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Moyen-Orient - Éclairage

Vu de Bagdad, le retrait des troupes US d’Afghanistan alimente les craintes

Alors que Joe Biden a annoncé, le mois dernier, le passage de Washington d’une mission de combat à une mission consultative en Irak, beaucoup s’inquiètent du fait que cette décision puisse laisser la voie complètement libre à Téhéran.

Vu de Bagdad, le retrait des troupes US d’Afghanistan alimente les craintes

Un soldat américain sur la base aérienne de Qayyarah en Irak. Photo AFP

Comme un écho du passé... et une projection dans l’avenir. Le départ chaotique des troupes américaines d’Afghanistan et la reconquête fulgurante de la majorité des provinces du pays par les talibans n’ont pas de quoi rassurer les Irakiens. Car ces événements résonnent d’abord fortement avec le premier retrait de Washington d’Irak en 2011, qui s’était soldé de manière dramatique par la montée en puissance de l’État islamique en 2014 et sa mainmise sur près d’un tiers du territoire. Résultat, à l’invitation du gouvernement de Nouri el-Maliki, des troupes avaient alors été redéployées dans le cadre d’une coalition internationale chargée de former et de conseiller les forces de sécurité locales. À la fin de 2017, malgré la défaite militaire du groupe jihadiste, quelque 5 000 membres du personnel américain étaient stationnés pour prévenir sa résurgence. Donald Trump s’était, par la suite, engagé à réduire cette présence de moitié.

Mais le mois dernier, dans le sillage d’une visite du Premier ministre irakien Moustapha al-Kazimi à la Maison-Blanche, le président américain Joe Biden a officiellement annoncé qu’il mettrait fin à la mission de combat américaine dans le pays d’ici au 31 décembre 2021. S’il a insisté sur le fait que Washington poursuivrait sa mission de formation et de conseil auprès de l’armée irakienne, il n’a pas précisé combien de soldats resteraient sur place. De quoi inquiéter ceux qui non seulement craignent qu’un départ des troupes américaines ne ravive les cellules dormantes de l’EI, mais qu’il contribue en outre à livrer le pays entièrement à Téhéran. « La principale question débattue par rapport à un éventuel retrait américain – s’il devait se produire – est l’augmentation du pouvoir des milices liées à l’Iran aux dépens des institutions de l’État », résume Randa Slim, chercheuse au Middle East Institute.

Retour à la case départ

Les images et les vidéos qui affluent d’Afghanistan sont en partie familières. Elles montrent une armée afghane entraînée et équipée par Washington mais qui s’est effondrée comme un château de cartes face à l’offensive talibane. Tout comme le gouvernement à Kaboul. Vingt ans auparavant, les États-Unis étaient intervenus dans le but de déloger le mouvement religieux et militaire du pouvoir, puis avec l’objectif affiché de construire un État viable fondé sur de solides institutions. Vingt ans plus tard, c’est presque un retour à la case départ.

Or, les contextes irakien et afghan présentent plusieurs similitudes. « Ils sont comparables en termes d’impact des agendas régionaux sur la politique intérieure. Le rôle que la direction pour le renseignement inter-services pakistanais a joué dans le soutien aux talibans est très similaire au rôle du Corps des gardiens de la révolution iranienne en Irak avec le Hachd el-Chaabi et d’autres milices redevables à l’Iran », souligne Randa Slim, qui insiste également sur la corruption endémique gangrenant toutes les institutions, « y compris l’armée ». La puissance des talibans est intrinsèquement liée aux manœuvres d’Islamabad qui, historiquement, n’a pas hésité à instrumentaliser le groupe en Afghanistan dans le cadre de sa politique de « profondeur stratégique », développée dans le sillage de l’intervention soviétique dans le pays voisin. Il s’agissait, d’une part, de lutter contre le communisme et, d’autre part, de faire de l’Afghanistan un pion dans le conflit avec l’Inde.

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Côté irakien, la mainmise accrue de la République islamique sur le pays est ironiquement née de l’invasion américaine en 2003. Dès le départ, le renversement du dictateur Saddam Hussein a été perçu par Téhéran comme une chance unique : faire d’un ancien ennemi contre lequel il avait combattu huit ans entre 1980 et 1988 un État-client qui ne représenterait plus une menace à la sécurité nationale et qui, de surcroît, pourrait servir de tremplin à son hégémonie régionale.

Conserver le statu quo

Une emprise renforcée par le rôle prépondérant joué par la coalition paramilitaire du Hachd el-Chaabi dans la victoire contre l’EI en 2017. Mise sur pied en 2014 après un appel lancé aux citoyens par le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite, elle se devait dans un premier temps de combattre l’expansion du groupe jihadiste. Si elle rassemblait au départ des milices pré-existantes et de nouvelles factions plus ou moins proches de l’Iran, elle lui est à présent presque entièrement liée. Les brigades qui la constituent ont œuvré à la répression du soulèvement populaire d’octobre 2019 qui s’est emparé de Bagdad et du Sud – majoritairement chiite – du pays, dénonçant dans un même élan le confessionnalisme, l’incurie des institutions et l’hégémonie iranienne. Un mouvement inédit que les milices chiites proches de la République islamique n’ont pas hésité à faire taire dans le sang, multipliant les assassinats et les disparitions forcées. « Le retrait militaire soudain des États-Unis inquiète certainement les Irakiens car ils vivent et assistent à une montée de l’impunité des milices qui appellent constamment au retrait des troupes américaines », commente Zeidon Alkinani, analyste sur l’Irak.

Mais si la sécurité fait largement défaut et que beaucoup d’analystes y décèlent les graines d’un futur conflit interchiite, l’État – aussi faible soit-il – reste à certains égards plus solide que celui bâti en Afghanistan. « Contrairement à l’Afghanistan, il existe en Irak une institution militaire et une infrastructure de renseignements qui ne sont pas aussi dépendantes des conseillers et des formateurs américains que ne l’étaient les Forces nationales afghanes », souligne Mme Slim. Et à la différence du cas afghan, les factions proches des IRGC semblent trouver un intérêt à conserver, peu ou prou, le statu quo, puisqu’elles font déjà officiellement partie des forces de sécurité et bénéficient du financement du gouvernement. C’est surtout le contrôle total du régime, plutôt que son renversement, qu’elles recherchent et la possibilité pour Téhéran de continuer à exploiter le pays comme un moyen de pression face à l’Occident, à commencer par Washington. Surtout, les annonces de départ des troupes américaines le mois dernier ressemblent davantage à une stratégie d’apaisement avec les milices – qui l’ont érigé en objectif principal depuis l’assassinat de Kassem Soleimani, commandant en chef de l’unitié d’élite al-Qods au sein des IRGC – de la part des États-Unis et de Moustapha al-Kazimi. Dans les faits, le passage d’une mission de combat à une mission purement consultative a déjà eu lieu. Et il n’est pas sûr aujourd’hui que Washington puisse se permettre de se désengager totalement du terrain irakien alors que cela pourrait se traduire à la fois par le renforcement du pouvoir des milices chiites et de l’EI. À tel point qu’au sein même de la société irakienne, certains qui se montraient autrefois particulièrement hostiles aux États-Unis et à son rôle dans le pays craignent désormais plus ou moins explicitement un retrait qui détruirait un semblant d’équilibre des forces. Dans un article de Reuters datant du 5 février, des Irakiens de Falloujah, ancien bastion de Saddam Hussein à l’avant-poste de la lutte contre l’invasion américaine en 2003, confiaient craindre le désengagement de Washington, en l’absence d’alternatives. « La position locale envers un retrait militaire américain a toujours été divisée en fonction de l’expérience géographique de telle ou telle communauté, estime M. Alkinani. Cependant, la plupart des communautés en Irak aujourd’hui considèrent qu’un retrait américain pourrait se traduire par un environnement plus violent malgré leur hostilité envers le rôle militaire de Washington dans le pays. »

Comme un écho du passé... et une projection dans l’avenir. Le départ chaotique des troupes américaines d’Afghanistan et la reconquête fulgurante de la majorité des provinces du pays par les talibans n’ont pas de quoi rassurer les Irakiens. Car ces événements résonnent d’abord fortement avec le premier retrait de Washington d’Irak en 2011, qui s’était soldé de manière...

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