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Politique - Crise politique

Le Liban se dote d'un nouveau gouvernement, après plus d'un an d'attente

Mikati estime qu'il n’est pas difficile de redresser le pays, Aoun lie la confiance parlementaire au programme du cabinet.

Le Liban se dote d'un nouveau gouvernement, après plus d'un an d'attente

Le président libanais Michel Aoun signant le décret de la formation du nouveau gouvernement, le 10 septembre 2012, au palais de Baabda. Photo Dalati et Nohra

Treize mois jour pour jour après la démission du cabinet de Hassane Diab, et près de sept semaines après la désignation de Nagib Mikati en tant que Premier ministre, ce dernier a enfin mis sur pied, vendredi, son équipe longuement attendue alors que le pays ploie sous le poids de la plus grave crise de son histoire moderne. Le cabinet est composé de 24 ministres, répartis à parts égales entre chrétiens et musulmans et au sein duquel aucune partie ne détient le tiers de blocage, comme l'a affirmé le leader sunnite avant même de se rendre à Baabda. Il devrait tenir sa première réunion lundi à 11h00 (08h00 GMT) après la photo-souvenir traditionnelle, a indiqué le secrétaire général du Conseil des ministres, Mahmoud Makiyé.

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La signature du décret (8376) par le président Michel Aoun et Nagib Mikati à l'issue de leur entretien - le 14e depuis la désignation de ce dernier -, suivi d'un autre auquel s'est joint le président du Parlement Nabih Berry, vient clôturer un cycle de tractations houleuses qui ont buté sur de nombreux obstacles. Le déblocage est le fruit des médiations menées de front entre les différents protagonistes par Moustapha Solh, gendre du frère du Premier ministre désigné, Taha Mikati, et par le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. Ces médiations ont porté sur l'attribution de certains portefeuilles, dont celui de l'Economie, qui participera aux discussions avec le Fonds monétaire international une fois le cabinet formé, ainsi que la nomination des deux ministres chrétiens flottants. Les contacts qui s'étaient intensifiés dans la nuit de jeudi à vendredi ont en outre mené à la mise en place d'une équipe où "il n'y pas de tiers de blocage, ni explicitement, ni implicitement", comme l'a déclaré le Premier ministre désigné lui-même avant de se diriger à Baabda au site web Lebanon 24, autre principal obstacle qui entravait jusque-là le processus, la présidence ayant longtemps été accusée de convoiter cette minorité au sein de l'équipe ministérielle, dans la perspective de calculs politiques futurs. Enfin, la question de la confiance parlementaire que pourrait obtenir le cabinet Mikati, notamment de la part du groupe du Liban fort, dont le Courant patriotique libre (aouniste) est la principale composante, a été résolue après un engagement du chef du CPL Gebran Bassil dans ce sens. Des informations confirmées par Nagib Mikati après la naissance de son cabinet. Pendant plusieurs jours, les aounistes avaient laissé entendre qu'ils n'accorderaient pas la confiance à un cabinet dont il ne connaissent pas le programme, à quelques mois des législatives de mai prochain, et de la présidentielle attendue en octobre 2022.

Le président du Parlement libanais, Nabih Berry, à son arrivée au palais de Baabda, le 10 septembre 2021. Photo Mohamed Azakir/Reuters

"Je vais frapper à toutes les portes"
S'exprimant suite à l'annonce de la formation de son gouvernement, le Premier ministre libanais Nagib Mikati a commencé par dresser un tableau de la situation catastrophique au Liban. Il a d’emblée indiqué qu’il n’avait pas préparé de déclaration écrite. "Normalement le Premier ministre donne lecture d'un communiqué dans lequel il expose le plan d'action du cabinet. Mais aujourd'hui, je vais laisser mon cœur parler", a-t-dit, avant d'ajouter, la voix étranglée par l’émotion : "Tout le monde connaît la situation du pays, des plus vieux aux plus petits, jusqu’aux nourrissons dans leurs berceaux. Les nourrissons sont privés de lait infantile, les enfants se demandent s'ils iront à l'école et demandent à émigrer. Les pères ont vu leurs revenus perdre plus de 80% de leur valeur et ne savent plus comment joindre les deux bouts. Quant aux mères, elles ne trouvent pas de médicaments (...)". "La situation est difficile et exceptionnelle. Mais il n'est pas difficile de redresser le pays", a affirmé le milliardaire tripolitain, assurant que son équipe œuvrera  dans ce sens. "Nous entrerons en contact avec toutes les instances internationales pour assurer les besoins élémentaires du pays", a insisté Nagib Mikati, en donnant indirectement quelques éléments sur la politique qu’il compte suivre pour tirer le pays de la crise dans laquelle il est plongé : "Je vais frapper à toutes les portes, et notamment aux portes du monde arabe pour rétablir les ponts coupés. Nous avons besoin du monde arabe auquel le Liban appartient et je suis persuadé que nos frères ne vont pas nous lâcher", a encore dit M. Mikati, en  soulignant l’envergure nationale de son cabinet "qui est celui de tout le Liban et non pas d’une partie déterminée". "J'espère que nous pourrons freiner l’effondrement et rendre au Liban son âge d'or", a souhaité le chef du gouvernement, réitérant son attachement à l'accord de Taëf (de 1989) et à la Constitution.

Répondant à une question sur un éventuel tiers de blocage, M. Mikati a lancé: "Gardez la politique de côté. Nous voulons travailler pour assurer le minimum des critères d'une vie digne. Que celui  qui veut bloquer (l'action du gouvernement) reste dehors ou qu’il assume la responsabilité de son action". "En tant que Premier ministre, j’ai avec moi les deux tiers (des ministres) qui sont déterminés à construire le pays". M. Mikati a, par ailleurs, assuré que le bloc du Liban fort accordera sûrement la confiance au gouvernement, précisant que ce point a fait l'objet de contacts qu'il a menés avec le président Aoun.

En réaction aux critiques selon lesquelles les membres de son équipe ne sont pas indépendants, le chef du gouvernement a reconnu que les ministres ont probablement des affinités politiques, en précisant toutefois qu’ils sont des spécialistes. "Nous avons d'ici au 21 mai (date de l'expiration du mandat de la Chambre) pour accomplir notre mission", a-t-il poursuivi. Et M. Mikati de s'engager  à organiser les législatives mais aussi les municipales et élections de moukhtars prévues en mai 2022  à temps. Évoquant la question de la levée des subventions, prévue prochainement, le chef du gouvernement a annoncé que son équipe établira rapidement un plan : "Nous ne voulons pas lever les subventions, mais nous n'avons plus de ressources pour les maintenir. Nous devons nous serrer la ceinture en ces temps difficiles, a-t-il souligné.

A son tour, dans une conversation à bâtons rompus avec les journalistes, le président Michel Aoun a indiqué que son camp n’a pas obtenu la minorité de blocage. "Nous avons pris ce que nous étions supposés prendre. Nous avons préservé la Constitution et les usages", dans la formation du cabinet, a-t-il dit, en allusion à sa part au sein du cabinet, jugeant que les accusations portées à son encontre au sujet de sa volonté d’obtenir le tiers de blocage "s’inscrivent dans le cadre d’une guerre politique" menée contre lui. Prié de dire si le bloc parlementaire affilié à son camp accordera la confiance au gouvernement, M. Aoun a répondu : "M. Mikati a oublié un mot : la confiance s’accorde au programme", en allusion ainsi aux propos du Premier ministre selon lesquels le CPL accordera sa confiance à son équipe. Il s’est défendu d’avoir utilisé le mot "enfer" dans le sens que ses détracteurs lui donnent et qui lui reprochent notamment d’avoir "tenu sa promesse lorsqu’il avait déclaré que le pays se retrouvera en enfer si un gouvernement n’est pas formé". "J’avais dit que nous vivions en enfer et que nous allions en sortir", a souligné le président.

Défis
Suite à la signature du décret de formation du cabinet, la livre, qui s'échangeait depuis des semaines autour de 18.500-19.000 LL pour un dollar, est remontée autour de 15.500 LL contre un billet vert vers 15h, selon la plateforme informelle lirarate.org. Notre correspondante dans la Békaa, Sarah Abdallah, indique que les changeurs de Chtaura ont arrêté leurs opérations d'achat de dollars en raison de cette hausse rapide et reprendront le travail samedi "attendant entre-temps, que le marché s'apaise". 

Le 26 juillet, M. Aoun avait chargé Nagib Mikati, ancien Premier ministre et homme le plus riche du pays, de former un nouveau gouvernement après l'échec de ses deux prédécesseurs. L'ancien Premier ministre, Saad Hariri, avait jeté l'éponge à la mi-juillet au terme de neuf mois de difficiles tractations. Après sa démission, il avait accusé l'Iran, principal soutien du Hezbollah, d'"entraver" l'accouchement d'un gouvernement réformateur. Avant lui, l'ambassadeur Moustapha Adib avait également rendu son tablier.

Le pays était sans nouveau gouvernement depuis la démission du cabinet de Hassane Diab, quelques jours après l'explosion dévastatrice au port de Beyrouth le 4 août 2020, qui avait fait plus de 200 morts et ravagé des quartiers entiers de la capitale. Depuis, la crise économique inédite que traverse le pays depuis l'été 2019, n'a eu de cesse de s'aggraver, la Banque mondiale la qualifiant d'une des pires au monde depuis 1850. Avec une inflation galopante et des licenciements massifs, 75% de la population libanaise vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU. Chute libre de la monnaie locale, restrictions bancaires inédites, levée progressive des subventions, pénuries de carburants et de médicaments, le pays est aussi plongé dans le noir depuis plusieurs mois, les coupures de courant culminant jusqu'à plus de 22 heures quotidiennement. Les générateurs de quartier, qui prennent généralement le relais, rationnent aussi foyers, commerces et institutions, faute de fioul suffisant, devenu cher et monnaie rare dans un pays à court de devises étrangères et en pleine levée des subventions sur plusieurs produits de base.

De nombreux défis attendent ainsi le nouveau gouvernement, notamment la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international, avec lequel les pourparlers sont interrompus depuis juillet 2020. Il s'agit pour la communauté internationale d'une étape incontournable pour sortir le Liban de la crise et débloquer d'autres aides substantielles. Depuis plus d'un an, la communauté internationale conditionne son aide à la formation d'un gouvernement capable de lutter contre la corruption et de mener des réformes indispensables. Elle s'est contentée depuis l'explosion de fournir une aide humanitaire d'urgence, sans passer par les institutions officielles. Malgré les menaces de sanctions de l'Union européenne (UE), les avertissements et les accusations "d'obstruction organisée" ces derniers mois, les dirigeants politiques libanais ont poursuivi leurs habituels marchandages. Début août, le président français, Emmanuel Macron, qui suit de près le dossier libanais, avait alors accusé la classe dirigeante, largement honnie par la rue et ayant survécu à un soulèvement populaire à l'automne 2019, de faire "le pari du pourrissement".


Treize mois jour pour jour après la démission du cabinet de Hassane Diab, et près de sept semaines après la désignation de Nagib Mikati en tant que Premier ministre, ce dernier a enfin mis sur pied, vendredi, son équipe longuement attendue alors que le pays ploie sous le poids de la plus grave crise de son histoire moderne. Le cabinet est composé de 24 ministres, répartis à parts égales...
commentaires (6)

Consternant. Aoun nous demande presque d’admirer sa clairvoyance en ce qui concerne ses prévisions sur l’enfer dans lequel il a contribué à plonger le pays. Et Mikati nous fait rêver avec son programme basé exclusivement sur la mendicité: pousser des portes et appeler à l’aide. Il oublie qu’aucune aide n’est accordée sans dette et que la corruption dissuade tout investissement.

Alexandre Choueiri

01 h 55, le 11 septembre 2021

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Commentaires (6)

  • Consternant. Aoun nous demande presque d’admirer sa clairvoyance en ce qui concerne ses prévisions sur l’enfer dans lequel il a contribué à plonger le pays. Et Mikati nous fait rêver avec son programme basé exclusivement sur la mendicité: pousser des portes et appeler à l’aide. Il oublie qu’aucune aide n’est accordée sans dette et que la corruption dissuade tout investissement.

    Alexandre Choueiri

    01 h 55, le 11 septembre 2021

  • "... J’avais dit que nous vivions en enfer et que nous allions en sortir ..." - Eh, on a tous vu la vidéo...

    Gros Gnon

    18 h 50, le 10 septembre 2021

  • PAUVRES LIBANAIS. VOUS AVEZ PERDU L,OCCASION DE DEVENIR UN PEUPLE LIBRE QUI DECIDE DE SON DEVENIR. LA MEME FERRAILLE DES CLIQUES MAFIEUSES VA VOUS GOUVERNER SI CE C,EST PAS DIRECTEMENT CE SERA INDIRECTEMENT. RIEN N,A CHANGE POUR VOU SI CE N,EST QUE VOUS PASSEZ DE CHARYBDE EN SCYLLA AVEC LA MEME PEGRE AU GOUVERNAIL CAR LES COMMANDANTS RESTENT LES DIABLES DE LA DIABOLIQUE TRINITE DU MAL. JE NE NOUS SOUHAITE PAS BON VOYAGE. LES TOURMENTES ET LES CYCLONES SONT A NOTRE HORIZON.

    ECLAIR

    15 h 37, le 10 septembre 2021

  • SI VRAIMENT IL A ACCEPTE DE NE PAS AVOIR LE TIERS DE BLOCAGE POURQUOI IL A TENU EN SUSPENS ET IL A ENGLOUTI LE PAYS 13 MOIS EN PLUS DANS L,ENFER QU,IL LUI AVAIT D,AILLEURS PROMIS ET LES CITOYENS DANS L,ANGOISSE, LA PAUVRETE, LA FIN ET SURTOUT L,EMIGRATION ? CHEZ NOS VOISINS DU SUD DES PRESIDENTS ET DES PREMIERS MINISTRES ONT ETE JUGES ET EMPRISONNES DES ANS POUR DES DOUTES DE CORRUPTION DE 10.000.- DOLLARS ET DES CADEAUX ACCEPTES DE MOINDRE IMPORTANCE.

    ECLAIR

    15 h 23, le 10 septembre 2021

  • Alléluia.

    Desperados

    14 h 55, le 10 septembre 2021

  • BRAVO : 24 mois et voila , HOULA HOULA HOP - KOULON - N'EST CE PAS?

    aliosha

    14 h 35, le 10 septembre 2021

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