
Hassan Nasrallah dans une interview à la chaîne al-Mayadeen. Photo d’archives/AFP
Le Hezbollah sort-il plus renforcé sur la scène locale après la formation du gouvernement de Nagib Mikati ? Si la question se pose dans les milieux politiques, c’est surtout parce que le contexte local et régional dans lequel le cabinet a enfin vu le jour a donné cette impression.
Il a fallu que le président français, Emmanuel Macron, entre en contact par téléphone, le 5 septembre, avec son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, pour que se lance officiellement le sprint final du processus gouvernemental, paralysé jusqu’ici par les traditionnelles querelles politiciennes entre les protagonistes locaux. Lors de l’appel, le président iranien avait assuré au locataire de l’Élysée que Téhéran « n’épargnera aucun effort pour qu’un gouvernement fort soit formé au Liban ». Cinq jours plus tard, le cabinet Mikati est mis sur pied, treize mois après la démission de celui de Hassane Diab, dans la foulée de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, le 4 août 2020.
Au vu du contexte dans lequel elle est intervenue – marqué par les négociations entre la République islamique et la communauté internationale autour du dossier du nucléaire iranien–, la conversation téléphonique entre MM. Macron et Raïssi est porteuse de plusieurs messages politiques : il s’agit d’une des rares fois où la France reconnaît aussi clairement le rôle et le poids de Téhéran sur la scène libanaise. Et réciproquement, il s’agit aussi d’une reconnaissance iranienne de la force politique de la France au pays du Cèdre. C’est ainsi que plusieurs observateurs expliquent la soudaine accélération des tractations gouvernementales, alors que le blocage du processus était tel que rien ne prêtait à croire à un dénouement heureux. Ce point de vue est partagé par Kassem Kassir, analyste politique réputé proche du Hezbollah. « Il est évident que l’ouverture de la France en direction de l’Iran a joué un rôle non négligeable dans l’accélération du processus gouvernemental », analyse-t-il pour L’Orient-le Jour, rappelant que la conjoncture régionale et internationale y est elle aussi pour quelque chose.
Mais, dans les milieux hostiles au parti de Hassan Nasrallah, on présente un autre point de vue, reprochant à Emmanuel Macron l’ouverture à son homologue iranien. Le vice-président du courant du Futur, Moustapha Allouche, y voit « une reconnaissance internationale du fait que le Liban gravite désormais dans l’orbite de l’Iran ». « Emmanuel Macron veut investir en Iran et y élargir le marché de voitures françaises. Ce n’est donc pas le Liban qui l’intéresse, mais l’Iran », ajoute-t-il.
À la question de savoir si le Hezbollah s’est vu renforcé après la longue séquence de la formation du cabinet, M. Allouche est catégorique : « Hassan Nasrallah n’a pas besoin de gouvernement pour prouver qu’il est fort. Il l’est avec ou sans cabinet. Preuve en est, il contrôle le gouvernement, mais aussi le secteur bancaire, et importe du pétrole », déplore l’ex-député de Tripoli.
Antagonisme
Ce dernier point concernant l’importation de pétrole iranien illustre tout l’antagonisme du discours du Hezbollah. Celui-ci s’efforce de se présenter comme un parti soucieux du bon fonctionnement des institutions de l’État. Mais il peut dans le même temps en paralyser totalement l’action, comme ce fut le cas en période de vacance présidentielle. Le parti avait alors sciemment empêché la tenue de la présidentielle pour garantir l’élection de son candidat, à savoir le général Michel Aoun, hissé à Baabda en octobre 2016. Au gré de ses besoins politiques, le Hezbollah peut, au contraire, débloquer la paralysie institutionnelle et briser la léthargie politique au moment qui lui convient, comme l’ont si bien montré les péripéties politiques ayant précédé la genèse du gouvernement Mikati.
Ce même Hezbollah peut, aussi, tourner complètement le dos à l’État et ses autorités, si besoin est. C’est alors que le mini-État prend le dessus, pendant que les autorités observent un silence radio. L’importation de carburants en provenance d’Iran en est sans doute l’exemple le plus frappant. Dans une interview accordée en juin dernier à la chaîne al-Manar (affiliée au Hezbollah), Hassan Nasrallah n’avait pas manqué de défier l’État, pourtant dirigé par son allié de longue date, Michel Aoun, sur ce plan. « Si l’État cesse d’assumer ses responsabilités et que l’humiliation se poursuit, nous, au sein du Hezbollah, irons en Iran, négocierons avec le gouvernement iranien (...) et achèterons des navires d’essence et de mazout et les ramènerons au port de Beyrouth. Et que l’État libanais (ose) empêcher l’acheminement d’essence et de mazout au peuple libanais », avait-il tonné, sans que cette flagrante atteinte au prestige de l’État ne suscite l’indignation – ne serait-ce que de pure forme – des pôles du pouvoir. Demain jeudi, des camions transportant la cargaison du premier bateau de carburant iranien déchargé à Banias, en Syrie, devraient arriver dans la Békaa, moins d’une semaine après la naissance du cabinet Mikati. « Le Hezbollah pourrait bien continuer à importer du pétrole d’Iran. Cela s’inscrit dans le cadre de la propagande visant à calmer les appréhensions de la communauté chiite qui souffre, à l’instar de tous les Libanais, de la crise économique actuelle », explique Ali el-Amine, journaliste chiite hostile à la formation de Hassan Nasrallah. Il tient toutefois à préciser que pour tenir un tel discours, le numéro un du Hezbollah « est confiant que le président de la République ne s’est jamais indigné du fait que le Liban est désormais dans la galaxie de la Moumanaa ».
Pour ce qui est du gouvernement, Ali el-Amine reconnaît que là aussi le Hezbollah est parvenu à imposer ses propres conditions, et porter un coup sévère à l’initiative française de septembre 2020. « Alors que celle-ci préconisait un cabinet épuré des figures politiques, le nouveau cabinet regroupe des personnalités nommées par des protagonistes… qui ne sont autres que les composantes de la classe dirigeante, largement décriée par le peuple libanais », analyse le journaliste, pour qui le Hezbollah « insiste pour garder le Liban loin des pays arabes », alors que le Premier ministre a affiché une volonté de rétablir les ponts coupés avec le monde arabe. Nagib Mikati n’est pas pour autant mis au pied du mur. Pour Ali el-Amine, « le Premier ministre ne mènera pas une bataille contre le Hezbollah dans la prochaine phase, à quelques mois des législatives ».
Il n’en demeure pas moins que dans le contexte de crise aiguë actuelle, la politique étrangère du Liban sera une épreuve importante pour le cabinet, de même que les négociations avec le Fonds monétaire international, un mal nécessaire pour redresser le pays, mais auquel le Hezbollah s’était déjà opposé en février 2020, par la voix de son secrétaire général adjoint, le cheikh Naïm Kassem. La balle est donc dans le camp du Premier ministre…
Le Hezbollah sort-il plus renforcé sur la scène locale après la formation du gouvernement de Nagib Mikati ? Si la question se pose dans les milieux politiques, c’est surtout parce que le contexte local et régional dans lequel le cabinet a enfin vu le jour a donné cette impression. Il a fallu que le président français, Emmanuel Macron, entre en contact par téléphone, le 5 septembre,...
commentaires (9)
En 1969, avec l'accord du Caire, le Liban a abdique ses droits qu profit des Palestiniens. En 2006, avec l'accord de Mar Mkhayel, le Liban a adbique au profit du Hezbollah/Iran. Triste situation....
IMB a SPO
15 h 13, le 17 septembre 2021