaments, parce que les importateurs n’arrivent pas à les approvisionner en quantités suffisantes en raison de la dévaluation dramatique de la livre libanaise face au dollar, échangé à plus de 18 600 livres sur le marché noir, au moment de la rédaction de cet article.

Une tragédie qui revient au premier plan

L'incapacité de l'État libanais à préserver les droits les plus élémentaires des prisonniers revient régulièrement sur le devant de la scène, notamment à Roumié, qui abrite donc le plus grand nombre de détenus, victimes de violations des droits de l'homme, selon plusieurs rapports.

Les récits tragiques provenant de cette prison ont récemment attiré l'attention du public, à la faveur notamment d'une interview télévisée diffusée sur la chaîne locale, MTV (2), selon laquelle des détenus « ont été libérés mais refusaient de quitter la prison, parce qu’ils y mangeaient à leur faim et qu’ils y recevaient leurs soins médicaux et leurs médicaments ». Sauf que tout de suite après, les prisonniers ont publié un communiqué (3) dans lequel ils ont averti que « la situation à l’intérieur de Roumié devenait explosive » à cause de la sous-alimentation et de l’absence de soins médicaux suffisants.

Cette contradiction place les Libanais devant deux explications possibles, selon la commission en charge des problèmes des prisonniers de Roumié : la première est qu’il existe « un problème au niveau des rapports remis à l’État sur la condition dans les prisons libanaises », ce qui fait celui-ci n’est pas au courant de la situation, et la seconde se rapporte à « une tentative de tromper l'opinion publique », à travers ces rapports qui ne correspondent pas à la réalité.

Plus encore, les détenus se plaignent de longues coupures quotidiennes du courant électrique et d’un approvisionnement irrégulier en cartes téléphoniques prépayées qui leur permettent de communiquer avec leurs familles, ce qui signifie qu’ils risquent d'être complètement coupés du monde extérieur.

Malnutrition, soins médicaux défaillants… et racisme

« Chaque deux personnes reçoivent une pomme pourrie. Le pain est rassis et la plupart du temps il est servi quand bien même il avait été grignoté par des souris… La nourriture qui nous est servie ne convient même pas aux animaux. Je veux juste qu'on autorise ma famille à m’apporter des repas… », se plaint un détenu du bloc B au sujet de la qualité des aliments servis par l'administration pénitentiaire. Celle-ci interdit tout produit venant de l’extérieur, même s’il est envoyé par les familles.

Les problèmes de santé à Roumié sont ainsi liés aussi à l'alimentation, les détenus n’ayant pas accès à une nourriture variée, la leur se limitant à quelques céréales et de la pomme de terre, sans compter que les quantités sont très limitées, selon les témoignages des détenus.

Les enregistrements, les photos et les témoignages publiés par les détenus sur leur page Facebook (4), montrent clairement la dégradation des conditions de vie dans ce centre carcéral. Celle-ci est identique à la situation générale du pays, en proie à une grave crise économique et sanitaire ce qui, concrètement, aggrave les problèmes de mauvais traitements et soins auxquels les détenus sont confrontés.

« La nourriture était déjà mauvaise, et la crise économique a aggravé les choses... Si l'État ne peut pas nous nourrir, nos parents peuvent le faire. Nous avons juste besoin d'une autorisation pour qu’ils puissent nous remettre nos repas, comme c’est le cas dans le reste des prisons », insiste l'un des détenus qui explique comment les rations alimentaires à Roumié ont été progressivement réduites à moins que la moitié par rapport à ce qu’elles étaient dans le passé. Les repas sont tombés de trois à deux seulement par jour (petit déjeuner et déjeuner), et la viande, le poulet et les produits laitiers ont complètement disparu des plateaux, selon les détenus. La plupart ont confirmé qu'ils mangent de la viande une fois tous les deux mois, voire plus et qu’ils sont deux à partager une pomme, le seul fruit qui entre à la prison.

Parallèlement, avec l’aggravation de la crise, les détenus n'ont plus les moyens d'acheter les produits du seul magasin privé de Roumié, dont les prix ont doublé et sont devenus encore plus élevés que ceux des autres magasins en dehors de la prison.

L'interdiction de l’entrée de produits ou de la nourriture envoyés par les familles est appliquée seulement à Roumié parce que les forces de sécurité avaient découverts, plus d'une fois, des articles interdits dissimulés dans des produits destinés notamment à la consommation, envoyés par ces mêmes familles à leurs proches. Ces découvertes ne justifient pas cependant l'interdiction qui révèle surtout un manque d'imagination pour la mise en place de solutions à une crise devenue insoluble et épineuse.

Il faut dire que les problèmes à Roumié ne se limitent pas à l’alimentation et aux soins de santé. Et pour cause : les prisons du Liban sont surpeuplées de personnes qui « n’étaient pas supposées être là en premier lieu », dont notamment des centaines de prévenus qui restent derrière les barreaux parce que la justice tarde à traiter leurs dossiers, ou parce qu'ils sont incapables de payer les amendes qui leur sont infligées et d'obtenir ainsi des ordres de libération, selon un rapport d'Amnesty International (5). Cette situation aggrave la surpopulation carcérale, notamment avec la pandémie du coronavirus, bien que le gouvernement libanais ait pris dans ce contexte un certain nombre de mesures pour éviter une propagation du virus, comme notamment la libération de plusieurs prisonniers. Cependant, des milliers de personnes restent en détention dans l'attente de leur procès ou, dans certains cas, bien qu’elles aient déjà purgé leur peine, selon le rapport.

Le 6 avril 2020, le ministère libanais de l'Intérieur avait annoncé la libération de plus de 600 prisonniers en détention provisoire, dans le cadre des mesures prises par le gouvernement pour contenir la propagation du Covid-19. Parmi eux, certains avaient été jetés en prison après les événements de Nahr el-Bared en 2007 (6). Ils avaient donc passé 13 ans en prison, sans avoir été jugés.

Selon l’ONG « Legal Agenda », le taux d'occupation dans toutes les prisons a atteint 160 % en 2019, principalement en raison des périodes étendues de détention provisoire. Les conditions de détention restent lamentables à cause de la surpopulation carcérale et des conditions de vie inadéquates, sans compter l'état de santé critique de centaines de détenus.

L’angoisse que les Libanais éprouvent aujourd’hui pour leur liberté en raison des crises qui s’accumulent reste minime face à celle des prisonniers qui se retrouvent au bas de la liste des priorités de l'État libanais, voire presque complètement oubliés.

https://pa.justice.gov.lb/

https://www.facebook.com/100015637143775/videos/1079184989279396/

https://www.facebook.com/sujanalebann/posts/1082308572300371

https://www.facebook.com/sujanalebann

https://www.amnesty.org/ar/latest/news/2020/04/lebanon-government-must-urgently-release-more-prisoners-to-prevent-spread-of-covid19/

https://ar.wikipedia.org/wiki/%D8%A7%D9%84%D8%B5%D8%B1%D8%A7%D8%B9_%D9%81%D9%8A_%D8%B4%D9%85%D8%A7%D9%84_%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86_2007#:~:text=%D8%A8%D8%AF%D8%A3%20%D8%A7%D9%84%D8%B5%D8%B1%D8%A7%D8%B9%20%D9%81%D9%8A%20%D8%B4%D9%85%D8%A7%D9%84%20%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86,(%D8%A7%D9%84%D8%A3%D9%88%D9%86%D8%B1%D9%88%D8%A7)%20%D8%A8%D8%A7%D9%84%D9%82%D8%B1%D8%A8%20%D9%85%D9%86%20%D8%B7%

https://legal-agenda.com/%D8%A7%D9%83%D8%AA%D8%B8%D8%A7%D8%B8-%D8%A7%D9%84%D8%B3%D8%AC%D9%88%D9%86-%D8%A3%D9%85%D8%A7%D9%85-%D8%AA%D8%AD%D8%AF%D9%91%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D9%83%D9%88%D8%B1%D9%88%D9%86%D8%A7-%D9%85%D9%86%D8%A7/

« Je souffre d’une insuffisance rénale. Si je ne fais pas de dialyse deux fois par semaine, je meurs immédiatement. Mon admission à l'hôpital ne posait pas de problème dans le passé, mais depuis que la crise dans le secteur médical s’est aggravée, je peine à obtenir mon traitement. Je risque de mourir à tout moment… », se confie Ayman (un pseudonyme), un des prisonniers du bloc...

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