Au moment où le Liban est plus que jamais paralysé par les pénuries de carburants aggravées par le stockage illégal de ces produits et la contrebande vers la Syrie, le patriarche maronite Béchara Raï a exprimé hier ses regrets face à la corruption répandue au sein de toute la société libanaise et pas seulement au sein de la classe politique, appelant les autorités à fermer les frontières. Le prélat a par ailleurs mis en garde contre toute tentative de "politiser, communautariser ou bloquer l'enquête" sur le drame du 4 août 2020, après les réactions provoquées par le mandat d'amener émis par le juge d'instruction en charge de l'enquête, Tarek Bitar, à l'égard du Premier ministre sortant, Hassane Diab, qui avait refusé de comparaître devant lui la semaine dernière.
Corruption de la société
"Notre peuple en veut aux responsables politiques, voire à tous les chefs politiques, parce qu'ils sont toujours préoccupés par les quotas et les comptes futiles, alors que le peuple est délaissé, en proie à la famine, l'oppression, l'humiliation et l'émigration", a déploré le patriarche lors de son homélie dominicale au siège estival du patriarcat à Dimane (Liban-Nord). Il a également regretté le fait que les dirigeants "bloquent les solutions politiques, financières, éducatives et vitales qui sont à leur portée".
"Les perquisitions d'entrepôts de carburants, de médicaments et de denrées alimentaires effectuées dernièrement par les forces de sécurité révèlent que la corruption ne se limite pas à la classe politique, elle est malheureusement répandue au sein de toute la société libanaise", a encore déploré le prélat. Il a appelé les services de sécurité à "fermer les frontières et à empêcher la contrebande" vers la Syrie. 'Toute procédure administrative prise ne sera que partiellement efficace si les frontières entre le Liban et la Syrie ne sont pas fermées", a-t-il souligné.
Le patriarche maronite a également "appelé le pouvoir judicaire à poursuivre les accapareurs de denrées et les contrebandiers loin des pressions politiques ou communautaires", précisant que tout responsable politique impliqué dans de telles affaires devrait rendre des comptes. Les opérations de perquisition menées dernièrement par l'armée libanaise ont en effet révélé que certains contrebandiers et accapareurs sont affiliés à des partis politiques.
Enquête sur les explosions du 4 août
Sur un autre plan, Mgr Raï a dénoncé le fait que l'enquête sur les explosions meurtrières au port de Beyrouth n'ait toujours pas avancé en dépit des demandes de poursuites judiciaires lancées par le juge Bitar.
Ce dernier avait dernièrement émis un mandat d'amener à l'égard du Premier ministre sortant, Hassane Diab, qui avait refusé de comparaître. Les anciens Premiers ministres (Nagib Mikati, Fouad Siniora, Tammam Salam et Saad Hariri) avaient dénoncé dans un communiqué virulent un "précédent dangereux". Selon eux, la démarche de Tarek Bitar "représente une insulte à la fonction de président du Conseil, un affaiblissement inacceptable du Premier ministre sortant et une reconnaissance flagrante du fait que le dossier de l’enquête est manipulé depuis Baabda". Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait de son côté dénoncé une volonté du juge "d'affaiblir" Hassane Diab.
Commentant cet incident qui a provoqué un tollé sur la scène politique libanaise, le patriarche Raï a affirmé "son respect pour les postes" dans le pays, "sans que cela n'annule la divulgation de la vérité" dans le cadre de l'enquête. Il s'est prononcé contre toute tentative de "politiser, communautariser ou de bloquer l'enquête", assurant que toutes les personnes au pouvoir sont soumises à la loi.
Parallèlement à la comparution de M. Diab, le juge avait demandé la levée de l'immunité d'anciens ministres, dont trois actuels députés, "pour potentielle intention d'homicide, négligence et manquements", ce qui a jusqu'à présent été refusé par le Parlement. De leur côté, le ministre sortant de l'Intérieur Mohammad Fahmi, et le procureur général près la cour de cassation Ghassan Oueidate n'ont pas autorisé M. Bitar à interroger le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim.
Peuple "complice"
Pour sa part, le métropolite de Beyrouth Élias Audi a estimé dans son sermon dominical que le pays souffre parce que le peuple "accepte l'humiliation et ne se révolte pas contre les malfaiteurs", appelant les Libanais à ne pas être "complices" des dirigeants. Il a aussi dénoncé le fait que les responsables ne pensent qu'"à leurs intérêts personnels" au moment où les crises se multiplient dans le pays, appelant le peuple à ne plus leur faire confiance. Il a en outre plaidé en faveur d'une mise en place rapide d'un nouveau cabinet alors que le pays demeure sans gouvernement actif depuis plus de deux ans. Entre-temps, le Liban poursuit son effondrement socio-économique, les dirigeants n'ayant toujours pas mis en place de plan de sauvetage efficace.
Le métropolite a enfin déploré que "des parents de victimes soient considérés comme des criminels, au moment où les véritables tueurs sont libres et fuient la justice". William Noun, frère de Joe Noun, l'un des pompiers tués dans la double explosion au port, avait en effet été détenu il y a quelques semaines après un assaut mené contre l’appartement du député Tarek Merhebi (Courant du Futur, Akkar) après l’explosion d’une cuve de carburants qui a coûté la vie à plus de trente personnes dimanche, dans le Akkar. Le député, qui avait déposé une plainte personnelle contre les manifestants pour "vol et effraction" dans son appartement, avait fini par la retirer.
commentaires (3)
C'est la vérité. Une partie du peuple, non-négligeable, est corrompue, à l'image des dirigeants. Rien qu'à voir toutes sortes de marché noir, que ce soit des carburants , des médicaments, des denrées alimentaires, etc... Oui, malheureusement, il faut éduquer à un moment où c'est assez tard.
Esber
21 h 20, le 29 août 2021