
L’ancien ministre des Travaux publics Youssef Fenianos. Photo d’archives AFP
Poursuivant sur sa lancée en dépit de la levée de boucliers des dirigeants politiques qui se coalisent contre lui pour le dissuader de poursuivre tout responsable faisant partie de leurs camps, le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé d’enquêter sur la double explosion au port le août 2020, a convoqué hier l’ancien ministre des Travaux publics Youssef Fenianos affilié au parti Marada. Seul l’avocat de ce dernier, Tony Frangié, s’est présenté devant le magistrat, à qui il a soumis des exceptions de procédure dans le cadre des moyens légaux dont il dispose pour tenter d’empêcher la procédure judiciaire de se poursuivre. Une nouvelle audience a par conséquent été fixée au 16 septembre, au cours de laquelle M. Bitar fera connaître sa décision d’accepter ou de rejeter les vices de forme invoqués.
Parmi ceux-ci figure le point selon lequel M. Fenianos considère que la Cour de justice est incompétente pour se pencher sur les actes qui lui sont reprochés. Dans son recours, il se base sur les articles 70 et 80 de la Constitution selon lesquels les ministres qui négligent les devoirs de leur charge sont mis en accusation par le Parlement devant la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres. Or on sait qu’à l’opposé, M. Bitar se considère compétent pour les poursuivre, puisqu’il s’agit d’actes ayant entraîné des morts et des destructions, les faisant basculer dans les crimes de droit commun soumis aux tribunaux de droit commun, en l’espèce la Cour de justice.
L’autre argument de contestation brandi par Tony Frangié est le fait que la cour d’appel de Tripoli n’a pas encore rendu son arrêt concernant le recours présenté par Youssef Fenianos, avocat au barreau de Tripoli. Celui-ci souhaitait ainsi faire annuler l’autorisation de l’ordre des avocats de Tripoli de le poursuivre à la demande du juge Bitar. Une source juridique proche de M. Fenianos évoque dans ce dossier une jurisprudence selon laquelle le recours en appel de la décision de l’ordre la suspend. Par conséquent, le procès ne peut se poursuivre tant que la cour d’appel n’aura pas statué sur la requête de M. Fenianos, estime la même source. Mais un autre avocat invoque une jurisprudence contraire, celle de la Cour de cassation pénale, qui, dans un jugement du 11 juillet 2002, avait décidé que l’action judiciaire peut se poursuivre même en présence d’un recours en appel de la décision de l’ordre.
Un troisième point invoqué par la défense est que le bâtonnier de Tripoli, Mohammad Mrad, n’a pas été notifié de la date de l’audience d’hier, alors qu’un avocat ne peut être auditionné sans que cela soit le cas, en vertu de la loi sur l’organisation de la profession.
Respect de la loi
Le fait que l’avocat de Youssef Fenianos se soit présenté devant le juge d’instruction a suscité une certaine satisfaction auprès d’avocats de victimes de la catastrophe du 4 août 2020. « Youssef Fenianos a fait montre d’un respect de la loi », reconnaît l’un d’eux, soulignant qu’« il a fait usage de la voie procédurale qui lui est ouverte à travers la présentation d’exceptions de forme ». Il critique à ce propos le chef du gouvernement sortant Hassane Diab qui « refuse de comparaître », ainsi que les députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, qui, « au lieu de se présenter devant la justice, avaient présenté un recours pour suspicion légitime » contre le prédécesseur de Tarek Bitar, Fadi Sawan. « Plutôt que de se plier à la loi, les hauts responsables mis en cause ainsi que les parties qui les protègent attaquent le juge Bitar dans les médias et brandissent leurs immunités politique et confessionnelle », déplore l’avocat interrogé.
Youssef Fenianos avait été entendu comme témoin par M. Sawan. Après une autre convocation de ce dernier, il s’était également rendu en décembre 2020 au Palais de justice de Beyrouth en tant que mis en cause, sans savoir que son audience avait été annulée à la suite du recours pour suspicion légitime présenté par MM. Khalil et Zeaïter.
À noter que le juge Bitar a émis hier un mandat d’arrêt à l’encontre de l’ancien directeur des opérations au port de Beyrouth, Sami el-Hussein, après l’avoir interrogé pendant plusieurs heures. Selon des documents publiés par le site d’informations al-Modon, celui-ci avait ordonné en 2014 le déchargement des 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium dans le hangar numéro 12 du port malgré un avertissement envoyé par Moustapha Farchoukh, chef du département des marchandises à la direction générale du port, qui avait mis en garde contre le fait que l’entrepôt n’était pas équipé pour le stockage de tels produits. Mardi dernier, un membre du Conseil supérieur des douanes, Hani Hajj Chéhadé, avait été également arrêté.
L’ancien directeur du service de renseignements de l’armée, Camille Daher, et l’ancien directeur des douanes par intérim pour la région de Beyrouth, Moussa Hazimé, devraient être entendus demain, après que leurs audiences respectives eurent été reportées en raison de la présentation d’exceptions de procédure.
Le juge Bitar a convoqué en outre de hauts responsables sécuritaires et politiques, notamment Hassane Diab, qui fait l’objet d’un mandat d’amener le 20 septembre.
Poursuivant sur sa lancée en dépit de la levée de boucliers des dirigeants politiques qui se coalisent contre lui pour le dissuader de poursuivre tout responsable faisant partie de leurs camps, le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé d’enquêter sur la double explosion au port le août 2020, a convoqué hier l’ancien ministre des Travaux publics Youssef...
commentaires (4)
c'est affligeant de voir comment des prétendus avocats utilisent tous les artifices pour permettre à leurs clients d'échapper à la justice. Bravo au courageux M. Fenainos qui est le seul à avoir suffisamment d'amour-propre et d'honnêteté pour répondre aux injonctions du juge. A quand la mise en cause, NOMMEMENT, des vrais décideurs dans cette affaire?
Joseph ADJADJ
16 h 01, le 07 septembre 2021